La culture face à l’Internet : un enjeu culturel et d’action publique Article i

La culture face à l’Internet : un enjeu culturel et d’action publique Article inédit, mis en ligne le 17 mars 2003 Philippe Bouquillion Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, Philippe Bouquillion est membre du Gredac, chercheur associé au Gresec et responsable de la sous-thématique « Mutations des industries culturelles/mutations sociales et idéologiques » (thème 3, « Socio-économie de la culture ») à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord. Plan Introduction Un dispositif d’action publique inadapté L’accès à la reproductibilité grâce à l’Internet L’Internet et la culture : démocratisation mutuelle ou communication ? Une amélioration de la diffusion des produits des industries culturelles Conclusion Références bibliographiques INTRODUCTION « Comme la télévision, le multimédia est une nouvelle pratique culturelle » (Gouvernement français, 1998). L’univers de l’informatique et des réseaux électroniques est désormais associé au monde de la culture. Les « rencontres » entre les techniques d’information et de communication (TIC), en particulier l’Internet, et la culture concernent l’ensemble des domaines culturels, aussi bien la culture dite « légitime » que les industries culturelles. Le ministère de la Culture et nombre d’artistes ou d’auteurs soulignent l’importance des enjeux culturels soulevés par le développement de l’Internet. Les TIC font aujourd’hui partie du champ d’intervention du ministère de la Culture : « l’entrée dans la société de l’information et l’appropriation des technologies de l’information et de la communication constituent (...) une dimension majeure d’une politique culturelle ambitieuse ». (Gouvernement français, 1998) Les industriels ne sont pas en reste. N’oublions pas que les cédéroms culturels figurent parmi les premières applications culturelles des TIC développées par des acteurs industriels. (Séguy, 2000). Les actions et les discours relatifs au multimédia et à l’Internet des groupes de communication possédant des intérêts dans les industries éditoriales telles que Bertelsmann, Vivendi-Universal ou Lagardère-Hachette n’ont pas à être rappelés. Toutefois, quelle que soit l’importance des stratégies, politiques ou discours des divers acteurs sociaux concernés, il convient de noter que les spécificités de ces enjeux ne sont encore guère pensées. Les industriels ont tendance à concevoir l’Internet dans la continuité des médias de masse ou des industries culturelles « classiques » telles le livre ou le disque. Les institutions culturelles telles que les organismes de spectacle vivant, au moins dans le cas français, envisagent l’Internet comme un outil comparable aux outils de communication et de promotion qu’ils utilisent habituellement. Du coté des autorités publiques, les applications culturelles de l’Internet sont encore très fréquemment abordées à partir des catégories de pensée traditionnelles des politiques culturelles et de l’économie de la culture. Les discours et les actions du ministère de la Culture relatifs à l’Internet culturel s’inscrivent ainsi dans des perspectives plus anciennes, ce qui ne concourt PHILIPPE BOUQUILLION La culture face à Internet : un enjeu culturel et d’action publique © Les Enjeux de l’information et de la communication > http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux > Page 2 évidemment pas à la clarté et au bien-fondé de l’action publique dans ce « nouveau » domaine culturel. À défaut de pouvoir aborder toutes les applications culturelles des TIC, nous pouvons nous intéresser aux questions concernant à la fois le ministère de la Culture, du fait de ses actions ou de ses discours, et les acteurs économiques, qu’il s’agisse d’acteurs des industries culturelles ou des institutions culturelles. Ces questions ne sont pas choisies au hasard, mais elles correspondent aux principaux thèmes abordés dans les discours du ministère et dans les documents d’action du ministère de la Culture, ainsi qu’à des enjeux industriels ou culturels majeurs. Dans ces différents exemples, il est possible de montrer que les enjeux perçus par les acteurs sont liés à des conceptions anciennes, antérieures aux récents développements des TIC, en particulier de l’Internet. Ces conceptions et les actions qui les accompagnent peuvent alors sembler inadaptées à certains des enjeux soulevés par l’essor des applications culturelles des TIC. Quatre points seront abordés : le dispositif d’action publique ; la « reproductibilité » offerte par le Net à certains produits culturels ; la capacité mutuelle de la culture et des TIC à se démocratiser et enfin la représentation de l’Internet comme un nouveau support de diffusion pour les produits des industries culturelles ou des médias classiques. UN DISPOSITIF D’ACTION PUBLIQUE INADAPTÉ L’insertion des TIC dans le champ des politiques publiques ne s’accompagne pas d’un renouvellement des modalités d’action de l’État. Les actions et les projets publics prolongent les actions antérieures sur le plan des objectifs, des moyens et des acteurs. Les catégories habituelles des politiques culturelles sont donc reprises. Le gouvernement, aux termes du Plan d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI), entend ainsi développer quatre types d’actions relatives aux TIC : — soutenir la création de contenus et de services multimédias ; — favoriser la numérisation du patrimoine culturel national ; — utiliser les lieux d’accès et de formation à la culture afin de faciliter la maîtrise des TIC ; — défendre la francophonie. Dans la période la plus récente, une nouveau registre habituel de l’action du ministère de la Culture s’ouvre aux TIC, la formation. « Le développement des technologies de l’information induit une forte demande de personnel qualifié, en particulier de haut niveau. L’ensemble des établissements offrant des formations initiales et continues aux professionnels de la culture à commencé d’instaurer ce type de spécialisation. Le réseau des écoles d’art figure parmi les moyens privilégiés par le gouvernement pour faire face à cette demande. » (Bilan du PAGSI, 2000) La tutelle de fait qu’exerce le ministère de la Culture sur les opérations culturelles développées par les collectivités territoriales (il à souvent été souligné que les actions de ces dernières ne sont que des déclinaisons des choix nationaux) se poursuit à travers les actions relatives aux TIC. Le bilan du PAGSI d’août 2000 rappelle ainsi que depuis 1999, les communes ou les groupements de communes peuvent être soutenus dans leurs projets de numérisation des collections de leurs bibliothèques et de développement de services à distance sur Internet. « Deux formes de soutien sont proposées : l’État peut soit participer au financement de l’achat d’une station de numérisation (possibilité réservée en fait aux grandes bibliothèques), soit financer pour partie les marchés de sous-traitance réalisés dans ce cadre, les documents libres de droits étant privilégiés. » PHILIPPE BOUQUILLION La culture face à Internet : un enjeu culturel et d’action publique © Les Enjeux de l’information et de la communication > http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux > Page 3 Les TIC s’insèrent donc dans les schémas mis en place lors de la création du ministère et modifiés, à certains égards, à l’occasion de l’arrivée de Jack Lang aux affaires. Les objectifs présentés ci-dessus, et notamment les trois premiers, correspondent aux actions culturelles que l’État mène depuis la création du ministère de la Culture en 1959 : soutien à la création, soutien à la diffusion, élargissement des publics, tandis que la dimension économique de ce discours s’inscrit dans la volonté introduite par Jack Lang de développer les industries de la culture et de la communication françaises. Les modalités habituelles de l’intervention publique en matière culturelle s’ouvrent aux TIC, en particulier la distribution de financements à des institutions, la politique fiscale, la réglementation, etc. L’essentiel des institutions concernées par ces projets sont des institutions déjà existantes auxquelles le ministère accorde des subventions afin qu’elles développent des activités relatives aux TIC. Cet état de fait peut s’expliquer par des raisons budgétaires. Le ministère est soucieux, dans ce domaine comme dans d’autres tels que la danse, d’éviter la création d’institutions. Cette forme d’action s’explique également par l’absence de vision politique de la part du ministère de la Culture. À défaut d’avoir défini une politique, le ministère s’en remet aux perspectives et aux projets d’un ensemble d’institutions culturelles. Le ministère accompagne ainsi la volonté de certains organismes culturels de s’adapter aux techniques numériques et aux possibilités qu’elles offrent. Ce mode d’action peut emprunter la forme de la labellisation d’institutions déjà établies. Cette procédure, couramment utilisée dans les politiques culturelles, à été appliquée dans le domaine des TIC avec la création des Espaces culturels multimédias (ECM). Le ministère se contente alors d’accorder des subventions à des institutions labellisées pour accueillir un ECM. Généralement, ces dernières fixent à l’ECM des objectifs correspondant à leur activité principale : animation culturelle, éducation, formation, recherche, diffusion artistique. Les ECM ont été implantés dans des structures très différentes. Il peut s’agir de Maisons des jeunes et de la culture (MJC), telles que la MJC Montplaisir à Lyon, de Musées d’art contemporain comme celui de Lyon ou de Centres culturels polyvalents installés dans d’anciennes friches industrielles, à l’instar de la friche de la Belle de Mai à Marseille. Le ministère de la Culture confirme son intention de développer les ECM. « Ces espaces, lieux permanents d’accès et de formation au multimédia, attirent un public nouveau et le confrontent à une offre culturelle qui peut l’amener à d’autres pratiques artistiques. Les cent dix ECM existants verront leur nombre doubler à court terme. » (Bilan du PAGSI, 2000) Le ministère n’à donc pas développé de réflexions ni de politiques uploads/Societe et culture/ phillipe-bouquillon-la-culture-face-a-l-x27-internet.pdf

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