Inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles suite à l’agression d

Inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles suite à l’agression d’Yvan Colonna Rapport définitif Juillet 2022 N° 064-22 Ω N° 2022/00060 Inspection générale de la justice 2 Juillet 2022 Inspection de fonctionnement de la maison centrale d’Arles I.G.J 3 I.G.J Inspection de fonctionnement de la maison centrale d’Arles Juillet 2022 Synthèse Le 2 mars 2022 vers 10h15, alors qu’il pratiquait des exercices de musculation dans l’une des salles de sport de la maison centrale d’Arles, Yvan Colonna était mortellement agressé par X. Tous deux employés du service général de l’établissement et classés détenus particulièrement signalés (DPS), ils entretenaient jusqu’alors des relations cordiales et avaient l’habitude de se retrouver dans la cour de promenade ou en salle d’activité de leur bâtiment. Les personnels pénitentiaires et de l’unité sanitaire ont rapidement porté secours à Yvan Colonna et la direction de l’établissement a pris dans des délais adaptés les décisions qu’imposait la situation, notamment pour garantir l’ordre interne et informer les autorités administratives et judiciaires dans les délais impartis, à l’exception notable des deux juges de l’application des peines antiterroristes qui l’ont été beaucoup plus tardivement et en tout état de cause après les organes de presse. Les investigations conduites par la mission de l’Inspection générale de la justice permettent d’identifier les causes et circonstances dans lesquelles une personne condamnée pour des faits de nature terroriste a pu agresser l’un de ses codétenus particulièrement suivi et au comportement ne posant pas de difficulté majeure en détention, pendant neuf minutes et sans intervention d’un agent. Trois éléments retiennent principalement l’attention de la mission d’inspection : 1) le net défaut de vigilance du surveillant activités, pourtant expérimenté, qui n’a pas suffisamment déployé une surveillance active et est resté, sans aucun motif, éloigné du couloir menant au lieu des faits. Le professionnalisme de cet agent a été altéré par une routine conjuguée à une proximité avec les protagonistes. La mission considère que ce défaut de vigilance est susceptible de constituer un manquement disciplinaire ; 2) la mauvaise exploitation des images des caméras de vidéosurveillance, accentuée par le défaut de maitrise de ce dispositif par l’agent en fonction au poste d’information et de contrôle (PIC) au moment des faits, celui-ci, comme ses collègues, n’ayant pas été formé à l’utilisation correcte du matériel pourtant essentiel pour une complémentarité avec la surveillance active ; 3) l’absence, à plusieurs reprises, d’orientation de X en quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) qui aurait dû, en opportunité, être décidée en juillet 2019 par le directeur de l’administration pénitentiaire puis, ultérieurement, traitée par la cheffe d’établissement, d’abord en février 2020 puis à trois autres reprises en novembre 2020, mai 2021 et janvier 2022. 4 Juillet 2022 Inspection de fonctionnement de la maison centrale d’Arles I.G.J La conjonction des deux premiers éléments explique le long déroulement d’une agression qui s’est anormalement prolongée pendant neuf minutes. Si le troisième est plus contextuel, il revêt néanmoins une importance primordiale. S’agissant en effet de l’absence d’affectation en QER en 2019, la mission relève l’importance donnée par l’administration pénitentiaire aux avis réservé et très réservé émis par les magistrats antiterroristes du siège et du parquet. Ces avis ont été prioritairement pris en compte dans la décision d’affectation de l’auteur des faits à la maison centrale d’Arles plutôt qu’en QER, alors que réglementairement, ils ne s’imposaient nullement à la DAP. En l’état des normes, en opportunité et compte-tenu de leur comportement et de leur parcours pénitentiaire, la présence de deux personnes détenues inscrites au répertoire des DPS dans des emplois du service général n’appelle pas d’observation critique. Elle s’entend comme étant une modalité de prise en charge de personnes aux profils difficiles et pour lesquelles l’administration pénitentiaire a le devoir d’assurer l'individualisation de la peine comme le lui demande le législateur du 24 novembre 2009. L’accès au service général de ces deux DPS est conforme à la réglementation selon une procédure qui a été respectée, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille ayant été informé préalablement. De la même manière, le fait que les deux protagonistes se soient régulièrement côtoyés en détention malgré leur statut de DPS n’appelle pas de commentaire particulier dans une maison centrale qui en héberge 15 sur un effectif total de 127 personnes, dont 15 condamnés purgeant des peines de réclusion criminelle à perpétuité et 35 autres présentant un reliquat de peine égal ou supérieur à 20 ans. Compte tenu du parcours carcéral de X lourd d’incidents disciplinaires, la mission s’est interrogée sur sa présence en détention ordinaire, à l’issue d’un long placement à l’isolement. Elle conclut que la gestion de ce dernier, indépendamment de la question de son orientation en QER, a fait l’objet d’un traitement attentif et individualisé de la part de la direction de l’établissement. L’évolution de ses conditions de détention a résulté d’une appréciation circonstanciée de la situation et d’une mise en œuvre progressive à partir de la levée du placement à l’isolement le 30 avril 2021. Il n’y aurait en effet aucune prise en charge possible au long cours et digne de ce nom sans un régime de détention qui permette un minimum de vie sociale au travers notamment d’activités professionnelles et occupationnelles dont ne sauraient être exclues les personnes inscrites au répertoire des DPS. C’est la raison d’être des nombreux dispositifs de surveillance passive et de contrôle actif des personnes détenues développés dans les maisons centrales et qui n’ont pas produit, ici, les effets attendus. 5 I.G.J Inspection de fonctionnement de la maison centrale d’Arles Juillet 2022 Les faits du 2 mars 2022 révèlent les limites d’un dispositif de sécurité des activités, qui ne repose que sur la seule vigilance d’un agent exerçant une surveillance aléatoire et qui se prive de l’apport du système de vidéosurveillance. Pour y remédier, la mission recommande d’augmenter la fréquence des passages du surveillant activités et de mettre en place une complémentarité entre ce dernier, présent dans l’aile du bâtiment, et son collègue, posté au PIC, par le biais de son écran de contrôle. Plus globalement, ces faits mettent en évidence une approche parcellaire de la vidéosurveillance, essentiellement appréhendée en termes d’exploitation post incident des images, aux fins d’enquête et de recherche d’éléments de preuve. La mission recommande de revoir cette doctrine et d’affirmer que la vocation première de la vidéosurveillance est de permettre une intervention immédiate du personnel sur un lieu d’incident. A la maison centrale d’Arles, la question de la vidéosurveillance n’était pas correctement investie par la direction. Un remaniement conséquent du dispositif a été opéré à l’automne 2021 sans attention particulière de l’ancienne cheffe d’établissement. Ne maitrisant pas suffisamment le versant technique de ce dossier, cette dernière en a délégué la supervision à un officier qui n’a pu expliquer correctement à la mission la structuration du dispositif. Quant à l’échelon interrégional, il lui incombait de contrôler plus complètement l’incidence de ce changement sur la bonne surveillance des locaux. La configuration du dispositif issue de l’intervention technique de l’automne 2021 s’est révélé totalement inefficace le jour des faits : l’agent du PIC au bâtiment dans lequel s’est déroulée l’agression n’a pas disposé des images qui lui auraient permis de donner l’alerte dès le début de l’agression d’Yvan Colonna. La question de l’orientation en QER de X illustre également l’insuffisance du management de l’ancienne cheffe d’établissement. Le fonctionnement de « l’équipe » de direction de l’établissement n’a pas permis une gestion appropriée de cette orientation, alors même que les professionnels, tous métiers confondus et à plusieurs reprises, proposaient que l’intéressé fasse l’objet d’une évaluation. En se réservant la présidence de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) dangerosité de l’établissement, sans assurer un traitement correct des avis qui en étaient issus et en ne partageant pas l’information utile à la gestion de la détention de l’auteur des faits avec son adjointe et les autres personnels de direction, l’ancienne cheffe d’établissement a fait preuve d’une négligence répétée, susceptible de constituer un manquement disciplinaire. La mission relève en outre à son égard que selon les dispositions réglementaires en vigueur, elle n’aurait pas dû être en fonction au-delà du 21 septembre 2021. 6 Juillet 2022 Inspection de fonctionnement de la maison centrale d’Arles I.G.J De leur côté, les cadres de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Marseille compétents en matière de sécurité et de détention et de lutte contre la radicalisation violente n’ont réagi que très partiellement, début 2020, puis tardivement deux ans plus tard en janvier 2022. Investis d’une fonction de contrôle hiérarchique, ils auraient dû exercer un suivi plus complet des avis émis par la CPU dangerosité de la maison centrale d’Arles en demandant qu’ils leur soient régulièrement transmis et s’inquiéter de ne pas être plus informés de l’évolution d’une personne détenue à la situation pénale sensible tandis que sa fin de peine se rapprochait. Quant à la mission de lutte contre la radicalisation violente et la sous-direction de la sécurité pénitentiaire de l’administration centrale, elles n’ont pas suffisamment tenu leur rôle en matière de suivi d’une personne détenue TIS. Même en considérant les contraintes particulières liées à la gestion de la uploads/s1/ inspection-de-fonctionnement-a-la-maison-centrale-d-x27-arles-suite-a-l-x27-agression-d-x27-yvan-colonna.pdf

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  • Publié le Aoû 29, 2022
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