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HAL Id: hal-01501332 https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-01501332 Submitted on 9 Jun 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Henri Fayol et la théorie du chef d’entreprise : une nouvelle figure de l’autorité au tournant du XXe siècle Armand Hatchuel, Blanche Segrestin To cite this version: Armand Hatchuel, Blanche Segrestin. Henri Fayol et la théorie du chef d’entreprise : une nouvelle figure de l’autorité au tournant du XXe siècle. Entreprises et Histoire, Eska, 2016, 2 (83), pp.108 - 108. 10.3917/eh.083.0108. hal-01501332 1 Henri Fayol et la théorie du chef d’entreprise Une nouvelle figure de l’autorité au tournant du 20è siècle. A. Hatchuel, B. Segrestin Résumé Avant d’écrire son célèbre Traité, Henri Fayol fut un dirigeant, innovateur et savant, qui considérait la recherche scientifique comme une responsabilité majeure du chef d’entreprise. Or, devenue le moteur du monde industriel, la science créait un rapport inédit au futur : elle forçait à agir collectivement dans l’inconnu. Ce constat nous semble éclairer la doctrine administrative de Fayol sous un jour nouveau. Il explique pourquoi Fayol recourt à des notions originales (prévoyance, inconnu, programme d’action, perfectionnement, constitution du corps social) dont la portée théorique et politique a été sous-estimée. Elles permettent à Fayol de penser un nouveau chef d’entreprise sans référence à la langue des affaires, et à l’économie politique de son temps. C’est dans l’héritage des lumières et dans la philosophie politique et sociale qu’il puise pour élaborer un modèle que nous appelons « créatif/politique » de l’autorité du dirigeant d’entreprise. Ce modèle marque un tournant majeur même si le message Fayolien a été ensuite banalisé par ses traducteurs ou ses commentateurs. Un siècle après, retrouver Fayol, offre une ressource théorique précieuse pour penser des alternatives à la conception financiarisée de l’entreprise. Armand Hatchuel est professeur à MinesParistech-PSL Research University. Il co-dirige la Chaire de théorie et méthodes de la conception innovante. Derniers ouvrages publiés (en collaboration) Refonder l’entreprise (Seuil 2011), Théorie, méthodes et organisation de la conception (Presses de Mines 2014), La société à Objet social étendu (Presses des Mines 2015). Blanche Ségrestin est professeur à MinesParisTech-PSL Research university et directrice adjointe-du centre de Gestion Scientifique. Elle dirige la Chaire de Théorie de l’entreprise. Derniers ouvrages publiés (en collaboration) Refonder l’entreprise (Seuil 2011), La société à Objet social étendu (Presses des Mines 2015), L’entreprise, point aveugle des savoirs (Sciences Humaines 2015). 2 Pourquoi relire ou lire Fayol, un siècle après ? Il y a un siècle, paraissait la première publication du traité « d’Administration industrielle et générale »1 (Fayol 1916-17, le « Traité » dans la suite). Henri Fayol est ensuite rentré dans l’histoire comme le père d’une doctrine administrative fondée sur des principes rigides et universels, rationaliste et qui fut souvent réduite à quelques formules dans la littérature (Mintzberg 1976, Lamond 2004). Récemment, plusieurs réévaluations de son œuvre ont été engagées (Chambers 1975, Peaucelle 2003 a, 2003b ; Pryor et al. 2010). Elles montrent que Fayol avait prévu certaines tendances du management au 20 è siècle (Fells 2000 ; Wren 2001 ; Parker et al. 2005 ; Yoo et al. 2006). Elles soulignent son rôle précurseur dans l’invention des « outils de gestion » (Peaucelle 2003). Elles examinent les relations entre ses recommandations et son action (Reid 1995 a et b). Mais dans l’ensemble, ces travaux ne remettent pas en cause la lecture traditionnelle du Traité, telle qu’elle a été fixée, avant la seconde guerre mondiale, notamment aux USA (Urwick 1949, Wren 2001 ; Wren et al. 2002). Dans cet article, nous présentons les éléments d’un réexamen critique du Traité. Trois éclairages convergents autorisent à lire Fayol autrement : i) les figures traditionnelles du chef dont il a voulu s’écarter ; ii) le nouveau contexte industriel et scientifique dans lequel il était plongé ; iii) les indications de Fayol lui-même affirmant explicitement dans un texte publié mais peu étudié2 qu’un message majeur de son Traité était le nécessaire -et novateur- rapprochement de la science et l’industrie : « Et ce n’est pas la tâche la moins difficile du chef d’entreprise que de conjuguer les efforts des savants et des praticiens. Il y a de nombreux obstacles à surmonter : je l’ai montré dans mon ouvrage sur l’Administration industrielle et générale ; mais en même temps j’ai proclamé l’indispensable nécessité pour l’industriel d’organiser et de réussir la collaboration de la science avec le monde des affaires. Cette idée pleine de promesses et qui vient maintenant à l’honneur m’est chère depuis bien longtemps et je puis dire que, sur ce point, ma Société a donné l’exemple. (La Notice 1918) 1 Publié en 2016 dans la revue de l’Industrie minérale et repris en 1917 chez Gauthier Villars. 2 « La notice des travaux scientifiques de M. Henri Fayol » (Fayol 1918) n’a jamais été traduite en anglais et son contenu n’a jamais été discuté, en relation avec le traité, à notre connaissance. 3 Comme l’avait souligné Yves Cohen (Cohen 2003), Fayol ne pense pas ses principes administratifs hors de tout contexte. Il voit sa doctrine comme une réponse aux nouveaux rapports entre science, industrie et travail qui s’installent à la fin du 19è siècle, et notamment au constat qui oriente toute son œuvre : la nécessité d’un nouveau type d’autorité, celle du « chef d’entreprise » dont il s’efforce de décrire, dans son traité, les missions et les compétences. Fayol, un dirigeant, un savant et un innovateur Fayol voulait donc être lu à partir de son expérience singulière, où l’action du dirigeant, les travaux du savant et les audaces de l’innovateur ont été indissociables. Quand il publie son Traité, il est au soir d’une carrière exceptionnelle. Il a développé un groupe métallurgique et minier, dont il devient directeur général en 1888. Surtout, ce développement a été favorisé par des découvertes scientifiques et des innovations techniques parfois majeures3. La plus célèbre de ces découvertes est certainement celle de l’Invar, un acier au nickel qui ne se dilate pas. Elle est obtenue en 1896, grâce à l’aide que Fayol accorde à un physicien du Bureau des poids et mesures de Genève, Charles Edouard Guillaume, qui collaborera avec ses usines durant plusieurs décennies. Cette découverte vaudra à Guillaume le prix Nobel de physique en 1920 (Cahn 2005). Elle apporte à Fayol, et bien après lui, une moisson exceptionnelle de nouveaux marchés (Lambret et al. 1996). Auparavant, Fayol avait bousculé la géologie de son temps en élaborant la « théorie des deltas » (Baudoin 2003), à laquelle il attribue l’exploitation particulièrement efficace de sa mine de Commentry. Enfin, en 1911, il nomme à la tête du laboratoire d’Imphy, Pierre Chevenard, et lui confie une mission aussi ambitieuse qu’originale lorsqu’on la compare à l’activité des nouveaux laboratoires industriels qui naissent dans cette période (Chevenard 1933 ; cf. chap. Le Masson). Pierre Chevenard et son laboratoire incarneront pendant plusieurs décennies la nouvelle métallurgie de précision (Chevenard 1951 ; chap. Duffaut, chap. Le Masson). Le chef Fayolien : une figure difficile à penser, des concepts complexes Au terme d’un tel parcours, Fayol ne se propose pas d’exalter le «caractère» du vrai chef ou l’art de se faire obéir. Au contraire, on va le rappeler, il assigne au nouveau chef d’entreprise, des missions aussi complexes que surprenantes pour l’époque : celle de susciter un "perfectionnement" permanent et indéfini de toutes les activités de l’entreprise, celle d’agir comme un chef politique attentif à « constituer le corps social » de l’entreprise. Etonnement, la difficulté théorique 3 Un document publié en 1918, «La notice des travaux scientifiques de M. Henri Fayol » (Fayol 1018) en fournit une recension complète. 4 d’un tel projet, dans les référents doctrinaux de la fin du 19è siècle n’a pas été assez soulignée. Elles expliquent pourtant la complexité, l’abstraction, voire l’étrangeté des concepts fayoliens4. Car bien qu’il s’adresse à ses pairs, Fayol expose sa doctrine dans une langue qui n’est en rien celle des affaires. Plus surprenant, il ne fait aucune référence à l’économie politique de son temps. Ses concepts principaux - « prévoyance », « programme d’action », Etat-major, « inconnu », perfectionnement, union du corps social - puisent sans conteste dans la philosophie politique et la théorie sociale du 18è et du 19 è siècle, et situent l’ambition élevée du traité : une nouvelle pensée de la société et du gouvernement. Retrouver une lecture rigoureuse du Traité Une telle ambition théorique et sous la plume… d’un chef d’industrie ! Le fait aurait dû inviter à une exégèse prudente. Mais, il est vrai que la complexité du texte de Fayol disparaît dans les traductions anglaises de Coubrough (Fayol 1930) et Storrs (Fayol 1947), publiées après sa mort. Elle échappe uploads/s1/ fayol-e-h-article-v4-ah.pdf