L'AVENTURE DANS L'ANTICIPATION FÉVRIER 1965 N° 10 SOMMAIRE ROMAN Le Prince des
L'AVENTURE DANS L'ANTICIPATION FÉVRIER 1965 N° 10 SOMMAIRE ROMAN Le Prince des Étoiles par Jack Vance NOUVELLES Le grand ancêtre par Floyd L. Wallace Les dons du twerlik par Jack Sharkey Autodafé par Damon Knight Métamorphose par Charles Van de Vet Le Silkie par A.E. Van Vogt COUVERTURE DE EMSH Maurice Renault Directeur Alain Dorémieux Rédacteur en chef LE PRINCE DES ÉTOILES Jack Vance Gersen était un homme dont la vie était vouée à l'accomplissement d'une mission : se venger. Se venger du plus cruel adversaire que la galaxie ait jamais connu. CHAPITRE 1 « Quel paradoxe, quelle invraisemblable anomalie qu'une différence de quelques centaines de kilomètres – même pas : de mètres, voire de centimètres – suffise à transformer un crime abject en un banal délit ! » (Balder Bashin, dans le Nunciamento Ecclésiarchique de l'année 100 à Foresse, sur la planète Kroklnole.) La loi est impuissante, là où ne peut s'exercer la contrainte. (Dicton populaire.) Extrait de Smade, de la Planète Smade, article vedette dans Cosmopolla, octobre 1523 : QUESTION : Vous sentez-vous parfois isolé Mr : Smade ? RÉPONSE : Impossible, avec trois femmes et onze enfants. Q. – Qu'est-ce qui vous a conduit à vous installer ici ? C'est un monde assez maussade, dans l'ensemble. R. – C'est dans l'œil de l'observateur que réside la beauté. D'ailleurs il ne me déplaît pas de diriger un établissement de vacances. Q. – Quel genre de gens fréquentent votre taverne ? R. – Des personnes qui recherchent la tranquillité et un endroit pour se reposer. Éventuellement un voyageur en provenance de l'intérieur du Pale ou un explorateur. Q. – J'ai entendu dire qu'une certaine partie de votre clientèle était assez turbulente. En réalité, pour parler franc, on pense généralement que la Taverne de Smade est fréquentée par les pirates et les flibustiers les plus notoires de l'Au-Delà. R. – Je suppose qu'ils ont, eux aussi, besoin de se reposer de temps en temps. Q. – Ces gens ne vous créent-ils pas de difficultés ? N'avez-vous pas de peine à maintenir l'ordre ? R. – Non. Ils connaissent les règles de la maison. Je leur dis : Messieurs, cessez, je vous prie. Vos querelles ne regardent que vous ; elles sont fugitives. L'harmonieuse atmosphère de la taverne est ma propriété et j'entends qu'elle demeure permanente. Q. – C'est donc qu'ils vous obéissent. R. – En général. Q. – Et dans le cas contraire ? R. – Je les jette à la mer. * * * Smade était un homme discret. Ses origines, ses premiers démêlés avec la vie étaient connus de lui seul. En l'année 1479 il fit l'acquisition d'un chargement de bois précieux, que pour d'obscures raisons, il emporta sur un petit monde rocheux situé dans le moyen Au-Delà. Et là, avec le concours de dix artisans sous contrat et d'autant d'esclaves, il construisit la Taverne de Smade. Le site était un plateau oblong, couvert de bruyères, entre les montagnes et l'océan, exactement à l'équateur de la planète. Il construisit selon des plans dont l'ancienneté remontait aux origines de l'habitat, utilisant des pierres pour les murs, des poutres de bois et des plaques de schiste pour le toit. Une fois terminée, la taverne participait du paysage aussi intégralement qu'un affleurement de rochers : c'était un long bâtiment à deux étages, avec un pignon élevé, une double rangée de fenêtres sur la façade et le mur de derrière, et des cheminées à chaque extrémité, d'où s'échappait de la fumée provenant de la combustion des mousses fossiles. Derrière l'établissement, on apercevait une rangée de cyprès, dont la forme se mariait parfaitement avec le caractère du paysage. Smade introduisit de nouveaux éléments dans l'écologie du lieu. Dans une vallée abritée, située derrière la taverne, il fit planter du fourrage et des plantes maraîchères. Dans une autre, il élevait un petit troupeau de ruminants et de la volaille. Ces innovations rencontraient un succès modéré, mais animaux et végétation ne montraient aucune disposition à se développer sur toute la planète. Le domaine de Smade s'étendait sur un territoire qui n'avait d'autre limite que sa volonté – il n'y avait pas d'autre habitation sur la planète – mais il choisit de n'étendre ses droits de propriétaire que sur une surface d'environ trois arpents, enclose d'un mur de pierre blanchi à la chaux. Smade ne prêtait aucune attention à ce qui se passait à l'extérieur de son enclos, à moins qu'il n'eût des raisons précises de considérer ses intérêts menacés : événement qui, jusqu'ici, ne s'était jamais produit. La Planète Smade était l'unique satellite de l'étoile Smade, une banale naine blanche qui se situait dans une région relativement clairsemée de l'espace. La flore indigène était plutôt maigre : des lichens, de la mousse, des plantes grimpantes primitives, des algues pélagiques qui donnaient à la mer une teinte noire. La faune était encore plus rudimentaire, si possible : des vers blancs dans la vase qui tapissait le fond de la mer, quelques créatures gélatineuses qui ramassaient et ingéraient les algues noires d'une façon ridiculement ineptes ; un assortiment de protozoaires simples. Les altérations pratiquées par Smade, quant à l'écologie de la planète, pouvaient donc être difficilement considérées comme préjudiciables à son équilibre. Smade lui-même était grand, large et épais, avec une peau blanche comme des ossements séchés dans le désert et des cheveux d'un noir de jais. Ses antécédents, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, étaient vagues, et on ne l'avait jamais entendu évoquer ses souvenirs. La taverne, cependant, était aménagée avec le plus grand apparat. Ses trois femmes vivaient en bonne harmonie, les enfants étaient beaux et bien élevés. Quant à Smade lui-même, il se comportait toujours avec une politesse irréprochable. Ses prix étaient élevés, mais son hospitalité était généreuse, et il faisait montre d'une grande largeur de vues lorsqu'il s'agissait du règlement de ses notes. Un écriteau était suspendu au-dessus du bar : « Mangez et buvez à discrétion. Celui qui peut payer et paie effectivement est considéré comme un client. Celui qui ne le peut doit se considérer comme l'hôte de l'établissement. » Les clients de Smade étaient très divers : il y avait des explorateurs, des techniciens Jarnell, des agents privés à la recherche d'hommes, perdus ou de trésors dérobés, plus rarement un représentant de la CCPI – ou « Belette », dans le jargon de l'Au-Delà. D'autres étaient des personnages plus terribles, qui se classaient dans autant de catégories que de crimes recensés. Faisant de la nécessité une vertu, Smade présentait à tous le même visage. Au mois de juillet 1524, se présenta à la taverne un certain Kirth Gersen, se donnant pour explorateur. Son vaisseau était du modèle de série loué à bail par les établissements dans les limites de l'Œcumène – un cylindre de neuf mètres équipé du strict minimum : à la proue le moniteur auto-pilote duplex, un chercheur d'étoiles, un chronomètre, macroscope et commandes manuelles ; au centre, les cabines de passagers avec machine à air, reconvertisseur organique, banque de renseignements et soutes ; à la poupe, le groupe énergétique, le compartimentage Jarnell et d'autres soutes. Le vaisseau était cabossé et rayé comme pas un. Le déguisement personnel de Gersen se bornait à des vêtements fort usagés et une humeur naturellement taciturne. Smade l'accepta comme il se présentait. « Demeurerez-vous quelque temps, Mr. Gersen ? » — « Deux ou trois jours peut-être. Le temps de la réflexion. » Smade manifesta sa profonde compréhension par une inclinaison de tête. « Il n'y a pas grand monde pour l'instant ; vous serez seul avec le Prince des Étoiles. Vous trouverez ici tout le calme dont vous avez besoin. » — « J'en serai très heureux, » dit Gersen, ce qui était tout à fait vrai ; ses affaires, qu'il venait juste de terminer, l'avaient laissé en tête-à-tête avec une série de problèmes non résolus. Il se détourna, puis s'arrêta et regarda en arrière tandis que les dernières paroles de Smade pénétraient son entendement. — « Il y a donc un Prince des Étoiles à la taverne ? » — « C'est sous ce nom qu'il s'est présenté. » — « De ma vie je n'ai eu l'avantage de voir un Prince des Étoiles. Du moins pas à ma connaissance. » Smade hocha poliment la tête, indiquant ainsi que la conversation avait atteint les limites permises par la discrétion. Il tourna la tête vers la pendule. « Je suggère que vous mettiez votre montre à l'heure locale. Le dîner est à sept heures ; dans une demi-heure exactement. » Gersen monta des escaliers de pierre pour se rendre à sa chambre, cellule austère contenant un lit, une chaise et une table. Il jeta un coup d'œil à travers la fenêtre, le long de la bruyère qui s'étendait entre montagne et océan. Deux astronefs occupaient le terrain d'atterrissage. Le sien et un second, plus vaste et plus lourd, qui était évidemment la propriété du Prince des Étoiles. Gersen fit ses ablutions dans une salle de bains et revint dans le hall uploads/Voyage/ galaxie-010.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
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