MARC OLIVIER BARUCH DES LOIS INDIGNES ? Les historiens, la politique et le droi

MARC OLIVIER BARUCH DES LOIS INDIGNES ? Les historiens, la politique et le droit TALLANDIER Cet ouvrage est publié sous la direction de Denis Maraval. Éditions Tallandier – 2, rue Rotrou – 75006 Paris www.tallandier.com © Éditions Tallandier, 2013 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo EAN : 979-10-210-0446-7 Il faut éclairer l’histoire par les lois, et les lois par l’histoire. Montesquieu, L’Esprit des lois. Ni lu ni compris ? Aux meilleurs esprits Que d’erreurs promises ! Paul Valéry, « Le Sylphe », Charmes. Pour Isabelle Jan, In memoriam Sommaire Couverture Titre Copyright Exergue Dédicace INTRODUCTION Chapitre premier - L’histoire objet de loi Les poux d’Auschwitz Une question de « détail » L’histoire sur la place publique Le moment Barbie 1990, La loi Gayssot Chapitre II - Deux présidents, un préfet et l'histoire Les 16 juillet du quai de Grenelle Les institutions et l’histoire Le moment Papon L’ombre du général de Gaulle Chapitre III - L’histoire objet de droit Retour sur un énoncé Questions de limites Questions de méthodes Le R de requête Chapitre IV - Intermède parisien, 2008-2011 Place du Palais-Bourbon, novembre 2008 Place du Palais-Royal, février 2009 Quai de l’Horloge, mai 2010 Palais-Bourbon, palais du Luxembourg, décembre 2011 Chapitre V - Comment peut-on être historien ? À qui appartient l’histoire ? Disqualifications Le sarkozysme en histoire L’impossible retour de l’instituteur national Politique de l’histoire ou politique des historiens ? Conclusion - L’histoire est libre Annexes Annexe 1 Dossier documentaire Annexe 1B - COM. EDH, 24 juin 1996, Marais contre France Annexe 1C - La Déclaration de repentance de l'Église de France mardi 30 septembre 1997, Drancy (France) Annexe 2 - La controverse sur les « lois mémorielles » Annexe 3 Annexe 4 Annexe 5 Annexe 6 Index Du même auteur INTRODUCTION GENÈSE D'UNE INDIGNATION La séance reprit à cinq heures. Nous étions le vendredi 11 juin 2004, avant-veille d’élections européennes, et l’hémicycle était presque vide : quelque trente députés siégeaient, de tous groupes politiques. À l’exception de Christian Vanneste, élu UMP du Nord, la plupart d’entre eux représentaient la frange littorale allant de Collioure à Menton et son arrière- pays, régions où s’étaient implantés après mars 1962, non sans douleur, les rapatriés, européens ou harkis, d’Algérie. Du banc du gouvernement, le ministre des Anciens Combattants prit la parole : Mesdames et Messieurs les députés, la brève suspension de séance que vous a demandée le gouvernement n’avait qu’une fonction. Je ne souhaitais pas en effet rompre, par un rappel trop strict à la lettre de la loi, la belle et sobre unanimité qui s’est manifestée au sein de la représentation nationale pour rendre enfin justice à nos concitoyens rapatriés d’Afrique du Nord. Le gouvernement partage votre indignation face aux lectures partiales de l’histoire, parfois hélas issues de l’Université française, auxquelles une certaine presse ne donne que trop volontiers écho. Cela fait plus de soixante ans que quelques belles âmes font profession de dénigrer la grandeur de l’œuvre coloniale française, et je me dois d’ajouter qu’elles n’ont dans un passé récent que trop bien réussi. Pour autant, votre légitime émotion – qui est aussi la mienne, ai-je besoin de vous le rappeler ? – ne saurait nous conduire à porter atteinte à l’une des principales dispositions de la Constitution voulue par le général de Gaulle, la distinction de la loi et du règlement telle qu’elle figure à l’article 34. Des bruissements et raclements de gorge le firent hésiter quelques secondes, à peine perceptibles. Sans doute n’avait-il pas été opportun de citer le nom du fondateur de la V e République devant un tel auditoire, qui voyait en lui l’homme des accords d’Évian plus que celui de l’appel de Londres. Aussi le ministre enchaîna-t-il rapidement : Définir le contenu des programmes scolaires, sujet que nous évoquions juste avant l’interruption de séance, relève dans notre République non de la responsabilité du Parlement, mais de celle du gouvernement, et spécialement du ministre de l’Éducation nationale. Et en politique, Mesdames et Messieurs les députés, n’est-ce pas le résultat qui compte plus que le moyen ? Le Premier ministre, que j’ai pu joindre au téléphone dans sa circonscription voici quelques minutes, me demande de vous faire part de son engagement de donner des instructions précises en ce sens, dès la semaine prochaine, à M. François Fillon, ministre en charge de ce lourd portefeuille. Ne doutant pas que cette implication des plus hauts niveaux de l’État saura vous rassurer, le gouvernement vous demande de retirer cet amendement, qu’il lui faudrait dans le cas contraire déférer au Conseil constitutionnel. L’argument était imparable. Quelques paroles de haute teneur mémorielle et de nulle valeur juridique tinrent lieu de baroud d’honneur au rapporteur de la commission, qui accepta le retrait du second alinéa de l’amendement, ainsi rédigé : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » Jean-Pierre Raffarin tint parole : son directeur de cabinet appela dès le mercredi suivant celui de François Fillon qui avait conservé le portefeuille de l’Éducation nationale dans le remaniement ministériel consécutif aux élections européennes. Le directeur de cabinet du ministre profita des cérémonies du 18 juin pour transmettre la demande au doyen de l’Inspection générale d’histoire-géographie. Le calendrier était favorable : réunis début juillet lors de la traditionnelle séance de bilan du baccalauréat, les inspecteurs pédagogiques régionaux reçurent à leur tour la consigne. Ils en prirent bonne note. Les plus consciencieux d’entre eux imprimèrent, dès leur retour dans leur ville d’exercice, le compte rendu des débats publiés in extenso sur le site de l’Assemblée nationale. * * * Cessons là cet exercice d’histoire-fiction, ce n’est pas ainsi que les choses se passèrent 1. La référence, dans l’article 4 de la loi portant reconnaissance de la nation pour les rapatriés, à ce que devaient enseigner les enseignants et chercher les chercheurs provenait d’un amendement parlementaire déposé par le député Jean-Pierre Grand : « Les programmes scolaires et les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. » L’intervention de Christian Vanneste conduisit à le scinder en deux : la formule souple de l’amendement ne devait s’appliquer, pour le député du Nord, qu’au seul domaine universitaire, dont l’autonomie pédagogique avait été érigée en « principe fondamental reconnu par les lois de la République » par le Conseil constitutionnel en 1984. En revanche, la représentation nationale – encouragée en cela par le gouvernement, qui, erreur politique majeure, « s’en rem[it] à la sagesse de l’Assemblée » – chargea la barque des programmes scolaires, aboutissant aux expressions – « rôle positif », « place éminente » – par lesquelles le scandale arriva. Car le scandale arriva 2. Pas tout de suite, mais après la promulgation de la loi, qui suivit la deuxième lecture puis l’adoption du texte par l’Assemblée nationale le 10 février 2005. Inchangées par le Sénat, les dispositions qui nous intéressent ne furent pas rediscutées par les députés, qui soulignèrent en revanche l’importance de la reconnaissance par la loi non seulement des souffrances endurées pendant la guerre d’Algérie par les populations françaises et celles ralliées à la France, mais aussi de « l’œuvre accomplie par ces pionniers, ces bâtisseurs, ces ingénieurs, ces agriculteurs, ces hommes de loi, ces fantassins, ces médecins, que furent les colons 3 ». Dès le 25 mars suivant dans Le Monde, sous la plume de l’historien de la guerre d’Algérie Gilbert Meynier, dans Le Monde diplomatique le mois suivant sous celle de son collègue Claude Liauzu, puis, le 30 novembre, dans Libération avec une tribune virulente du philosophe Olivier Le Cour Grandmaison, des universitaires s’étaient élevés contre cette vision unilatérale de l’histoire. Que les programmes d’histoire donnent à la « présence française outre-mer » – locution euphémisante du mot colonisation – « la place qu’elle mérite » est en effet tout autre chose que d’enjoindre à des enseignants d’évoquer devant leurs élèves les aspects positifs de cette colonisation – sauf à y adjoindre dans le même mouvement ses aspects négatifs, ce que la loi votée ne suggérait pas. Bientôt suivie par la publication, dans Témoignage chrétien, le 15 décembre 2005, d’un appel de Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association Harkis et Droits de l’homme, appelant à la fin de l’instrumentalisation de la question harkie « par la droite pour de mauvaises raisons […] et par la gauche pour de mauvaises raisons 4 », ces deux premières salves ne faisaient qu’ouvrir ou plutôt rouvrir un débat qui, huit ans plus tard, n’est pas encore clos, celui de la place de l’histoire dans le champ politique en général et celui des rapports entre histoire, droit et politique en particulier. En juin 2005, un Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) avait été créé, au sein duquel on comptait entre autres Marcel Detienne, Claude Liauzu, Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt, Michèle Riot-Sarcey. uploads/s1/ des-lois-indignes-les-historiens-la-politique-et-le-droit-french-edition-baruch-marc-olivier-baruch-marc-olivier.pdf

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  • Publié le Mar 04, 2022
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