1 2 3 Louise Bellocq Ecrivain français du XXe siècle, née à Charleville en 1909

1 2 3 Louise Bellocq Ecrivain français du XXe siècle, née à Charleville en 1909. Elle a écrit des romans pour enfants et obtenu en 1960 le Prix Fémina pour La Porte retombée. L'attribution de ce prix littéraire entraîna de sévères critiques de Béatrix Beck, mais Louise Bellocq fut défendue par Dominique Rollin, et Béatrix Beck présenta sa démission du jury. Bibliographie • 1952 : Le Passager de la Belle aventure • 1955 : La Ferme de l'ermitage • 1960 : La Porte retombée, Prix Femina • 1963 : Mesdames Minnigan • 1964 : Conte de mes bêtes sous la Lune • 1968 : Conte de mes bêtes à l'aventure • ? : Conte de mes bêtes au vent 4 CONTE DE MES BÊTES À L'AVENTURE LOUISE BELLOCQ Imagé par Romain Simon PLAISIR DES CONTES CASTERMA 1968 5 A ma petite Muriel chérie. 6 CIVA et Kâli somnolent chacun sur un des piliers du portail qui s'ouvre sur la villa que Papa et Maman ont louée pour les vacances. De là, ils voient passer sur le chemin les baigneurs qui se rendent à la plage, puis en reviennent. S'ils se retournaient, ils verraient cette eau démesurée, sans fin, terrible, la mer; mais ils ne regardent jamais un spectacle si effrayant. Personne ne passe. C'est l'heure calme avant midi où tout le monde est sur la plage; on peut les apercevoir s'agiter autour des parasols. Mais ici, rien ne trouble le battement si léger des feuillages en voûte au-dessus du petit chemin. Cependant, Ci va soudain tressaille, ses yeux se fixent, son poil se hérisse, il gronde : « Le voici qui revient. » Quelle audace! dit Kâli qui distingue aussi en profondeur une boule noire et blanche qui se hâte. 7 C'est un chat, un de ceux dont on voit tout de suite qu'ils n'ont pas de maison et qu'aucune main ne caresse leur poil rugueux, collé en mottes, souillé de boue et de poussière. Il rampe plus qu'il ne marche, comme pour s'excuser d'être un pauvre hère, et il regarde sans cesse autour de lui parce qu'il a peur. Le voici arrivé devant cette grille qu'il commence à connaître; dans cette maison, il y a une petite fille et un petit garçon qui lui apportent chaque jour une écuelle pleine. - C'est une honte! dit Civa. Hors d'ici, vagabond ! Et il crache sur lui. — Clochard! dit Kâli, et elle crache sur lui. Le chat noir et blanc rapetisse, se tasse au coin de la marche comme s'il voulait s'enfoncer dans la pierre, mais il ne bouge pas. Et soudain, des cris joyeux emplissent le chemin, les enfants apparaissent 8 avec Maman et un grand chien qui bondit autour d'eux. — Petit-Petit est là! Je l'avais dit, j'en étais sûre! s'écrie Jacquotte du plus loin qu'elle l'aperçoit. Elle accourt, s'accroupit, saisit entre ses mains la petite boule frissonnante. — Il nous connaît bien à présent, il nous aime, s'écrie Jeanpi. Il vient tous les jours à l'heure du déjeuner. — Oh, Maman, nous l'emporterons quand nous repartirons, n'est-ce pas? Mais Maman se fait sévère : — Non, mes enfants, n'en parlez plus. Nous avons déjà deux chats et un chien, cela suffit. Et puis, ajoute-t-elle avec dédain, voyez comme il est vilain, comme il est... fi!... ordinaire. Elle rentre dans la maison. — Tu es peut-être ordinaire, mais je t'aime bien, chuchote à son oreille Jacquotte qui s'est assise sur la pierre à côté de Petit-Petit et le console. - Tu es ordinaire! dit Kâli, et elle crache sur lui. — Nous sommes des chats de race, nous, dit Civa, nous ne sommes pas ordinaires. — Allez-vous vous taire! clame Orso. Petit- Petit est mon ami. Gare à qui y touche! 9 Et désormais, on peut le voir, de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps, allongé sur le seuil dans la pleine chaleur du début de l'après-midi, qui dort au soleil avec Petit-Petit endormi aussi entre ses pattes. « Tu es mon ami, Petit-Petit», dit-il. « Je suis ton ami », répond Petit-Petit. Les jours passent. Bientôt, le départ approche, et rien n'a pu fléchir Maman. Les enfants y préparent Petit-Petit. — Il ne faudra pas avoir de peine, dit Jacquotte. Nous reviendrons l'année prochaine. Ce ne sera pas long. Il y aura, seulement l'automne, l'hiver, le printemps à passer. Qu'est-ce que cela? Et puis, pfuitt... Voici l'été revenu, et nous sommes là. — Ce ne sera pas long, dit Orso. Je reviendrai. — J'attendrai, dit Petit-Petit plein de courage. Je viendrai ici tous les jours. L'hiver, le printemps, et puis, pfuitt... Ce ne sera pas long. Le jour du départ est arrivé. L'auto de Papa est devant le portail. Petit-Petit se blottit le plus humblement possible à sa place habituelle sur la marche, en espérant quoi? Mais personne aujourd'hui, même pas Orso, ne fait attention à lui. Les enfants vont et 10 viennent chargés de colis. Papa se tient devant le coffre ouvert, et il bougonne qu'on emporte toujours trop de choses mutiles. Orso fait mille fois le chemin de la voiture à la maison, presse tout le monde, clame à grands cris sa joie de partir pour un si long voyage. Enfin, Jeanpi et Jacquotte apparaissent avec un grand panier d'osier, et Papa lève les bras au ciel en criant : — Encore! — Ce sont les chats, dit Jacquotte. Maman a dit qu'il ne faut pas les mettre dans le coffre. En effet, le panier s'agite tout secoué de soubresauts, de longs miaulements désespérés en sortent. Puis, Maman arrive avec la dernière valise. 11 — Nous sommes en retard de deux heures, dit Papa. Montez vite. — Au revoir, Petit-Petit, s'écrie Jacquotte en le saisissant pour un dernier baiser bien rapide. — À l'année prochaine, s'écrie Jeanpi sans baiser, et il s'installe devant, à côté de Papa. — Je reviendrai, Petit-Petit, s'écrie Orso, bien pressé lui aussi. Il saute sur la banquette auprès de Maman et de Jacquotte et regarde longtemps par la glace arrière jusqu'à ce qu'il ne reste tout au fond du chemin qu'un nuage de poussière. 12 Un jour est passé. Une semaine est passée. Petit-Petit revient sur le chemin chaque fois un peu plus désert; les belles villas ferment leurs portes l'une après l'autre. Il se blottit au coin du portail et il attend; il espère que s'ouvrira une fenêtre, une porte, et qu'un grand chien roux en jaillira comme une flamme. Rien ne vient. Pourtant, une nuit, cinq nuits, dix nuits sont passées. Est-ce que ce n'est pas cela, l'automne, l'hiver, et pfuitt...? Est-ce que ce n'est pas encore l'année prochaine? Petit-Petit a faim. Personne ne s'occupe plus de lui. Il a d'abord demandé de porte en porte : « Une bonne assiette, s'il vous plaît. » Puis il a dit : « Un reste de viande, un bout de gras. » Enfin : « Un petit os, par pitié », en pleurant, mais portes et fenêtres sont restées closes. Il est maigre. Il est laid. Son poil et ses yeux qui avaient un instant brillé sous les caresses de Jacquotte sont de nouveau éteints. Que c'est long! Une lune s'est encore levée, puis couchée dans le ciel. Est-ce que c'est maintenant l'année prochaine? Heureusement, il y a les généreux tas d'ordures. Quelquefois, on y trouve un os avec un peu de viande dessus. Hélas, en de si bons endroits on n'est jamais seul. Un jour, un molosse famélique se jette sur lui en criant : « Donne-moi ça. Et vite! » 13 Petit-Petit est brave; il se couche sur l'os, s'aplatit comme pour ne faire qu'un avec la terre. Ce sera terrible. C'est déjà terrible. Le molosse l'a saisi par l'oreille, et c'est comme si son oreille s'en allait. Le molosse l'a saisi par la tête, c'est comme si sa tête s'en allait. Le molosse l'envoie voltiger dans l'espace, et c'est comme s'il s'en allait tout entier. - Petit-Petit! Qui a crié son nom? Cette voix qu'il connaît? Il est retombé à terre en mille morceaux, lui semble- t-il, au milieu d'un tapage effrayant. Le monstre est maintenant aux prises avec un autre chien, un chien aux longs poils orangés et blancs couverts de boue, un chien furieux qui combat si rudement qu'il finit par le mettre en fuite. Ce chien, comme il ressemble à... Mais ce n'est pas possible? Ce ne peut être... Orso? — Mais oui, c'est moi. Moi, le bon chien, l'ami fidèle. Je suis revenu, comme je te l'avais promis. Je suis revenu te chercher. - Me chercher? - Pour t'emmener là-bas où j'habite avec Papa, Maman, Jacquotte et Jeanpi. La tête de Petit-Petit lui tourne. C'est un rêve. 14 Il est tout tremblant de crainte et d'émotion; il bafouille : — Mais... Mais... Tu sais bien qu'ils n'ont pas voulu de moi. Je suis... Je suis trop... ordinaire. Orso pirouette sur lui-même, absolument comme une boule de feu. Il dit seulement, et avec quel air d'autorité : — En route! 15 uploads/Voyage/ langue-francaise-lecture-conte-de-mes-betes-a-l-x27-aventure.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2022
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