LE CONCEPT DE CULTURALISME DANS LES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES : DE TYLOR À LOWI

LE CONCEPT DE CULTURALISME DANS LES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES : DE TYLOR À LOWIE Philippe Rozin Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire » 2006/2 n° 27 | pages 151 à 176 ISSN 1283-7091 ISBN 9782353380299 DOI 10.3917/phoir.027.0151 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-2-page-151.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Le Lisible et l'illisible. © Association Le Lisible et l'illisible. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) Le Philosophoire, n° 27, 2006, p.151-176 Le concept de culturalisme dans les sciences anthropologiques : de Tylor à Lowie Philippe Rozin anthropologie s’est intéressée depuis son institutionnalisation au XIXe siècle à la relation entre l’homme et la culture. L’utilisation de la notion de culture a d’ailleurs été à l’origine de nombreux débats qui ont amené une scission objective entre les partisans de l’évolutionnisme et du culturalisme. Premier élément assez trivial : la culture, comme d’autres éléments, pourvoit à certains besoins. Elle correspond en effet à une inscription, dans l’espace et le temps, de références et d’outils, qui permettront de répondre à des sollicitations imprévisibles. On parle de ‘sollicitations imprévisibles’ pour des évènements qui pourraient mettre en crise la vie sociale de certains groupes, ou encore qui débordent des ressources cognitives et ne permettent plus d’expliquer certains contextes spécifiques (ce que mettait particulièrement en évidence Serge Gruzinski1 dans ses travaux sur la conquête espagnole du Mexique). À ce titre, la culture se conçoit comme une structure objective de représentation et de rapport à la nature ; par extension, la culture mobilise des ressources et ordonne des capacités d’action collectives et individuelles. Pratiquement, c’est la culture qui permet de répondre, par différents moyens (la symbolisation, l’organisation d’un système de transmission héréditaire, l’utilisation des stocks de ressources et des biens accumulés dans la nature…) à des contraintes physiques fortement récurrentes. Par surcroît, la culture institue des usages communs qu’elle adjoint à des références pertinentes dans un système (des rituels de table par exemple). Ces usages sont suivis d’effets plus ou moins immédiats, selon les circonstances, et ordonnent des réactions et des interactions qui mettent en rapport entre elles l’ensemble des composantes sociales qui structurent les 1 Gruzinski, S. (1999), La pensée métisse, Fayard L’ © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) La Culture 152 groupes humains constitués. Deuxième élément : la culture instrumente également un souci de connaissance. Elle donne un repère normatif et conditionne la possibilité d’une codification (un mode de comportement inscrit dans le légalisme d’une coutume, d’un droit rituel ou d’un comportement habituel) ; en même temps, elle ordonne la finalité d’un vécu collectif sur des valeurs sociales ou des règles d’arbitrage collectives. Le système religieux apparaît, de ce fait, comme la continuation ordonnée d’un ensemble de valeurs culturelles suffisamment condensées pour être indexé dans un système de référence religieux2. Sortant directement de cette théorie de la culture, une double question se pose : la production de différences et le point de départ, dans la nature, du fait culturel. La culture n’est pas fondée sur un système d’homogénéisation de pratiques. Quel que soit le système envisagé, la culture est axée sur un problème de production. Dans un premier sens, la culture, via l’acquisition de techniques, donne donc positivement des outils et des moyens sur la nature. Comme le souligne Marx dans l’Idéologie allemande, la culture se conçoit essentiellement en rapport avec une notion de production de biens et d’exploitation de ressources. Reprenant cette formulation, l’anthropologue américain Marshall Sahlins3 souligne, avec un zeste de provocation, que la superstructure intervient dans la nature pour ordonner non seulement une technique de production, mais formule encore une représentation centrale des stocks de nourriture et des niveaux production en rapport avec des termes de classification dans la structure sociale. L’utilisation de la nourriture, le partage des ressources et l’économie du travail sont les conditions primitives de la praxis humaine ; ce sont même ces conditions qui permettent de déterminer un contexte culturel. Sahlins insiste sur la force des inégalités accentuées dans la culture. Ces rapports sont inégaux. La monopolisation ou la sur-utilisation de certains stocks par des fractions de groupes sociaux spécifiques accroît le poids de dysfonctionnements, d’inégalités ou d’injustice dans les groupes sociaux. C’est en effet parce qu’il existe des rapports de productions inégaux, et que certaines classes sociales se les sont appropriées indûment, qu’une notion instituée de culture générale entre manifestement en contradiction avec les besoins de biens et de production de la part la plus importante des dépossédés4. 2 Le travail des historiens Peter Brown et Robert Markus sur la genèse du christianisme primitif est très instructif à cet égard. 3 Marschall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard ; Marschall Sahlins (1972), Stone Age Transaction, Aldin Translation 4 « Cette "aliénation", — pour que notre exposé reste intelligible aux philosophes —, ne peut naturellement être abolie qu'à deux conditions pratiques. Pour qu'elle devienne une puissance "insupportable", c'est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution, il est nécessaire qu'elle ait fait de la masse de l'humanité une masse totalement "privée de propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement de la force productive, c'est-à-dire un stade élevé de son développement. », Marx, Engels, L’idéologie allemande, Introduction, Editions sociales, p. 11. © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.149.243.46) Le concept de culturalisme 153 On ne peut plus définir la culture comme un simple rapport d’exploitation ; des groupes sociaux ont des usages et des niveaux institutionnels d’utilisation de ces ressources, et ce sont eux qui établissent, à partir du découpage économique des ressources disponibles, le contexte culturel qui permettra d’expliquer matériellement la formation d’une structure politique. C’est le second sens du mot ‘culture’. Il est en effet fondamentalement double : à la fois une distribution de pouvoir légitimée par des rapports de force, d’autorité ou d’organisation, entre certains agents, et en même temps la recherche frénétique d’une intronisation de ces niveaux de détention, à travers une inscription sociale qui dépasse le cadre objectif des échanges immédiats entre les individus5. Le grand clivage des théories anthropologiques apparaît ici. Il s’agit au fond de la question du milieu ou des conditions préjudicielles minimales qui président à l’apparition de d’une culture. Dans le contexte de cette question, et en prenant en compte l’idée d’une permanence de certaines structures premières (des schémas sociaux comme les pratiques d’échanges sociaux, la symbolisation, dans l’institution, de la continuité du lien social) on supposerait en effet que la culture nécessite certaines dispositions pour s’assurer un fondement de développement. Immédiatement se pose la question d’un achèvement de la culture dans un processus finalisé. C’est sur ce point, plus précisément, que prend appui le culturalisme. La finalité d’une culture qui observe et qui, dans le même mouvement, prétend décrire une autre culture, n’est pas inspirée par la même détermination conceptuelle de la finalité que sa cible6. Si n’importe quelle définition de culture repose, plus ou moins rapidement, sur un concept de finalité, les concepts de finalités en cause ne sont pas substituables les uns aux autres. La finalité est un concept par essence endogène, qui explique rationnellement la structure d’une identité sociale et d’une groupe culturel. Par culturalisme, on entend la théorie selon laquelle l’être humain est à la naissance une « page blanche », sur laquelle il écrira son histoire, dans le cadre d’un environnement, d’un milieu, qu’il tente de modeler par un effet de sa volonté, et qui exerce, en retour, une influence déterminante sur l’organisation de sa vie. Contrairement à l’évolutionnisme, le culturalisme ne présuppose a priori aucune suite de développements entre des périodes historiques, mais des rapports variables, complexes et instables de cultures spécifiques avec des systèmes de projection historiques à chaque fois relatifs. Très tôt, les premiers anthropologues avaient été frappés par les ressemblances qui existaient entre des coutumes et des institutions de cultures distinctes et éloignées géographiquement. Au XIXe siècle, l’évolutionnisme permettait d’expliquer ces similarités par la thèse de la convergence. Toutes les sociétés se seraient transformées en passant par les mêmes étapes uploads/Societe et culture/ phoir-027-0151.pdf

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