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ANTOINE CASUBOLO JEAN DEPUSSÉ C O L U C H E L'ACCIDENT CONTRE-ENQUÊTE Ouvrage publié sous la direction de Guy Birenbaum ©Éditions Privé, 2006 Ouvrages d'Antoine Casubolo L’Affaire 0M-Valenciennes : histoire d'une corruption pré- sumée, Olivier Orban, Paris, 1994. La Vie rêvée de Pierre Goldman, Éditions Privé, Paris, 2005. À Jane, Juliette et Marie « Il n'y a plus un seul chef d'État qui serait assez costaud pour avoir un bouffon. » Coluche « Rien n'est plus dérisoire et pourtant rien n'est plus essentiel que le bouffon. C'est toujours celui qui dit la vérité, contre vents et marées, contre rires et sarcasmes, celui qui ose. Que rien n'arrête. Impossible de le faire taire tel- lement tout le monde rigole, même ceux qui devraient en avoir honte. » Serge July Libération, 20 juin 1986. « Un mort a un pouvoir sur les vivants. Il est là, à vous regarder, en attendant qu'on se bouge un peu à sa place parce que lui est mort. » Jean Depussé La plupart des gens se souviennent très précisément de ce qu'ils faisaient lorsqu'ils ont appris la mort de Co- luche le 19 juin 1986. Faites le test vous verrez. En re- vanche, vous constaterez aussi que tous finissent par dire la même chose sur les circonstances du décès. Tous vous parleront d'un Coluche à moto, roulant comme un dingue sur une petite route de l'arrière-pays cannois. Et à la sortie d'un virage, pas de bol, un camion manœuvrait pour entrer dans un camping et donc barrait la route comme un mur d'acier. À fond, Coluche, n'avait rien pu faire. C'est sûr le camion n'aurait pas dû être là. Mais lui allait beaucoup trop vite. Et s'était emplafonné dedans. Putain de camion, comme l'a écrit Renaud... Ce souvenir que la plupart des gens partagent est, en gros, ce que l'on pouvait lire dans les quotidiens du len- demain. C'est même ce que l'on pouvait lire, au hasard, dix ans après la mort de Coluche dans des articles du Parisien1 ou de L'Événement du jeudi2. C'est toujours ce qu'il est possible de lire sur le site officiel de Coluche, géré par sa famille, à la dernière ligne de sa biographie, la seule, expéditive, sur les circonstances de son décès3. Et gageons que c'est ce que l'on lira, sûrement, ici ou là, dans la floraison d'articles qui commémoreront, ce 19 juin 2006, le vingtième anniversaire de la disparition de Coluche. Comme une déferlante, les gros titres, les articles du tout premier jour se sont définitivement gravés dans notre mémoire. 1 Pierre Vavasseur, Le Parisien, 19 juin 1996. 2 Dossier Coluche, « La malédiction du camionneur », article non signé, L'Événement du Jeudi, 30 mai 1996. 3 www.coluche.fr, « Soudain un gros cul dresse un mur devant lui. » L'ennui, c'est qu'à part la région, la date, la présence d'un camion, Coluche et sa moto, tout ce qu'ont écrit les journaux ce jour-là est inexact. Pour ne pas dire faux. Jean Depussé s'est lancé dans une enquête qu'il a traînée comme un boulet près de vingt ans, persuadé, lui, que Coluche n'est pas mort accidentellement. Que l'on a forcé son destin. Mais avant, il me faut raconter qui est Jean Depussé, comment je l'ai rencontré, comment cette histoire m'est tombée dessus en février dernier. Je venais de finir ce livre sur Pierre Goldman4. Il était un de ses amis. Au cours de mon enquête, j'étais arrivé à la conclusion que ce Jean Depussé, que j'avais fini par identifier derrière le « P » mystérieux par lequel l'auteur des Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France5 le désignait, était un type dangereux. Étant donné ce que je comptais révéler sur Pierre Goldman, il ne m'avait pas paru indispensable de le rencontrer. C'est Joël Lautric, un autre ami de Pierre Goldman, qui m'a mis en relation avec lui. « Jean a bien aimé ton livre, il voudrait te ren- contrer ». Voilà comment ça s'est fait. Nous nous sommes vus deux fois. À chaque fois, en compagnie d'une de ses sœurs. Marie, d'abord, qui vient de publier un livre sur sa famille6. Henriette, journaliste, à qui ce travail doit tant. Et qui aurait dû écrire ce livre. Mais Jean était très malade et tout est resté en plan. Une tumeur était en train de dévorer son cerveau. C'est cette histoire, je crois, qui l'a bouffé. Trois années au moins, les trois dernières, rongées par l'obsession de « sortir » sa vérité sur la mort de Coluche. Avec l'espoir, jusqu'au 4 Antoine Casubolo, La Vie rêvée de Pierre Goldman, Privé, 2005. 5 Pierre Goldman, Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France, Le Seuil, 1975. 6 Marie Depussé, Les Morts ne savent rien, POL, 2006. bout, que son enquête forcerait un jour la justice à rou- vrir le dossier. Ces derniers mois, son état s'était irrémé- diablement aggravé. Nuit et jour, ses sœurs se relayaient à son chevet. Le 12 mars dernier, alors que je commen- çais à peine la rédaction de ce livre, Jean s'est éteint. Il venait de signer le contrat d'édition que je lui avais fait parvenir, derrière lequel il avait couru tant d'années. Soulagé, enfin, de savoir que je reprenais le flambeau. Voire. Je comptais le revoir. Il ne me reste plus qu'un gros sac, plein de papiers, de coupures de presse et de cassettes audio. Il faudra donc que je me débrouille tout seul avec ça. Et il manque tellement. Mais « un mort a un pouvoir sur les vivants », disait Jean Depussé. Pendant vingt ans il s'était « bougé » pour Coluche. À mon tour de me bouger pour lui. Maintenant, reprenons le récit. La première fois que Jean m'a parlé de ses convictions sur la mort de Coluche, j'ai, disons, souri. Cette hypothèse, cette rumeur évoquée ici ou là, for- cément, je l'avais déjà entendue. Comme j'ai entendu par- ler de l'assassinat de Diana, de la fausse disparition d'Alain Colas, de l'avion qui ne se serait pas abattu sur le Pentagone le 11 septembre 2001 et que sais-je encore. Et je déteste la rumeur. La rumeur, c'est la peste du journa- lisme. Un accident n'est-il pas à chaque fois le résultat d'une foule de dérèglements improbables ? Le truc qui n'arrive jamais, qui ne peut arriver ?... Le grain de sable dans une routine pourtant parfaitement huilée ? Les théories du complot, on le sait aussi, surgissent toujours, quelle que soit l'évidence, dans cet enchaînement d'Im- probabilités Mais j'ai écouté Jean. Par politesse d'abord. Et ce qu'il m'a raconté, ce qu'il a découvert au cours de son en- quête, a cessé de me faire sourire. Peut-être, sûrement, Jean délirait. Mais peut-il m>avoir menti au sujet des révélations » qu'il dit avoir obtenues presque par hasard ? Peut-il, avant de me men- tir, s'être menti à lui-même ? Avec autant d'acharne- ment? En revanche, s'il disait vrai, il faudra qu'on m'explique. Qu'on nous explique. * Comme tout le monde, donc, Jean Depussé se sou- vient parfaitement de ce qu'il était en train de faire lors- qu'il a appris la mort de Coluche. Cédons-lui la parole. J'étais en voiture, avenue Marceau. Je sortais du bou- clage de l'hebdomadaire de faits divers Spécial dernière auquel je collaborais. Il devait être entre 17 et 18 heures. J'ai allumé la radio. J'étais sur Europe. Maryse l'anima- trice, dont je connaissais la voix depuis les émissions de Coluche, a pris l'antenne, il y a eu un silence, puis elle a annoncé en pleurant : "Coluche s'est tué à moto en heur- tant un camion près de Cannes." Ce n'était pas possible. Se tuer si bêtement... Mais maintenant, à la radio, les flashes d'information se suc- cédaient et confirmaient la mort de Coluche. Un an aupa- ravant, je l'avais rencontré, chez lui, rue Gazan. Moi, j'avais repéré une de ses super motos garées devant sa maison et c'est d'ailleurs pour ça, pour la lui acheter, que je l'avais contacté. L'affaire ne s'était pas faite, mais qu'importe ! C'est à ce jour-là que je pensais en écoutant la radio. C'était triste. J'étais triste. Le lendemain après-midi, de retour à Spécial dernière, j'ai parcouru les journaux, comme je le faisais à l'époque, comme tout journaliste de base, quelle que soit la une, quelle que soit l'acte". Et tous, ce 20 juin 1986, faisaient leurs gros titres sur la mort de Coluche. Normal. "Il roulait trop vite, je n'ai rien pu faire", France Soir. "Coluche : la mort à toute vitesse", Le Figaro. "À pleine vitesse contre un 38 tonnes", Le Parisien. "Un 38 tonnes au bout du virage", Libération. Dans les pages intérieures, on retrouvait les mêmes mots, les mêmes italiques, les mêmes guillemets. Dans Libération, Le Figaro, Le Parisien, Le Quotidien de Paris, France Soir, le chauffeur expliquait "[Coluche] n'a dû voir mon camion qu'au dernier moment. Il n'a même pas eu le temps de freiner, car il n'y a aucune trace de freinage sur la route.", Plusieurs automobilistes livraient leur premier témoi- gnage affirmant "avoir été doublés peu avant uploads/s1/ coluche-l-x27-accident-antoine-casubolo.pdf

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  • Publié le Aoû 11, 2021
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