Cultures et civilisations : Quelle évolution ? SIHAM IKHMIM ZAKARIA BELABBES «

Cultures et civilisations : Quelle évolution ? SIHAM IKHMIM ZAKARIA BELABBES « Tout ce que l'homme a ajouté à l'Homme, c'est ce que nous appelons en bloc la civilisation ». Avec cette conception vulgaire sur la civilisation présentée par Jean Rostand (1894- 1977), nous pourrons admettre que la civilisation est facile à cerner et à comprendre. L’histoire, le progrès, la culture laissés par l’Homme « ancien » et hérité par le « nouveau » Homme sont en quelque sorte le fruit de la civilisation. Cependant, le mot « civilisation » n’était d’usage courant que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, tant en France qu'en Angleterre. Formé à partir du mot latin civis (« citoyen »), qui a donné naissance à civilis (« de mœurs convenables et raffinées »), le nouveau substantif sanctionnait une distinction qui s'était peu à peu établie entre gens des villes et habitants des campagnes, ces derniers étant considérés comme plus proches de l'« état de nature ». Cette distinction est largement débattue durant ces derniers siècles et même refusée par autres (Friedrich Nietzche qui décrit la civilisation comme un problème). Le débat sur la conception de « civilisation » a amené des penseurs à la confronter avec la « culture ». Le vulgaire du mot « civilisation » n’est plus du tout facile à cerner et devient plus complexe. Ainsi, en septembre 1914, Thomas Mann (1875-1955) publiait un article dans la Neue Rundschau, posant l'antagonisme de la « culture » allemande et de la « civilisation ». Le début de la relation conflictuelle culture et civilisation commence à se montrer. Pour apaiser les tensions, Édouard Herriot (1872- 1957) a expliqué que « La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié ». Par conséquent, des écoles de penseurs se constituent et expliquent à leur tour cette relation antagonique qui devient en fin de compte allié et ouverte vers de nouveaux concepts récents comme la géopolitique. En effet, d’apparition récente et principalement utilisée pour expliquer la guerre froide, la géopolitique est devenue l’espace de travail concret de la civilisation et également de la culture. Ainsi, les deux conceptions devenues vivement liées, après un long débat philosophique au fil des siècles, sont maintenant considérés comme des instruments de délimitation de l’espace. Dans les deux dernières décennies du 20ème siècle, cette liaison intéressante avec la géopolitique entre dans le cadre d’une période de la mondialisation et créé une nouvelle thèse : la « culture mondiale ». Celle-ci 1 est devenue une question très débattue avec ses nouvelles notions (industrie culturelle, américanisation…) usant, bien évidemment, la sphère géopolitique comme moyen de circulation de ses nouveaux procédés et concepts. La problématique qui se pose à cet effet : comment la culture et la civilisation sont devenues liées à une démarche intellectuelle telle que la géopolitique ? Et quels sont les outils géopolitiques véhiculés par la « culture mondiale »? Tel est l’objectif de cet article qui va répondre à ces questions en expliquant le changement d’une relation conflictuelle entre civilisation et culture (I) vers une nouvelle relation alliée délimitant l’espace géopolitique (II) qui produit une grande réalité bien présente dans notre monde « la culture mondiale » expliqué par des outils bien concrets (III). I. L’apparition de la confrontation culture / civilisation Les origines du terme « culture » est bien lointaine. Cicéron (106-43 av. J.-C), célèbre homme politique et orateur romain, fut le premier à appliquer le mot « cultura » à l'être humain : « Un champ si fertile soit-il ne peut être productif sans culture, et c'est la même chose pour l'humain sans enseignement ». Durant cette époque romaine, le mot « civilisation » était bien absent. Seul le mot « civis » du latin qui était présent mais utilisé de différentes manières au cours de l'histoire. 18 siècles plus tard, le sens propre de la civilisation apparaît et la culture devient notion clé de l’anthropologie, signe d’un débat qu’il faut trancher entre les deux concepts, chose qui sera bien amphigourique à accomplir. L’exemple de la neutralité Avec les grandes explorations et la présence des empires européens sur tous les continents, la découverte de nouvelles sociétés et des modes de vie très différents des occidentaux va contribuer profondément au renouveau des mentalités. On s'aperçoit que l'histoire des sociétés ne suit pas un cours uniforme ; pour les comprendre, il faut les analyser et en accepter les différences. Aussi, dès la première moitié du 18ème siècle, on parle de « civilisations » au pluriel : la multiplicité des cultures est admise. Dans ce cadre, la nouvelle innovation de Montesquieu (1689- 1755) et Lewis Henry Morgan (1818-1881) est de distinguer trois stades dans l'évolution des sociétés : sauvagerie, barbarie, civilisation (cette dernière représentant le stade le plus évolué qu'une société puisse atteindre). Ainsi, Montesquieu, dans un point de neutralité, expliquait que la civilisation et la culture ne sont pas opposés et ne sont pas liés, mais profitait tous les deux de leur ressemblance dans les sens et les faits. Egalement, Mirabeau (1749-1791) suit l’exemple de neutralité de Montesquieu et définit la culture autrement sans l’opposer à la civilisation. En effet, il employa la 2 culture au double sens de processus du « progrès » matériel, social, culturel, et de résultat de ce processus. Le début de confrontation Au 19ème siècle, Jacob Burckhardt (1818-1897) s’oppose à la neutralité des penseurs français, et définit la culture (Kultur) comme « la somme des activités de l'esprit qui ont lieu spontanément et ne prétendent pas à une valeur universelle ni à un caractère obligatoire…La culture est le processus aux mille faces par lequel l'activité élémentaire et naïve de la race se transforme en savoir réfléchi et aboutit à son stade le plus élevé, à la science et à la philosophie, enfin à la pensée pure ». Ainsi, face à un État stable et de la religion, la culture représente l'élément instable de la création humaine. Les textes de Burckhardt sur les Grecs (Histoire de la culture grecque) et sur la conception générale de l’histoire témoignent que, notamment, la culture grecque vient ambitionner l’Etat stable d’Athènes ou encore de Sparte. L’exemple du procès de Socrate met en évidence la pensée de Burckhardt. Socrate, accusé de corruption de la jeunesse, de négation des dieux ancestraux et d'introduction de divinités nouvelles, conteste la stabilité approfondie de l’Etat antique grecque et est condamné à mort par le tribunal de l'Héliée, à Athènes. François Guizot (1787-1874) confronte Burckhardt avec la civilisation, en 1828 et 1829, expliquée comme étant « le fait de progrès, de développement». En effet, la civilisation représentera : d'une part, une production croissante de moyens de force et de bien-être dans la société ; de l'autre, une distribution plus équitable entre les individus de la force et du bien-être produits. Guizot prolongeait ses idées et expliquait que le mot de « civilisation » comprendra quelque chose de supérieur à la pure perfection des relations sociales, de la force et du bien-être social. Il s'agit du « développement de la vie individuelle, de la vie intérieure », du développement « de l'homme lui- même, de ses facultés, de ses sentiments, de ses idées ». Son livre, Histoire de la civilisation en Europe, montre à cet égard – tout en suivant les pensées de ces prédécesseurs du siècle des Lumières – un concept de « civilisation » bien puissant et d’une importance capitale et que la culture n’est qu’une notion, restant toujours clé, de la civilisation. Ainsi la confrontation de l'emploi respectif du terme de Kultur par Burckhardt et du terme de civilisation par Guizot fait-elle apparaître, de part et d'autre, un double résidu : Burckhardt désignait par Kultur l'ensemble des « activités spontanées de l'esprit », auxquelles il conviendra d'opposer les « organisations stables » de l'État et de la religion. En celles-ci nous avons reconnu l'équivalent des formes de « civilisation » décrites par Guizot, État et religion fixant et maintenant les normes des « relations sociales ». 3 Le défi de Nietzche La confrontation devient accrue au 20ème siècle, qui fut marquées par plusieurs penseurs s'inspirant des analyses critiques de Friedrich Nietzsche (1844-1900). Celui-ci lança le débat au début du siècle, dans un cadre purement philosophique et complexe. En se basant sur les pensées de Burckhardt, un défi est lancé pour les penseurs contemporains pour expliquer l'interrogation philosophique principale de Nietzche: « Ma mission : comprendre la cohésion interne et la nécessité de toute civilisation véritable. » La civilisation comme problème - et ce problème comme centre organisateur de l'ensemble du questionnement de Nietzsche, de la pensée de l'apparence à celle de l'éternel retour : c'est cet axe de réflexion qui permet d'élucider à partir de l'hypothèse de la volonté de puissance la double orientation de l'analyse nietzschéenne, nobiliaire mais aussi créatrice, mais aussi artistique, qui culmine dans une typologie des civilisations. Différents penseurs ont ainsi relevé ce défi complexe et ont mis à l’épreuve leurs pensées et explications respectives sur la culture et civilisation. Les critiques de Spengler et Toynbee La philosophie uploads/Societe et culture/article-culture-et-civilisation.pdf

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