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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Ukraine : l’empire du Milieu pratique l’entre-deux PAR FRANÇOIS BOUGON ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 27 FÉVRIER 2022 Dans un centre commercial de la ville chinoise de Hangzhou, le 25 février 2022. © STR/AFP Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, la Chine cherche à ne pas froisser son allié russe, sans cependant sacrifier ses intérêts économiques avec les Occidentaux. Illustration en a été donnée vendredi au Conseil de sécurité des Nations unies, où Pékin n’a pas soutenu la Russie lors du vote d’un projet de résolution condamnant l’agression de Moscou. Ne pas parler d’invasion, mais d’« opération militaire spéciale »; renvoyer au « contexte historique complexe » lorsque vous êtes interrogé sur l’agression russe contre l’Ukraine ; prendre soin de ne pas accuser Moscou, tout en rejetant la faute sur les États-Unis ; le tout en rappelant la position traditionnelle de la diplomatie chinoise en faveur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale « de toutes les nations »:tel est le bréviaire suivi par les différents porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois à Pékin lors du point-presse quotidien. Toutes ces précautions montrent que la Chine est prise dans des logiques contradictoires sur le dossier ukrainien : il lui faut préserver son partenariat avec Moscou, réaffirmer un des piliers de la diplomatie chinoise– le respect de la souveraineté des nations et de leur intégrité territoriale –, sans sacrifier ses intérêts économiques. Pékin ne veut ni mettre en péril ses échanges avec l’Union européenne (UE) et les États- Unis, ni sa présence dans l’est de l’Europe à travers le programme des Nouvelles routes de la soie. Preuve s’il en fallait encore que Pékin n’est pas complètement aligné sur Moscou, la télévision officielle chinoise évoque les positions des Russes mais aussi des Ukrainiens, de Vladimir Poutine mais aussi du président ukrainien Volodymyr Zelensky, et diffuse les images de la guerre en Ukraine. Dans un centre commercial de la ville chinoise de Hangzhou, le 25 février 2022. © STR/AFP Une dénonciation de l’hégémonie étatsunienne Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping fin 2012, Pékin s’est rapproché de la Russie. Le dirigeant chinois avait réservé son premier voyage à l’étranger à Moscou, rappelant les heures fastes des années 1950 entre Mao et Staline. Aujourd’hui, les deux pays se retrouvent sur la critique d’un ordre mondial dominé par les États-Unis, comme l’a montré le communiqué commun diffusé le 4 février à l’issue de la rencontre entre Xi et le président russe Vladimir Poutine avant la cérémonie d’inauguration des Jeux olympiques d’hiver de Pékin boycottée par Washington. « Une tendance s’est dessinée en faveur d’une redistribution du pouvoir dans le monde » afin que chaque pays ait une voix qui « favorise des relations internationales plus démocratiques », souligne le texte. S’il n’est pas fait mention d’alliance dans le document, la relation sino-russe est décrite comme « supérieure aux alliances politiques et militaires de l’époque de la guerre froide ». Il n’y a « aucune limite » ni aucun domaine de coopération « interdit », précise le document, ce qui signifie qu’une action militaire conjointe n’est pas exclue, soulignait alors le Washington Post. Trois semaines plus tard, Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine, mais Xi Jinping ne semble pas prêt à soutenir son allié dans cette aventure belliqueuse. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Vendredi, les deux hommes se sont parlés au téléphone et, selon le compte-rendu publié par les Chinois, Xi Jinping « a souligné que les changements dramatiques récents de la situation dans l’est de l’Ukraine ont suscité une grande inquiétude au sein de la communauté internationale ». « [Tous les pays] devraient abandonner la mentalité de la guerre froide, attacher de l’importance et respecter les préoccupations raisonnables de tous les pays en matière de sécurité, et former un régime de sécurité européen équilibré, efficace et durable par le biais de négociations. La Chine est favorable à ce que la partie russe résolve ses différends avec la partie ukrainienne par la négociation », poursuit le texte. Réunion au sommet Le même jour, après s’être entretenu séparément avec la cheffe de la diplomatie britannique Elizabeth Trussle, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell et le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron Emmanuel Bonne, le ministre des affaires étrangères Wang Yi a précisé les cinq principes qui guidaient la Chine dans le dossier ukrainien : Selon leWall Street Journal, le comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois, le cœur du pouvoir, s’est réuni pendant une semaine pour discuter notamment du dossier ukrainien et déterminer cette position. Selon le quotidien, qui a cité des « personnes au fait de ces questions », « alors que les Jeux olympiques d’hiver de Pékin batt[aient] leur plein, les hauts dirigeants se sont retranchés dans le complexe de Zhongnanhai et le débat s’est centré à la fois sur les principes et sur la réalité pratique à laquelle Pékin est confronté». En fonction des événements, tel ou tel point est mis en avant, ce qui explique les analyses contradictoires des expertes et experts occidentaux : là ou certains voient Pékin soutenir Moscou, d’autres décèlent le subtil positionnement de la Chine. Le précédent nord-coréen Cet entre-deux pratiqué par Pékin – qui a aussi pris soin de souligner que l’Ukraine n’avait rien à voir avec Taïwan – explique sa décision de ne pas se joindre au veto russe vendredi lors du vote du projet de résolution présenté par les États-Unis et l’Albanie et déplorant avec la plus grande fermeté « l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations unies ». Selon Paris, engagement avait été pris auprès de la Chine de ne pas évoquer le recours à la force dans le texte, ce qui a permis cette prise de position qui contribue à isoler la Russie. Pékin s’est donc abstenu, tout comme l’Inde et les Émirats arabes unis, 11 pays votant pour et la Russie opposant son veto, comme le lui permet son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. « C’est très significatif, a souligné l’Élysée samedi, parce que vous avez vu dans de précédents communiqués chinois ou russes que la Russie comptait beaucoup sur le soutien de la Chine. Ce soutien n’est pas là, même si, naturellement, la Chine a une position qui est plus, disons, en retrait que la nôtre et celle des partenaires occidentaux. » Pour les Français, « la Russie comptait sur son soutien, mais l’on voit qu’avec netteté mais aussi subtilité, la Chine prend quelques distances ». On retrouve là une constante de la diplomatie chinoise: gérer les injonctions contradictoires pour préserver ses intérêts. Un précédent avait été le dossier nord-coréen. Si la Chine n’avait jamais lâché Pyongyang, au grand dam de Washington, elle avait su faire pression sur son allié et voisin encombrant lorsque c’était nécessaire. Marchés occidentaux Sur le dossier ukrainien, un article du New York Times montre que les Américains ont tenté de recourir à Pékin pour tenter de dissuader Vladimir Poutine de lancer une offensive sur l’Ukraine. En vain. Mais la Chine n’ira pas jusqu’à mettre en péril ses propres intérêts si le conflit s’envenime et qu’elle peut apparaître comme complice de la Russie. Si Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 les deux pays sont opposés sur bien des points aux Occidentaux, ces derniers restent des partenaires économiques importants pour Pékin. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2021, la valeur des échanges de la deuxième économie mondiale avec les États-Unis et l’UE a été de 1 600 milliards de dollars (plus de 1 400 milliards d’euros), soit dix fois plus qu’avec la Russie (146,9 milliards de dollars l’année dernière). « La Chine ne veut pas s’impliquer au point de finir par souffrir de son soutien à la Russie. Tout dépend de sa volonté ou pas de mettre en péril son accès aux marchés occidentaux pour aider la Russie, et je ne pense pas qu’elle le veuille. Ce n’est tout simplement pas un si grand marché que ça », a déclaré à l’agence Associated Press (AP) Mark Williams, économiste en chef pour l’Asie chez Capital Economics. Pour Kevin Rudd, président de l’Asia Society et ancien premier ministre australien, la Chine se trouve finalement dans une « position très délicate », en essayant « d’avoir le beurre et l’argent du beurre » : prétendre qu’elle défend l’inviolabilité des frontières souveraines tout en apportant son soutien diplomatique et économique à la Russie. Ce « double langage ne trompera personne », affirme-t- il, soulignant que « les principaux dommages causés aux intérêts mondiaux de la Chine se produiront au sein de l’UE, de l’Otan et surtout de l’Allemagne, où l’image d’une Chine stratégiquement bienveillante s’est révélée trompeuse ». Le « en même temps » de l’empire du Milieu est mis à rude épreuve. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART uploads/s1/ hungria.pdf
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- Publié le Mar 21, 2022
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