La conceptualisation veblenienne de l’ostentation revisitée… Touzani Mourad ; L

La conceptualisation veblenienne de l’ostentation revisitée… Touzani Mourad ; Laouiti Sawsen Colloque de l’Association Tunisienne du Marketing, Tunis, Mars 2003. LA CONCEPTUALISATION VEBLENIENNE DE L’OSTENTATION REVISITEE : UNE APPROCHE EMPIRIQUE Mourad TOUZANI Enseignant-chercheur à l’Institut Supérieur de Gestion, Tunis CEROG, Institut d'Administration des Entreprises, Aix-en-Provence URM, Institut Supérieur de Gestion, Tunis Sawsen LAOUITI URM, Institut Supérieur de Gestion, Tunis Résumé: L’apport de Veblen à la compréhension des comportements de consommation « non rationnels », au sens économique du terme est fondamental. Au-delà de l’effet Veblen, devenu un sujet d’étude commun à plusieurs disciplines des sciences humaines, les apports de cet auteur se situent également au niveau de la mise en valeur des éléments pouvant être à l’origine de l’ostentation, notamment l’influence interpersonnelle, le désir d’unicité, la sensibilité au prix de prestige, le matérialisme et l’effet de mode. A travers une étude empirique menée dans le contexte tunisien, une tentative de confirmation de ce cadre conceptuel est proposée dans cette recherche. Mots-clés : Veblen, consommation ostentatoire, luxe, conformisme social, différenciation, logique de cherté. THE VEBLENIAN CONCEPTUALIZATION OF CONSPICUOUSNESS REVISITED : AN EMPIRICAL APPROACH Abstract: Veblen’s contribution to a better understanding of “non rational” buying behavior (in the economic sense) is crucial. One of the most important contribution is linked to the Veblen- effect, which became a common topic of interest in the social sciences field. This author also helped to highlight the main factors explaining conspicuousness, such as interpersonal influence, the desire of uniqueness, prestige price sensitivity, materialism and fashion. In this research, an empirical study is done in the Tunisian context to check the validity of this conceptual model. Key words: Veblen, conspicuous consumption, luxury, social conformism, differentiation, expensive price effect. 1 INTRODUCTION La consommation revêt souvent un aspect fonctionnel, auquel s’ajoute un aspect symbolique lié à l’individu et à la place qu’il occupe au sein de la société. De ce fait, il semble important de ne pas considérer un bien uniquement compte tenu de ses caractéristiques intrinsèques liées à une fonction purement utilitaire et à la satisfaction des besoins. La consommation intègre, dans son sens plénier du terme, une dimension symbolique et statutaire qu’il convient de ne pas négliger, sous peine de tronquer la définition de la consommation de son aspect le plus décisif. Même s’il s’agit d’un mode de consommation présent depuis toujours, la consommation visant le prestige social a longtemps été ignorée par les théoriciens économiques par souci de rationaliser, de créer une théorie pure dénuée d’explications socioculturelles et psychologiques. Ce n’est qu’au XIXe siècle que les premiers écrits sur la consommation ostentatoire ont vu le jour avec les travaux de Veblen (1899). Cet auteur part de la constatation que la richesse ne suffit pas en soi pour témoigner du succès économique, mais que les individus éprouvent le besoin d’en faire étalage par l’adoption d’un comportement ostentatoire visant un certain statut social dans la collectivité. Cette recherche part des principaux travaux relatifs à la consommation ostentatoire par la présentation de la conceptualisation initiale de Veblen et des travaux qui ont succédé et qui ont permis d’enrichir ce cadre de référence. Une étude empirique se basant sur un sondage auprès de 200 individus est ensuite menée, avec comme objectif la détermination de la nature, de l’importance et du niveau d’intervention des antécédents significatifs de la consommation ostentatoire. REVUE DE LA LITTERATURE D’un point de vue étymologique, la notion d’ostentation dérive du latin ostentatio, de ostendere qui signifie montrer. Il s’agit d’une certaine emphase, d’une certaine exagération dans le comportement qui vise à se montrer, à se faire remarquer par un étalage en vue de signaler quelque chose. Veblen (1899) définit la consommation ostentatoire comme étant un comportement de consommation qui consiste à signaler richesse pouvoir et statut plutôt que les bénéfices liés à l’usage. La définition adoptée par Lendrevie et Lindon (2000) reste fidèle à celle de Veblen. Il s’agit d’une "consommation dont la finalité est la démonstration de la richesse et du statut social de celui qui l’accomplit". Il s’agit d’une consommation sous le regard des autres, qui ne prend de ce fait pas sa source dans les fonctionnalités et les qualités intrinsèques des biens consommés mais dans la dimension symbolique et statutaire qui leur est socialement attribuée. Il est nécessaire à cet effet de consommer des biens emblématiques d’un certain statut social, chargés de toute une symbolique reconnue aux yeux des autres : les produits de luxe. D’après Allerès (1992), "le luxe est avant tout une notion de rêve accompagné de quelque chose de fonctionnel". Cette définition intègre deux dimensions : l’abstrait mis en évidence par le « rêve » évocateur d’une représentation idéale de ce que tout individu désire avoir ou réaliser ; et le monde réel, le concret renvoyé par « fonctionnel ». Il est à noter que ce retour au monde réel est toutefois très atténué. Allerès (1997) donnera plus tard une autre définition des biens de luxe dans laquelle elle ne retient que la première dimension : celle de l’abstrait. La notion de consommation ostentatoire, définie précédemment, a été évoquée pour la première fois par Veblen en 1899 dans son ouvrage intitulé The Theory of the Leisure Class, 2 qui a été traduit par La Théorie de la Classe de Loisirs. Il y décrit le comportement de la haute société qu’il va nommer « classe de loisirs », « prédateurs » ou « oisifs ». En effet, ses membres ne travaillent pas et consomment ce que produit la « classe travailleuse ». Sa théorie est essentiellement basée sur la doctrine de Marx (1867) qui dénonce à l’époque l’exploitation de la classe ouvrière par la bourgeoisie et préconise la lutte des classes. La consommation ostentatoire part de la constatation que la richesse en soi n’est pas suffisante comme témoignage de réussite. Lorsqu’un individu affiche une volonté de se voir attribuer un statut, il cherche l’approbation et le jugement de la société, de ses pairs, de ses groupes de référence. La richesse, les produits de luxe vont de ce fait être transformés en statut par simple démonstration. Pour Veblen (1899) la classe de loisirs bénéficie de deux types de comportements ostentatoires : les activités de loisirs et les dépenses et consommations de biens conférant un statut. Il y a lieu de préciser à titre indicatif que la consommation ostentatoire est observée à tous les niveaux de la hiérarchie de différentes manières ; elle ne touche pas seulement la classe de loisirs. De ce fait, Veblen identifie deux types de comportements : la comparaison provocante (“individuous comparison”) et l’émulation pécuniaire (“pecuniary emulation”). La comparaison provocante désigne le comportement adopté par la haute société ou classe de loisirs qui va consommer ostensiblement pour se distinguer des classes de position inférieure dans la hiérarchie sociale. Elle consiste à se différencier par une certaine exclusivité et vise à maintenir un certain statut. L’émulation pécuniaire, quant à elle, est adoptée par les classes de position inférieure qui vont consommer ostensiblement dans le but d’accéder à un ou à des niveaux supérieurs et de ce fait d’être considérées comme membres de la haute société. Il est possible de diviser les comportements de la consommation ostentatoire de la théorie de Veblen en trois axes, mis en évidence par Jalladeau (2000), à savoir : la logique de conformisme social, la logique sociale discriminante ou de différenciation, et la logique de cherté. Le conformisme social désigne le fait d’adopter le même comportement que le groupe auquel l’individu appartient ou cherche à appartenir du fait de l’influence interpersonnelle. Pour être reconnu socialement, accéder à un statut, appartenir à un groupe, il semble nécessaire voir même obligatoire de se conformer aux normes fixées par cette société d’appartenance. L’individu qui adopte un comportement de consommation ostentatoire le fait parce qu’il est sensible à l’influence interpersonnelle émanant des membres du système social auquel il cherche à s’identifier. H1 : Plus l’influence interpersonnelle est importante, plus l’individu va consommer ostensiblement. Le deuxième axe de la consommation ostentatoire est la discrimination. C’est le fait de se différencier, se démarquer de la masse pour atteindre un statut ou le maintenir aux yeux des autres membres de la société d’appartenance. D’après Veblen, il s’agit de "rabaisser autrui par comparaison pécuniaire". Cette discrimination répond à un désir d’unicité du fait du caractère déplaisant de la trop grande ressemblance à autrui (Fromkin, 1972 ; Snyder et Fromkin, 1980). Du fait que les possessions sont souvent une extension du "moi" (Belk, 1988), une manière de répondre à ce désir d’unicité sera d’adopter un comportement de consommation ostentatoire, qui constituera alors un moyen privilégié de se distinguer des autres. H2 : Le désir d’unicité est un antécédent de la consommation ostentatoire. Il faut noter que la dichotomie différenciation / conformisme, qui fait référence à la discrimination, d’une part, et à l’influence interpersonnelle, d’autre part, peut à première vue 3 exprimer une contradiction. Or, ces deux concepts se trouvent être, au contraire étroitement liés, mais ils n’interviennent pas sur le même terrain. La première logique sert à se distinguer des autres groupes sociaux, de la masse uploads/Societe et culture/ touzani-laouiti.pdf

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