1. « La vengeance est un plat qui se mange froid. » Installée près du hublot, L
1. « La vengeance est un plat qui se mange froid. » Installée près du hublot, Lizzie repensa aux paroles de son père tandis que l’avion-cargo amorçait sa descente. « Et la détermination, une qualité admirable », avait poursuivi Lord Reginald Fane en se servant un nouveau verre de son scotch préféré, dont il faisait une consommation immodérée. Elle n’en manquait pas, de détermination, mais, au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de son but, elle se demandait si elle n’avait pas visé trop haut. Non seulement elle se retrouvait à l’autre bout de la planète, mais encore la perspective de revoir Chico Fernandez l’ébranlait plus qu’elle ne l’aurait cru. — Comment peux-tu rester aussi calme ? Assise à côté d’elle, Danny lui agrippa la main d’un air terrifié. — Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer, répliqua Lizzie d’un ton rassurant. En réalité, elle partageait l’appréhension de son amie. Lorsque, par l’étroit hublot, elle vit le sol se rapprocher à une vitesse vertigineuse, son estomac se contracta. Sa véritable inquiétude ne venait cependant pas des dimensions modestes de la piste d’atterrissage, ni du fait que l’avion soit rempli de chevaux, d’apprentis cavaliers, de soigneurs, dresseurs et autres profils liés à l’équitation, qui se dirigeaient tous vers le ranch de réputation internationale appartenant au célébrissime joueur de polo Chico Fernandez. L ’avion-cargo atterrirait sans problème, mais elle, réussirait-elle à se sortir le cœur indemne de ce séjour ? Avec le recul, Lizzie avait du mal à admettre que Chico ait pu compter autant pour elle autrefois. Elle avait quinze ans, à l’époque. Durant un merveilleux été, Chico avait été son ami intime, son confident, jusqu’à ce que, du jour au lendemain, Lady et Lord Fane voient en lui l’incarnation du diable. Depuis, son père avait répété à Lizzie que Chico Fernandez était l’ennemi juré des Fane. Et pourtant, paradoxalement, elle avait pour mission de lui soutirer tous les secrets de son art, afin de rentrer à Rottingdean avec l’expérience et le savoir nécessaires pour faire revivre le centre d’élevage familial ; dont, toujours aux dires de son père, Chico avait causé la ruine. Au fil des années, Lizzie avait découvert la propension de son géniteur à dissimuler ses erreurs sous d’éternelles fanfaronnades. Elle avait appris à démêler le vrai du faux et à se faire sa propre opinion concernant ses jugements à l’emporte-pièce. De son côté, c’était pour des raisons strictement professionnelles qu’elle avait tout fait pour décrocher la bourse et le stage attribués par le centre de formation équestre où elle suivait son entraînement. Si son père y voyait l’opportunité idéale de se venger de Chico, c’était son problème à lui, pas le sien. Néanmoins, Lizzie l’avait écouté patiemment ressasser que Chico lui avait volé sa réputation, son entreprise, sa fortune, ses chevaux… — Ce bandit de Fernandez m’a dépossédé de tout… jusqu’à ta mère ! Ne l’oublie jamais, Elizabeth ! Comment aurait-elle pu oublier ces diatribes enflammées visant à la convaincre que sans Chico, le vénérable Lord Fane ne serait jamais devenu un ivrogne ? Que sa femme ne l’aurait jamais quitté pour aller vivre dans le sud de la France, avec le dernier en date d’une longue succession de jeunes amants ? Ses parents avaient été jusqu’à affirmer à Lizzie que Chico n’était qu’une petite vermine malfaisante qui avait forcé Lady Serena Fane à coucher avec lui. Lizzie ne les avait pas crus, bien sûr. Impossible pour elle de faire coïncider la violence d’un tel acte avec le jeune homme qui avait été son ami. Oui, sa mère avait tout fait pour détruire leur amitié, au prétexte que Lizzie, fille d’aristocrates écossais, ne pouvait se compromettre avec un va-nu-pieds sorti d’un bidonville. Se croyant alors amoureuse de Chico, Lizzie se fichait bien de ses origines. Elle s’en fichait toujours, d’ailleurs, mais elle n’était plus l’adolescente naïve d’alors. Quoi que dise son père, elle savait parfaitement que son ami d’autrefois n’était responsable en rien du déclin de la famille Fane. Sa grand- mère, qui s’était occupée d’elle après avoir obtenu sa garde, le lui avait confirmé : ses parents n’avaient eu besoin de l’aide de personne pour faire sombrer le domaine familial. Lizzie avait toujours soupçonné que sa grand-mère était revenue s’installer à Rottingdean House parce qu’elle avait découvert que son fils et sa bru organisaient des soirées douteuses. Des sortes de fêtes durant lesquelles les invités s’enivraient, se livrant derrière les portes closes à de drôles de choses dont Lizzie pressentait la nature dépravée. Elle n’avait pas partagé ses soupçons avec Chico, lui parlant seulement de son mal-être. Le jeune homme n’avait pas eu besoin de plus d’explications pour lui promettre de l’emmener loin de cette atmosphère délétère. Avant de repartir au Brésil sans même lui dire au revoir… Cruellement blessée, Lizzie ne s’était jamais remise de ce départ qu’elle considérait comme une trahison. Ils avaient partagé tant d’aventures, chevauchant dans la lande à bride abattue. Ils avaient échangé des petits cadeaux de rien du tout, surveillés de loin par le rigoureux mais bienveillant Eduardo Delgardo, célèbre joueur de polo brésilien et mentor de Chico. A présent, si elle voulait gérer ses sentiments mitigés envers Chico, Lizzie n’avait pas le choix. Elle se concentrerait sur la seule chose qui lui importait : le don magique qu’il possédait avec les chevaux. Si elle pouvait profiter de tout ce qu’il pourrait lui enseigner, elle obtiendrait la clé permettant de sauver l’entreprise familiale. Par ailleurs, elle brûlait de montrer à Chico que l’adolescente impressionnable d’autrefois s’était muée en une femme aussi motivée et déterminée que lui. Le côtoyer chaque jour s’avérerait sans doute difficile, voire douloureux, mais l’échec était impensable parce que l’avenir de Rottingdean, et de tous ceux qui y travaillaient, reposait sur elle. Un gémissement affolé échappa à Danny, tirant Lizzie de ses pensées. L ’avion atterrissait. Impossible de revenir en arrière, désormais. * * * Quand Lizzie se tourna de nouveau vers le hublot, un frisson la parcourut. Ecrasé sous un soleil de plomb, le paysage était encore plus impressionnant, plus sauvage que sur les photos qu’elle avait vues dans les magazines ou sur Internet. Après avoir été immobilisés aussi longtemps, les chevaux seraient agités, songea-t-elle en détachant sa ceinture de sécurité. Il faudrait faire preuve de fermeté et de douceur à leur égard, ce en quoi elle se savait plutôt efficace. Les chevaux représentaient tout son univers, toute sa vie, et ils paraissaient sentir combien elle leur était attachée : en général, sa seule présence suffisait à les rassurer. Lizzie se leva de son siège et alla les rejoindre, avant même que l’appareil soit complètement immobilisé sur la piste. Puis elle resta auprès du cheval le plus nerveux jusqu’à ce que l’arrière de l’avion s’ouvre, laissant entrer le soleil à flots. Au même instant, elle entendit une voix rauque, virile et incroyablement familière lancer un ordre impérieux en portugais. Pétrifiée, Lizzie fut envahie par un mélange d’émotions contradictoires. Manifestement, Chico Fernandez avait l’habitude d’être obéi au doigt et à l’œil… En même temps, une nostalgie infinie l’emplit, à tel point qu’elle se revit soudain à Rottingdean, à quinze ans, bien au chaud dans les écuries, suspendue aux lèvres de son héros. — Lizzie…, murmura Danny en lui secouant le bras. — Qu’est-ce qu’il a dit ? — Que ce n’était pas le moment de rester les bras croisés à ne rien faire, traduisit son amie qui se débrouillait mieux qu’elle en portugais. — Ah… — Lizzie ! insista Danny. C’est de toi qu’il parle ! Les joues en feu, Lizzie regarda vers l’avant de l’avion, sans y voir la moindre trace de Chico. Rien d’étonnant : il n’avait jamais été du genre à rester en place. Au même instant, elle aperçut une haute silhouette vêtue de noir qui grimpait à bord d’une jeep. Chico était encore plus grand que dans son souvenir, et il semblait si impérieux, à présent, si sûr de lui. Le cœur battant à tout rompre, elle regarda le véhicule s’éloigner à vive allure en soulevant un nuage de poussière. Pas étonnant que Chico ait changé : douze longues années s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. Elle se ressaisit aussitôt. Si elle voulait tirer profit de ce stage, elle devait garder la tête sur les épaules. Alors, pas question de succomber une seconde fois au charme du beau Brésilien ténébreux. — Viens, mon grand, dit-elle au cheval, dont les oreilles frémirent légèrement. Il est temps d’aller goûter à l’air de la pampa ! * * * — Les nouvelles recrues sont arrivées, Maria ! Heureux d’être de retour à la fazenda, Chico traversa l’immense bureau immaculé au plancher de bois ciré et prit la liste que lui tendait sa fidèle assistante. Il échangea un regard affectueux avec elle. Maria était la seule femme en qui il avait confiance. Entre eux, il s’agissait d’ailleurs davantage d’une relation mère fils que d’un rapport employeur employée. Maria avait autrefois occupé l’abri de tôle voisin du sien, dans le barrio où ils uploads/Voyage/ a-toi-depuis-toujours-tentati-susan-stephens.pdf
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- Publié le Jui 05, 2021
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