CONTES POPULAIRES DE LA KABYLIE DU DJURDJURA RECUEILLIS ET TRADUITS P A R J . R

CONTES POPULAIRES DE LA KABYLIE DU DJURDJURA RECUEILLIS ET TRADUITS P A R J . RIVIÈRE PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS de l’école des langues orientales Vivantes, etc. 28, RUE BONAPARTE, 28 1882 PRÉFACE Digitized by the Internet Archive in 2018 with funding from Princeton Theological Seminary Library https://archive.org/details/recueildecontesp00unse_3 P % E F qA C E p|fN offrant an public de Franck et d'A l- gérie ce recueil de contes de la Ka- bylie du Djurdjura, nous avons pour objet de fournir une nouvelle matière pour l’é¬ tude comparée des croyances et des tra¬ ditions populaires. Les poésies publiées par le colonie Hanoteau ont été jusqu'ici le seul document imprimé de la littérature berbère. Nous espérons donc que ces con¬ tes seront bien accueillis. Ceux qui, comme nous, ont vécu durant plusieurs années en contact direct avec les populations berbères du littoral de notre colonie africaine, li¬ ront avec intérêt ces pages si originales, IV CONTES POPULAIRES KABYLES où un peuple illettré trace à notre curio¬ sité le tableau vivant de ses qualités mo¬ rales et surtout de ses vices. Ces contes recueillis de la bouche des indigènes du¬ rant les soirées d'hiver, donnent, à notre avis, mieux que la poésie, une idée de la langue berbère actuellement parlée en Ka- bylie. C'est le récit pur et simple dégagé des mots arabes qui encombrent la chanson; c’est le style familier et populaire du vil¬ lage, le Kabyle rien connaît point d’autre. Le kabyle ri est qiïune langue parlée ; l'alphabet de la langue nationale a dû exister, mais assurément il s’est perdu depuis longtemps. De tous les dialectes berbères du nord de l’Afrique, le tama- cher’th parlé par les Touaregs est le seul qui ait conservé un système d’écriture à lui propre et des caractères destinés à re¬ présenter ses sons. Mais, à défaut de lit¬ térature écrite, les Kabyles ont une foule de récits qui se transmettent de père en fils par la tradition orale. D'où viennent- ils? Nous croyons que beaucoup sont abo¬ rigènes ; mais une étude comparative nous PRÉFACE V ■permettrait de retrouver le fond d'un grand nombre d'autres dans le recueil des Mille et une nuits ou dans celui des contes indiens. Cependant de l'Inde au Djurdjura la distance est grande, et nos récits, en passant par la bouche des Ka¬ byles, ont revêtu une forme nouvelle. Durant nos trois années de séjour au milieu des tribus du Djurdjura, nous eus¬ sions aimé à rencontrer de ces légendes nationales, où se trouve défigurée, mais reconnaissable sous bien des traits, l'his¬ toire d'un peuple dont l’origine semble être encore un mystère. Nos recherches ont été sans résultat ; les vieillards n’ont rien su ajouter à ce que nous connaissions déjà. A l’égard des souvenirs et des mo¬ numents du passé, le Kabyle est un être indifférent à l’excès. Pour faciliter l’intelligence du texte, nous ferons précéder certains contes d'un court aperçu des mœurs et coutumes, les contes paraîtront ainsi, comme l'applica¬ tion des principes qui ont force de loi dans les tribus VI CONTES POPULAIRES KABYLES Nous prions le lecteur de ne pas se montrer trop exigeant sous le rapport de la forme; la pensée nous était venue d’of¬ frir au public une traduction plus litté¬ raire, mais nos Contes kabvles eussent t J perdu de leur naïveté et nous n avons pas voulu les déparer de la saveur particu¬ lière que leur donne leur simplicité un peu inculte. PREMIÈRE PARTIE I LE VOL EN KABYLIE CONTES POPULAIRES DE LA KABYLIE DU DJURDJURA PREMIÈRE PARTIE I LE VOL EN KABYLIE neur ; une légère amende rachète Vodieux d’un acte si infamant. Parmi les tribus agricoles, les vols commis sur les chemins publics sont même un titre de gloire pour Vintrépide mal- v 4 CONTkS IOPU1 AIRES KABYLES faiteur. Les voleurs sont armés d'un instru¬ ment en fer, sorte de monseigneur, qui leur permet de percer les plus épaisses murailles en fort peu de temps; pris en flagrant délit, ils nient avec la plus audacieuse effronterie. Che-q le peuple cultivateur de la Kabylie, la charrue est un instrument sacré ; aussi le malfaiteur qui s’en empare est-il flétri par l'opinion publique. Tout ce qui se trouve dans l'enceinte du village, le foyer domestique sur¬ tout, est réputé inviolable ; les délits qui en compromettent l’honneur revêtent un carac¬ tère de gravité spéciale ; ils peuvent être pu¬ nis par la lapidation ; l'assemblée des citoyens substitue souvent à cette peine la bastonnade, la cautérisation, l'incendie des vêtements ou l’abscision de la barbe et des moustaches. Quant aux bestiaux parqués dans les plai¬ nes , ils demandent à n'être jamais perdus de vue. Le régime des familles de médiocre for¬ tune ne satisfaisant pas toujours tous les es¬ tomacs, beaucoup de Kabyles s’associent pour se livrer à des festins extraordinaires et vo¬ lent la bête qui doit en faire les frais. Une femme avait sept filles et point de fils. Elle se rendit à la ville et y remar¬ qua une riche boutique; plus loin elle aper¬ çut sur la porte d’une maison une jeune per¬ sonne d’une grande beauté, elle appela ses parents et leur dit : « J’ai mon fils à marier, permettez-moi de lui présenter votre fille. » On lui permit de l’emmener. Elle revint à la boutique et dit à celui qui la gardait : « Je vous donnerai volontiers ma fille, mais au¬ paravant allez consulter votre père. » Le jeune homme laissa un domestique à sa place et sortit. Thadhellala, — ainsi s’appelait la femme, — envoya le domestique acheter du pain dans une autre partie de la ville. Alors vint à passer une caravane de mulets. Tha- 6 CONTES FOPULAIRES KABYLES dhellala les chargea de toutes les fournitures de la boutique et dit au muletier : « Je prends les devants ; mon fils va venir dans un ins¬ tant, attends-le, il te paiera. » Elle partit avec les mulets et les richesses dont elle les avait chargés. Le domestique fut bientôt de retour : « Où est ta mère, lui cria le muletier, hâte- toi de me payer. » — « Dites-moi où elle est, vous, je lui ferai rendre ce qu’elle m’a volé. » Et ils allèrent devant la justice. Thadhellala poursuivit sa route et rencon- A tra sept jeunes étudiants. Elle dit à l’un d’eux : « Donne-moi cent francs et je t’ap¬ partiendrai. » L’étudiant les lui donna. Elle fit aux autres la même proposition, et chacun la prit sur parole. Arrivés à une bifurcation, le premier lui dit : « Je t'emmène, » le se¬ cond lui dit : « Je t’emmène, » et ainsi jus¬ qu’au dernier. Thadhellala leur répondit : « Vous allez lutter à la course jusqu’à cette crête que voilà, celui qui y arrivera le pre¬ mier m’emmènera. » Les jeunes gens parti¬ rent. Un cavalier vint à passer : « Prête-moi ton cheval, » lui dit-elle. Le cavalier mit pied à terre. Thadhellala monta et lui dit : « Vois-tu cette crête, je t'y rejoindrai. » Les écoliers aperçurent notre homme : « N'avez- THADHELLALA 7 vous pas vu une femme? lui demandèrent-ils, elle nous a emporté sept cents francs. » Ce¬ lui-ci leur répondit : « Ne i’avez-vous pas vue, vous autres? Elle m’a volé mon cheval.» Ils allèrent se plaindre au sultan. Le sultan donna ordre d’arrêterThadhellala. Un homme se promit de la saisir, il engagea un compa¬ gnon et tous deux poursuivirent Thadhellala qui avait pris la fuite. Serrée de près par no¬ tre homme, elle rencontra un nègre qui ar¬ rachait les dents et lui dit : « Vois-tu mon fils qui s’avance là-bas? Arrache-lui les dents. » Quand l’autre passa, le nègre lui arracha les dents. Le pauvre édenté saisit le nègre et le mena chez le sultan pour le faire condamner. Le nègre dit au sultan : « C’est sa mère qui m’a dit de les lui arracher. » — « Sidi, reprit l’accusateur, je poursuivais Thadhellala.» Le sultan envoya des soldats à la poursuite de la femme qu’ils saisirent et suspendirent aux portes de la ville. Se voyant arrêtée, elle envoya un messager à ses parents. Alors vint à passer un homme qui menait un mulet. En la voyant, il se dit . « Comment cette femme a-t-elle mérité d’être suspendue ainsi? » — « Tu me fais pitié, lui dit Thadhel¬ lala, donne-moi ton mulet, je te montrerai 8 CONTES POPULAIRES KABYLES un trésor. » Elle l’envoya à un certain en¬ droit où était enfoui le prétendu trésor. Sur ces entrefaites survint le beau-frère de Tha- dhellala. « Emmène ce mulet, » lui dit-elle. Le chercheur de trésors creusa la terre en maints endroits et ne trouva rien ; il revint chez Thadhellala et lui demanda son mulet. Celle-ci de pleurer et de crier. La sentinelle accourt, Thadhellala porte plainte contre cet homme, elle est détachée à l’instant, et l’ac¬ cusé est suspendu à sa place. Elle uploads/Societe et culture/ recueildecontesp00unse-3.pdf

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