La philosophie de l’art de Nelson Goodman. Nelson Goodman (1906-1998) est un de

La philosophie de l’art de Nelson Goodman. Nelson Goodman (1906-1998) est un des plus grands philosophes américains du XXème siècle, reconnu notamment pour ses contributions en esthétique, en logique, en métaphysique, et en philosophie des sciences. Aujourd‟hui, je voudrais présenter de façon très sommaire les grands principes de sa philosophie de l‟art. Son ouvrage phare sur ce point est sans conteste Langages de l’art (LA, 1968), qui a fait de lui l‟une des grandes figures sinon l‟un des fondateurs de l‟esthétique analytique. Ces analyses sont notamment prolongées dans Manières de faire des mondes (MFM, 1978), et Reconceptions en philosophie (1988). D‟une manière générale, on peut dire que l‟approche de Goodman est importante en raison de la rupture qu‟elle opère par rapport à la tradition antérieure en esthétique. Tout son propos part en effet d‟une forme d‟insatisfaction à l‟égard de la tradition philosophique qui défend que l‟art serait une question de goût et d‟intuition, de sentiment, d‟interprétation, et qui par conséquent rejette l‟art hors du domaine de la connaissance rationnelle et objective. L‟idée centrale de Goodman est de défaire tous ceux qui établissent un fossé radical entre les arts et les sciences, ou l‟affectif et le cognitif, afin de montrer que l‟art participe pleinement de la formation de la connaissance et de la compréhension du réel, tout autant que les sciences. Goodman est donc un représentant majeur du cognitivisme esthétique. A cette fin, au lieu de traiter des questions classiques de la philosophie de l‟art comme le beau, le génie, ou l‟expérience esthétique ; en bref, au lieu de s‟intéresser aux questions de la valeur des œuvres d‟art ou du jugement esthétique, Goodman cherche à proposer théorie de l‟art comprise comme théorie du fonctionnement symbolique des œuvres, c'est-à-dire, de la façon dont elles disent ou montrent quelque chose du monde. Pour savoir ce que sont les œuvres d‟art selon Goodman, il faut tout d‟abord se demander ce qu‟elles font, et comment elles le font : c‟est pourquoi la question « Qu’est ce que l’art ? » doit selon lui être remplacée par la question « Quand un objet fonctionne-t-il comme de l’art ? » ou plus sommairement « Quand y-a-t-il art ? » (MFM IV). La thèse de Goodman, que nous allons expliquer, est la suivante: les œuvres d‟art sont complexes de symboles qui réfèrent au sein de systèmes symboliques, par lesquels nous appréhendons le réel (voir le sous-titre, « une approche générale de la théorie des symboles »). Nous allons essayer de montrer que tout l‟originalité de Goodman est de ramener in fine l‟esthétique à l‟épistémologie voire à la métaphysique, c'est-à-dire de montrer que l‟art peut, à condition de changer notre approche usuelle de ce phénomène, devenir une partie authentique de la théorie de la connaissance. La théorie des symboles et des systèmes symboliques. La théorie de l‟art de Goodman se présente avant tout comme une théorie des symboles, de la référence, et des systèmes symboliques. Mais que faut-il entendre par ces termes ? Ils ont un sens technique et précis dans son œuvre : tout d‟abord, les œuvres d‟art fonctionnent comme des symboles, dès lors qu‟elles réfèrent de quelque façon à la réalité, c'est-à-dire qu‟elles en disent, montrent, suggèrent, ou illustrent certains aspects. Symboliser, c‟est ainsi toujours référer pour Goodman, et référer ne signifie rien d‟autre que tenir lieu de. Un symbole réfère donc quand il « tient lieu » d‟autre chose, quand il dit ou montre quelque chose de la réalité. Nous allons voir maintenant qu‟il existe selon Goodman plusieurs voies ou modes de la référence, et donc plusieurs façons de symboliser, dont certaines sont plus propres à l‟art. Ensuite il faudra voir qu‟il existe différents systèmes symboliques déterminant l‟identité et le fonctionnement des symboles eux-mêmes. Il faudra alors mesurer les conséquences de cette analyse sur la compréhension générale de l‟art. a) Les voies de la référence. Pour comprendre ce qu‟est l‟art pour Goodman, il faut d‟abord savoir ce qu‟il fait, voir dans quel rapport il se tient à la connaissance et à la réalité. Il faut à cet égard réintégrer l‟art dans une théorie générale de la référence, pour élucider le rapport entre esthétique et connaissance. Cette intention est on ne peut plus claire dans son œuvre : « Mon étude déborde les arts vers des questions qui relèvent des sciences, de la technologie, de la perception, et de la pratique. Les problèmes concernant les arts sont des points de départ plutôt que de convergence. L‟objectif est d‟avoir accès à une théorie générale des symboles » (LA 27). Voyons maintenant quels sont les voies ou modes de la référence : La plus basique catégorie de la référence est la dénotation : il s‟agit de la relation entre une étiquette (label), c'est-à-dire un nom ou un prédicat, comme le nom propre « Kennedy » ou encore l‟expression « Le 34e président des USA » et ce à quoi il renvoie, son référent ou son extension [l‟homme né en 1917 / mort en 1963]. Il s‟agit donc de la relation unissant un symbole à un référent, sous les formes de la prédication, description, nomination, etc. La dénotation peut être simple (« Boston »), multiple (« ville », « bleu »), ou nulle (« Gandalf »). La dénotation est le pilier de la référence dans le langage naturel, la science, ou certaines formes d‟art (littérature). Cependant, Goodman élargit la dénotation au-delà de sa composante verbale, pour également considérer le cas des images (dessin, peinture, film, photographie). On peut parler à leur propos de dénotation picturale, ou de dépiction. En effet, il serait absurde de dire qu‟une peinture ou une image ne renvoie à rien, ou qu‟elle n‟a aucun référent : une image de chien dépeint bien un chien et non un hobbit, et le Déjeuner sur l’herbe de Manet ne représente pas une scène de guerre ou le retour du fils prodigue. Les images réfèrent, ce qui revient à dire qu‟elles fonctionnent comme des étiquettes, tout comme les mots. On retrouve alors ici le même jeu extensionnel ou référentiel qu‟avec la dénotation : il existe une dépiction simple (le portrait d‟un individu singulier), multiple (la photographie d‟un œil dans un dictionnaire d‟ophtalmologie), ou nulle, lorsque rien d‟existant n‟est représenté (ce qui est le cas dans la plupart des peintures). Avec cette idée de dépiction, Goodman veut montrer que la référence n‟est pas seulement quelque chose de verbal (contra le positivisme logique), et que les images peuvent donc aussi avoir un fonctionnement symbolique Goodman caractérise ensuite une modalité de la référence fondamentale dans les arts, dont il dit qu‟elle a été ignorée par tous, l’exemplification. Celle-ci se définit comme une sous-relation de la converse de la dénotation : au lieu d‟aller de l’étiquette à au référent (de « bleu » à la chose bleue), on va aller du référent à l‟étiquette (un objet bleu exemplifie ainsi la couleur bleue). Mais il ne suffit pas qu‟une chose possède une propriété pour l‟exemplifier, car rien n‟exemplifie jamais toutes ses propriétés -un tableau n‟exemplifie pas l‟étiquette „peser 10 kilos‟ ou „mesurer 2 mètres‟ par exemple, il possède simplement cette propriété). Il faut encore qu‟elle y réfère, c'est-à-dire qu‟elle mette en avant cette propriété spécifique (il y a donc plus qu‟une différence de direction). Autrement dit, l‟exemplification c‟est la possession plus la référence. Par exemple, un échantillon de tissu possède certaines propriétés-couleur, texture, motif, etc.- mais il exemplifie seulement certaines d‟entre elles en les présentant comme signifiantes ou en y référant (l‟échantillon de tissu exemplifiant son motif, sa couleur, mais certainement pas la taille du canapé que je prévois d‟acheter). En art, l‟exemplification est fréquente, sinon constitutive : elle permet de comprendre comment, sans contenir de dénotation ou même de dépiction, les œuvres peuvent faire référence à certaines propriétés ou qualités et donc dire quelque chose de la réalité. Considérer l‟exemplification comme une voie de la référence permet en outre de montrer que les œuvres non figuratives (abstraites) réfèrent, même si elles ne représentent rien : Pollock manifeste par exemple dans ses drippings que la peinture a pour propriété de gicler et de couler, et cette propriété se donne elle-même comme significative à partir des aspérités de la toile. La peinture exemplifie alors ses propriétés plastiques, c'est-à-dire que les étiquettes exemplifiées („giclure‟, „coulure‟) dénotent le tableau. On peut aussi donner l‟exemple de Beaubourg, à Paris : les tuyaux et la structure visible du bâtiment font qu‟il s‟exemplifie lui-même comme bâtiment (c'est-à-dire qu‟en plus de posséder certaines propriétés, il y réfère, de sorte qu‟il exemplifie la propriété „d‟être un bâtiment‟). Reste un cas plus complexe. L‟exemplification peut s‟avérer plus subtile dans certains cas. Par exemple, si l‟on qualifie une musique ou un tableau de triste ; c'est- à-dire, si on leur applique le prédicat « triste », on ne peut prétendre que la musique ou la toile possèdent la tristesse de manière littérale (le tableau n‟est pas triste, seules des personnes peuvent l‟être). Il ne s‟agit donc pas d‟une exemplification au sens strict (le tableau n‟exemplifie pas « triste » au sens littéral), mais en un uploads/s3/ alexandre-2015-la-philosophie-de-lart-de-nelson-goodman.pdf

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