Volume ! La revue des musiques populaires 9 : 2 | 2012 Contre-cultures n°2 La c
Volume ! La revue des musiques populaires 9 : 2 | 2012 Contre-cultures n°2 La contre-culture en France : un entretien avec Klaus Blasquiz The Counterculture in France: An Interview with Klaus Blasquiz Klaus Blasquiz et Philippe Gonin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/3242 DOI : 10.4000/volume.3242 ISSN : 1950-568X Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2012 Pagination : 125-132 ISBN : 978-2-913169-33-3 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Klaus Blasquiz et Philippe Gonin, « La contre-culture en France : un entretien avec Klaus Blasquiz », Volume ! [En ligne], 9 : 2 | 2012, mis en ligne le 15 décembre 2012, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/volume/3242 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.3242 L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 125 Volume ! n° 9-2 Klaus Blasquiz est aujour- d’hui en- core surtout connu pour son passage dans le groupe Magma dont il fut durant plus de dix ans l’un des fls conducteurs, marquant de sa voix et de sa pré- sence la période sans doute la plus glorieuse et la plus créative de l’histoire du groupe 1. Après son départ, à l’aube des années 1980, Klaus Blasquiz entame ou poursuit diverses activités. Il tient notamment une chronique, intitulée techno rock (et sous-titrée Klaus to You) dans Rock & Folk et participe à l’aventure du Ramon Pipin’s Odeurs. Il tourne en qualité de cho- riste avec Renaud (« un type d’apparence sympa » 2), participe à divers projets musicaux et prête sa voix à de nombreux albums (avec, entre autres Richard Pinhas). Féru de technologie, Klaus Blasquiz donne aujourd’hui des cours sur le son, s’intéresse à la psy- choacoustique et aux musiques du monde. Il se pro- duit également épisodiquement avec Maison Klaus. Acteur incontestable de la mouvance « pop » qui jaillit en France dans l’efervescence post-soixante- huitarde, nous avons voulu lui poser quelques questions sur son sentiment, quelques quarante années plus tard, sur la façon dont il vécut et perçut la contre-culture. Cet entretien a été réalisé au printemps 2010. Philippe GONIN : Le milieu des années 1960 marque un tournant dans la société française : mai 68 semble être le moment où la contre-culture héritée des États- Unis va véritablement exploser en France. C’est à cette époque que tu deviens l’un des acteurs de la vie musicale. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette période. Que signifent pour toi les mots « contre-culture » en France ? Klaus Blasquiz : On peut entendre le mot contre- culture comme culture contre (contestataire) ou comme culture à côté, en marge, en souterrain. J’agrée personnellement aux deux acceptions dans la par Philippe Gonin Université de Bourgogne La contre-culture en France : un entretien avec Klaus Blasquiz 126 Volume ! n° 9-2 Philippe Gonin mesure où mai 68, en France, a porté l’un et l’autre. En ce début des années 1970, on en est d’un côté à la lutte politique radicale et au partage de paix et d’amour dans des « communautés » éphémères retournées chichement à la campagne. Pourtant, le terme de culture, quand il s’agit d’un mouvement précisément assez faiblement culturé, me paraît là aussi quelque peu abusif. Alors que dire d’une culture « urbaine » aujourd’hui, quand on débite du rap (plus de trente ans après sa création) ou que l’on crache abondamment par terre afn de bien marquer son appartenance à une communauté ? La musique, les musiques populaires ont déjà fait leur révolution, en passant de loisir facultatif (la danse du samedi soir ou la pièce dans le juke-box entre deux Coca) à style de vie (on mange, dort, s’habille respire rock). La (cul) culture rock. Que faisait Klaus Blasquiz en mai 68 ? En mai 68, je m’occupe à occuper, dans un premier temps, l’École Nationale des Arts Appliqués et des Métiers d’Arts (les zarza), dans laquelle je termine un cycle de 6 ans m’amenant à un diplôme. Je vais ensuite « entrer » aux beaux-arts, en section Arts Plastiques, au tout début des années 1970. J’y suis maître-assistant, en même temps que j’enseigne à la fac de Vincennes la « fguration narrative », nom Magma, groupe «intermédiaire» (1976). Après le départ de Bernard Paganotti, Christian Vander rappelle Janik Top et Michel «Mickey» Graillier alors que Gabriel Fédérow et Didier Lockwood restent de la formation précédente. Entretien avec Klaus Blasquiz 127 Volume ! n° 9-2 savant pour bande dessinée, en compagnie de Jean- Claude Mézières, l’auteur de Valérian et Lauréline 3. En même temps que débute Magma, une aventure si intense et formatrice, que je vais vite ne plus me consacrer qu’à la musique. Courant mai, après avoir « manifesté » régulièrement, j’occupe les beaux-arts. J’y dors même, tout en produisant avec mes petits doigts des afches en sérigraphie, à longueur de temps. Mes vêtements et chaussures vont en porter des traces pendant longtemps. Parfois, je me charge de la livraison, à vélo, de rouleaux de certaines d’entre elles. « La Police s’afche aux beaux-arts, les beaux-arts s’afchent dans la Rue », « La Police vous parle tous les soirs à 20h », « La Chienlit c’est Lui »… Les transports en commun sont en grève, je les trimbale péniblement jusqu’en banlieue, pour les fournir à des « bahuts » et des facs passablement éloignés du Quartier Latin. Avec mon groupe les Bluesmakers, nous allons jouer gracieusement un peu partout. Un jour, nous nous rendons à Flins dans une usine Renault. Il fait chaud et beau et on nous installe dans une cour poussiéreuse (ou bien était-ce un parking ?) entre deux énormes bâtiments. Quelques planches posées sur le sol et nous « montons le matos » sous le regard perplexe des ouvriers occupant l’usine. Concert en plein après-midi, quelques dizaines de spectateurs en bleu de travail, beaucoup de passage, remballage dans le camion Saviem (bleu) du père d’un copain, à peine un merci, rien à boire ou à manger… de quoi j’me mêle ? On vous a pas demandé d’venir… La contre-culture se manifeste un beau dimanche de printemps, en plein soleil : « Votre musique de nèg’, ça fait du bruit, on comprend pas les paroles, ça se danse même pas… ». En 1970 : la fac de Nanterre organise un concert de Magma. Chic : on va pouvoir montrer aux étu- diants parmi les plus politisés du monde ce dont le groupe est capable. Ça se passe dans un grand amphi au beau milieu du campus. Le prix d’entrée a été fxé à 5 francs mais, au dernier moment, alors que la salle est déjà pleine, un groupe de situationnistes force la porte, qu’ils détruisent violemment, en écrasant quelques nez d’organisateurs au passage. Ils n’ont pas voulu payer l’entrée : sans doute parce qu’ils consi- dèrent que la culture doit être gratuite. Ils s’installent au premier rang, par terre, et commencent à vider quelques bouteilles de gros rouge. L’un d’entre eux, armé d’une bombe de peinture, alors que nous avons fnalement commencé à jouer, au plus grand bonheur de la majorité de l’audience, va inscrire en grandes lettres sur le magnifque cyclo blanc derrière nous : « Les clowns sont sur scène, les veaux dans la salle : l’ordre pop n’est pas menacé. » Loulou, notre road à tout faire, une véritable force de la nature, va le déloger d’une main et le faire valser vers la sortie, sous les applaudissements d’un public goguenard. Nous n’avons pas arrêté de jouer. Finalement, penaud, le petit groupe de « gauchistes » va rejoindre son cama- rade évacué sous les sifets de ceux qui étaient venus pour de la musique qu’ils considéraient sans doute comme réellement révolutionnaire. Qui selon toi portait dans les domaines de la littérature, des arts, les valeurs de cette contre-culture en France ? Il en est du rock comme de tant d’autres choses : il y a le rockement correct d’un côté (les variétés) et l’avant-garde, la création, la recherche, l’utopie et l’indéfnissable. Ceux qui avaient cette dernière attitude n’en avaient pas forcément les moyens. Le passage vers une vraie contre-culture aurait pu (dû) 128 Volume ! n° 9-2 Philippe Gonin se faire par l’entremise de véritables créateurs. Tout au moins en matière de musique. La littérature aura son Nouveau Roman, la peinture descendra défni- tivement du tableau pour « s’installer » et le théâtre inventera de nouvelles formes plus révolutionnaires (café-théâtre ou happening). Mais heureusement tout le monde (ou presque) rentrera dans le rang avant la fn de la décennie (les bronzés font du rock ?). Alain Dister a dit un jour : « le yé-yé était la corrup- tion de ce que nous on aimait : c’est-à-dire du rock et de la pop music qui venaient d’Angleterre et des Etats- Unis et qui, arrivés en France étaient ridiculisés par les yé-yés. » (Kervran et al., 2010 : 23) Es-tu d’accord avec cela ? Tout à fait, ou presque. Dister oubliait sans doute, ou voulait oublier, que le business avait déjà complète- ment phagocyté et récupéré le rock et la pop music. Et puis, le rock des années 1960 n’avait-il pas uploads/Societe et culture/ volume-3242 3 .pdf
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- Publié le Mai 19, 2021
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