Thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres Michel Foucault Introduction à

Thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres Michel Foucault Introduction à lʹAnthropologie de Kant Une note de lʹAnthropologie indique quʹavant dʹêtre rédigé, le texte en avait été prononcé pendant quelque trente ans; les leçons du semestre dʹhiver lui étaient consacrées, celles de lʹété devant être réservées à la géographie physique. En fait, ce chiffre nʹest pas exact; Kant avait commencé son enseignement de géographie dès 1756; les cours dʹAnthropologie en revanche nʹont été inaugurés probablement que pendant lʹhiver 1772‐1773. Lʹédition du texte que nous connaissons coïncide avec la fin des cours, et avec la retraite définitive de Kant comme professeur. Le Neues deutsches Merkur de 1797 fait mention de la nouvelle qui lui est transmise de Königsberg: «Kant publie cette année son Anthropologie. Il lʹavait jusquʹà présent gardée par‐devers lui parce que, de ses conférences les étudiants ne fréquentaient guère plus que celle‐ci. Maintenant, il ne donne plus de cours, et nʹa plus de scrupule à livrer ce texte au publique». Sans doute, Kant laisse‐t‐il son programme figurer encore au catalogue du semestre dʹété 1797, mais il avait en publique, sinon dʹune manière officielle, déclaré quʹ«à raison de son grand âge, il ne voulait plus faire de conférences à lʹUniversité». Le cours définitivement interrompu, Kant sʹest décidé à en faire imprimer le texte. De ses divers états, avant cette rédaction dernière, nous ne connaissons rien, ou presque. A deux reprises Starke a publié, après la mort de Kant, des notes qui avaient été prises par des auditeurs. Aucun de ces deux ouvrages cependant ne mérite une absolue confiance; il est difficile de faire crédit à des notes publiées 35 ans après la mort de Kant. Cependant le second recueil comprend un élément important qui ne figure pas dans le texte publié par Kant: un chapitre «Von der intellectuellen Lust und Unlust». Selon Starke le manuscrit de ce chapitre aurait été perdu lorsque Kant lʹa envoyé de Königsberg à Iéna pour le faire imprimer. En fait, rien dans le manuscrit de lʹAnthropologie, tel quʹil existe à la Bibliothèque de Rostack, ne permet de supposer quʹun fragment en a été perdu. Il est plus vraisemblable que Kant nʹa pas voulu faire place, dans lʹouvrage imprimé, à un texte qui avait par fait partie, jadis, de son enseignement oral. Quant au premier recueil de Stark, sʹil faut sʹy arrêter, cʹest quʹil comporte une précision de date; les notes qui le constituent avaient été prises au cours du semestre dʹhiver 1790‐1791: Michel Foucault 2 sur deux points touchant à la conception et à la structure même de lʹAnthropologie, elles indiquent quʹun changement a dû se produire entre lʹannée 1791 et la rédaction définitive du manuscrit. De ce texte, formé et développé pendant 25 ans, transformé certainement à mesure que la pensée kantienne se dégageait dans de nouvelles formulations, nous nʹavons donc quʹun état: le dernier. Le texte nous est donné, déjà chargé de sédimentations, et refermé sur le passé dans lequel il sʹest constitué. Ces 25 années qui ont vu se clore les premières recherches, sʹamorcer la critique, se développer dans son équilibre tripartite la pensée kantienne, sʹétablir enfin le système de défense contre le retour leibnitien, le scepticisme de Schulze et lʹidéalisme de Fichte, sont enfermées dans le texte de lʹAnthropologie, et sa coulée continue, sans quʹun seul critère extérieur et certain permette de dater telle et telle couche de sa généalogie profonde. Et pourtant, il ne serait pas indifférent de savoir quel a été le coefficient de stabilité de lʹAnthropologie par rapport à lʹentreprise critique. Y avait‐il dès 1772, et subsistant peut‐être tout au fond de la Critique, une certaine image concrète de lʹhomme quʹaucune élaboration philosophique nʹa pour lʹessentiel altérée, et qui se formule enfin, sans modification majeure, dans le dernier des textes publiés par Kant? Et si cette image de lʹhomme a pu recueillir lʹexpérience critique, sans se défigurer pour autant, nʹestce pas peut‐être parce queʹelle lʹa jusquʹà un certain point, sinon organisée et commandée, du moins guidée, et comme secrètement orientée? De la Critique à lʹAnthropologie, il y aurait comme un rapport de finalité obscure et obstinée. Mais il se peut aussi que lʹAnthropologie ait été modifiée dans ses éléments majeurs à mesure que se développait la tentative critique: lʹarchéologie du texte, si elle était possible, ne permettrait‐elle pas de voir naître un «homo criticus», dont la structure diffèrerait pour lʹessentiel de lʹhomme qui lʹa précédé? Cʹest à dire que la Critique, à son caractère propre de «propédeutique» à la philosophie, ajouterait un rôle constitutif dans la naissance et le devenir des formes concrètes de lʹexistence humaine. Il y aurait une certaine vérité critique de lʹhomme, fille de la critique des conditions de la vérité. Mais nʹespérons pas dʹindubitables réponses à des interrogations aussi univoques. Le texte de lʹAnthropologie nous est donné dans sa forme terminale. Et nous aurons pour nous guider dans cette tentative quatre séries dʹindices, toutes très partielles: a/ Les Reflexionen se rapportant à lʹanthropologie que lʹédition de lʹAcadémie a regroupées en essayant de leur donner une date. Encore Introduction à l'Anthropologie de Kant 3 faut‐il faire remarquer que bien peu de ces fragments sont assez étendus pour donner une image de ce quʹa pu être lʹAnthropologie à un moment donné; et sʹil est vrai que la datation approximative est proposée avec prudence, le regroupement a été fait selon le plan 1798, comme sʹil avait été un cadre permanent depuis 1772. Dans ces conditions seules des modifications de détail deviennent déchiffrables. b/ Les Collegentwürfe ont été répartis dans lʹédition de lʹAcadémie en deux sections: lʹune réunissant les années 1770‐1780; lʹautre les années 80‐90. Malgré les mêmes difficultés que pour les Réflexions on peut apercevoir en comparant ces textes à celui de 1798, des glissements majeurs dans le sens même de lʹAnthropologie, ou dans le centre dʹéquilibre de lʹouvrage (importance plus grande apportée par les Collegentwürfe, aux thèmes de lʹhistoire, de la citoyenneté, du cosmopolitisme). c/ La comparaison avec les textes de la période précritique, et la comparaison avec les textes contemporains, ou à peu près, de la rédaction définitive de lʹAnthropologie. On peut alors isoler quelques éléments qui sont restés absolument stables depuis le début du cours jusquʹà sa publication. En revanche certains problèmes qui ont dominé la pensée de Kant vers les années 1796‐1798 ont à coup sûr fait pression sur le texte définitif de lʹAnthropologie et dans cette mesure, plusieurs thèmes du texte de 1798 sont dʹapport récent. d/ La confrontation avec les textes contemporains qui traitent du domaine anthropologique. Certaines coïncidences, par exemple, avec la Psychologia empirica de Baumgarten que Kant a lue très tôt, indiquant, à nʹen pas douter, des éléments permanents dans lʹAnthropologie; dʹautres, avec lʹEmpirische Psychologie de C.C.E.Schmidt révèlent au contraire une formation tardive. Mais là encore, il faut être prudent; car très souvent, il nʹest pas possible de savoir si lʹemprunt a été fait par Kant à un livre publié, ou inversement si lʹauteur nʹa pas emprunté à la doctrine écrite ou à lʹenseignement oral de Kant (transmis par les notes des élèves) tel élément que lʹon retrouve dans lʹAnthropologie comme dans sa patrie dʹorigine. Il semble, par exemple, que Ith ait parfaitement connu lʹensemble de lʹœuvre de Kant, souvent citée par lui dans son Versuch emier Anthropologie; Schmidt y fait également référence. Mais tous ces recoupements ne peuvent guère servir quʹà dégager les abords; ils laissent inentamé le problème central des rapports anthropologico‐critiques. Mais, aussi incertaines quʹelles soient, ces indications ne doivent pas être négligées. En confrontant ce quʹelles peuvent apprendre avec les textes de lʹAnthropologie et ceux de la Michel Foucault 4 Critique, on peut espérer voir comment le dernier des ouvrages de Kant se trouvait engagé à la fois dans la série des recherches précritiques, dans lʹensemble de lʹentreprise critique elle‐même, et dans le groupe des travaux qui, à la même époque, tentent de cerner une connaissance spécifique de lʹhomme. Et dʹune manière paradoxale, ce triple engagement rend lʹAnthropologie contemporaine à la fois de ce qui précède la Critique, de ce qui lʹaccomplit et de ce qui va bientôt la liquider. Il nʹest pas possible pour cette raison même de dissocier tout‐à‐fait, dans lʹanalyse de lʹouvrage, la perspective génétique et la méthode structurale: nous avons affaire à un texte qui, dans son épaisseur même, dans sa présence définitive et lʹéquilibre de ses éléments, est contemporain de tout le mouvement quʹil clôture. Seule une genèse de toute lʹentreprise critique, ou du moins la restitution de son mouvement dʹensemble pourrait rendre compte de cette figure terminale en laquelle elle sʹachève et sʹefface. Mais inversement, la structure des rapports anthropologico‐critiques pourrait seule permettre, si elle était exactement définie, de déchiffrer la genèse qui sʹachemine vers cet équilibre dernier, — ou pénultième sʹil est vrai que lʹOpus postumum fait déjà les premiers pas sur le sol, enfin rejoint, de la philosophie transcendantale. Réglons dʹabord quelques questions de dates. Un certain nombre dʹindices permettent de situer avec assez dʹexactitude le moment où fut rédigé le texte de lʹAnthropologie, parue chez Nicolovius en octobre 1798. 1) Dans une lettre à Christophe Wilhelm uploads/Societe et culture/kant.pdf

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