ENSEMBLE AL KINDI SHEIKH HABBOUSH C’est la voix qui ravive la lettre E t cette

ENSEMBLE AL KINDI SHEIKH HABBOUSH C’est la voix qui ravive la lettre E t cette voix qui nous vient d’Alep nous rappelle que le poème a pour origine et raison d’être le chant. La voix sort du tréfonds et se répand dans le monde, se répercute sur les obstacles, les traverse et monte très haut, jusqu’aux cieux. L’idée de l’élévation ne quitte pas cette voix. La voix provient du fond de la caverne, elle s’échappe de la prison du corps. Les lettres qu’elle module émanent de l’espace du dedans, où, dans les ténèbres, palpitent et travaillent les organes. Du son le plus guttural au son le plus labial, le souffle traverse l’intégralité de l’appareil vocal. Et chez les soufis un mot symbolise cette traversée de l’itinéraire le plus ample à l’intérieur du corps, c’est le mot Hawa, qui est composé de deux lettres: Ha est le plus profond, il provient du plus bas de la glotte; et le Waw est le plus extérieur, porté par le bout des lèvres. Huwa, c’est la troisième personne, Lui, qui désigne Dieu. La troisième personne pour dire la gloire de l’ambivalence divine, entre l’absence et la présence, l’apparent et le caché, le visible et l’invisible, l’évidence et le mystère. Ici, la célébration de la lettre, comme signe éminent, dans l’indétermination du sens, dans la densité de son indécidable, se réalise à travers la voix. Et cette voix qui nous vient d’Alep est une grâce. Celui qui en jouit l’exerce d’une manière innée, selon une technique ancestrale, transmise par les hommes qui entretiennent le génie du site. J’ai presque le désir de dire que cette grâce qui s’accorde à l’héritage transmis excède toute forme de conscience. Car le don a pour lui de brouiller les frontières entre le juste et l’injuste. Avec quelle joie l’oreille, le chœur et l’esprit reçoivent cette voix qui émane de ce qui reste d’une tradition populaire ayant pu se mouvoir jusqu’à nous satisfaire par sa capacité naturelle de se nourrir de l’autre tradition savante qui lui est parallèle. J’ai écouté cette voix et le chœur qui l’accompagne à Alep même dans un salon mamelouk au décor aussi profus que celui que recèle une zawiya qui regorge d’ex-voto, offrande de riches et affiliés. Et le qânoun aux cordes pincées par les doigts de Julien Jalal Eddine Weiss enveloppe de ses ondes le flux et le reflux de la voix. Un répertoire s’est développé devant nous où le connaisseur reconnaît les éclats des haltes et des demeures qui scandent les étapes que l’initié parcourt sur la Voie. A votre tour de les découvrir et d’y élire séjour. Abdelwahab Meddeb, professeur de littérature comparée écrivain et poète, fondateur de la revue littéraire Dédale il anime l’émission Cultures d’Islam sur France Culture. Le Soufisme à Alep L e Soufisme (tasawuf) représente la tendance mystique de l’Islam qui cherche à garder vivante la dimension ésotérique de la révélation prophétique. Ali, le 4e Calife et gendre du prophète, est considéré comme le premier maillon de la chaîne de transmission (silsila) des savoirs mystiques et des pratiques qui forment le soufisme. Le soufisme propose une voie qui s’éloigne des apparences exotériques (zahiri) du monde matériel vers la réalité ésotérique (batini) de l’unité de Dieu (tawhid) de qui toutes les choses émanent. A l’origine, le soufisme consistait en un ensemble de pratiques ascétiques et mystiques individuelles, puis il devint rapidement l’objet d’un enseignement systématique dans le cadre de la relation maître/disciple (murshid/murid) et finit par s’institutionnaliser en tant qu’ordre soufi (tariqa pl. turuq) au cours des 12e et 13e siècles. La systématisation et l’institutionnalisation du soufisme ont permis son intégration dans l’univers des sciences religieuses qui composait le noyau de la tradition islamique, avec la jurisprudence (fiqh) et la théologie (kalam). Alep est un lieu important du soufisme depuis le 13e siècle, lorsque les souverains de la dynastie Ayubid commencèrent la construction de couvents soufis (khanaqa) et de logements (zawiya, pl zawaiya) en vue de faciliter leur politique d’encouragement de l’islam sunnite face à la double menace du chiisme d’Ismaël et des croisés. Alep était un carrefour culturel en raison de sa situation géographique et de son rôle de centre commercial vers lequel convergeaient les caravanes venant d’Anatolie, d’Iran, de Mésopotamie et de Syrie du sud. Cet environnement cosmopolite se retrouve dans les caractéristiques doctrinaires et rituelles du soufisme tel qu’il fut pratiqué à Alep, et qui fit fusionner les tendances mystiques et les cultures arabes, turques et perses. Sous l’empire ottoman, certains ordres soufi furent organisés, centralisés et hiérarchisés, soumettant les loges locales au commandement d’un sheikh al mashaykh. Transe Soufie d’Alep 1 A ujourd’hui, malgré les défis sociologiques et culturels créés par l’industrialisation et l’urbanisation de la société syrienne ainsi que l’expansion des idéaux d’un nationalisme traditionaliste et d’un réformisme islamique, le soufisme en Syrie conserve toute sa vitalité et montre des signes évidents de renouveau interne et d’expansion. Il est certain que des zawiyas et des pratiques soufies déclinèrent ou disparurent purement et simplement sous l’influence grandissante des idéaux séculaires et de l’Islam Salafi, hostiles au soufisme. La nationalisation des awqaf (encadrements religieux) par l’état détruit les bases économiques de nombreuses activités soufi. Néanmoins, de nombreuses zawiyas traditionnelles demeurent actives à Alep et de nouvelles zawiyas virent le jour au cours des dernières décennies, étendant les activités soufies au contexte moderne par delà la vieille cité. La permanence et l’expansion du soufisme à Alep montrent qu’il n’y a pas de contradiction fondamentale entre les croyances et les pratiques soufies et la modernité. Bien plus, l’idée que le soufisme serait une tendance religieuse marginale ou simplement un Islam populaire ne tient pas en Syrie où ses rituels forment une large part de l’expression publique de l’Islam et dont la doctrine attire de nombreux adeptes dans toutes les couches de la société syrienne. Le meilleur exemple de la place centrale qu’occupe le soufisme dans l’Islam syrien est fourni par le Sheikh Ahmad Kuftaru, qui est à la fois le leader officiel de l’Islam sunni comme grand mufti de Syrie, et le guide suprême de l’ordre soufi connu sous le nom de Sheikh de la tariqa Naqshbandiyya Kuftariyya. La Naqshbandiyya L a tariqa Naqshbandiyya fut fondée à Bukhara, aujourd’hui en Ouzbekistan, grâce aux enseignements du mystique Baha ad-Din an-Naqshbandi au 14e siècle, et atteignit la Syrie au 17e siècle. Son adhésion stricte aux principes du sunnisme est confirmée par le fait qu’elle est la seule tariqa soufie qui se vante d’avoir reçu ses directives d’Abu Bakr plutôt que d’Ali. Elle se caractérise par la pratique d’une dhikr (al-dhikr al-samit) silencieuse et par l’importance accordée au savoir comme le fondement de la quête mystique. Au 19e siècle, la Naqshbandira a entraîné un mouvement réformiste conduit par le Sheikh Khalid, qui encourageait une forme de mysticisme soumise aux principes de la loi islamique (shari’a). La Nashbandiyya atteignit les kurdes au cours du 19e siècle, faisant du Qadiriyya le plus important ordre soufi du Kurdistan, et conserve encore une grande importance dans la population kurde d’Alep. Au cours des dernières décennies, la branche Kuftariyya de la Naqshbandiyya, dirigée par Ahmed Kuftaru, le Mufti de Syrie, devint un ordre soufi international. A Alep, le Kuftariyya, qui met l’accent sur la piété personnelle basée sur la connaissance et la réflexion sur les textes doctrinaires attire de nombreux membres des classes moyennes. Transe Soufie d’Alep 2 Transe Soufie d’Alep 3 La Mawlawiyya L a tariqa Mawlawiyya, plus connue en occident comme les derviches tourneurs, a son saint fondateur représenté par le poète et mystique Jalal al-Din Rumi, qui vécut au Kenya au 13e siècle. Cet ordre soufi a eu une grande influence dans la propagation de l’Islam en Anatolie et la tombe de Rumi au Kenya devint un lieu important de pèlerinage. Plus tard, elle entretint des relations étroites avec l’état ottoman, attirant un public et le patronage des membres de l’administration à Istanbul et dans les provinces. A partir du 16e siècle, des zawiyas se forment dans les principales villes de l’empire ottoman comme Alep, Le Caire, Damas et Tripoli. Le déclin de l’empire ottoman fut un désastre pour les malawis qui perdirent leurs appuis politiques et économiques. Plus encore, la Mawlawiyya fut mise hors la loi par la république turque et ne fut que récemment autorisée à reprendre ses activités en Turquie sous le couvert de l’héritage culturel turque. A Alep où le grand maître de l’ordre a vécu un temps dans les années 50, avant d’émigrer aux USA, la zawiya Malawi reste encore en activité. Les derviches mawlawi continuent d’exécuter régulièrement des samas comme rites initiatiques mais également comme spectacles culturels pour les touristes et les curieux, ce qui permet de conserver vivace la fascination des publics occidentaux envers ce rite artistique et raffiné. La principale originalité des malawiyyas est le sama, rituel durant lequel un concert de flûte, de tambours et de chansons du poète mystique Rumi est associé aux mouvements tournoyants des derviches autour du Sheikh. Cette danse tournante représente le mouvement des planètes autour du soleil qui symbolise uploads/Societe et culture/ tans-soufie-alep.pdf

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