Ethique-Esthétique-Politique Introduction de Christian CAUJOLLE Éthique-Esthéti
Ethique-Esthétique-Politique Introduction de Christian CAUJOLLE Éthique-Esthétique-Politique, introduction de Christian CAUJOLLE. Actes Sud/Rencontres internationales de la photographie, Arles 1997, 315 p, 230 F. par Française DENOYELLE Catalogue des Rencontres internatiornales de la photographie 1997, à la croisée de l’engagement et de la mémoire, Éthique-Esthétique-Politique s’articule autour d’une double problématique et vient fort à propos rappeler, à une époque où la photographie contemporaine se veut plasticienne, la contribution spécifique et l’éclairage particulier qu’elle apporte à ces questions. Trois chapitres structurent le livre : « le devoir de mémoire », « les formes de l’engagement », « les tentations du pouvoir ». Une iconographie exceptionnelle par sa qualité, sa pertinence, son originalité, pointe les enjeux, apporte des points de vue différents, complémentaires même s’ils apparaissent parfois contradictoires. « Le devoir de mémoire » présente « S 21 ou le cauchemar cambodgien » des photographies prises dans l’ancienne école supérieure T uol Sleng de Phnom Pen transformée par les Kmers rouges en centre d’extermination. La plupart des vingt mille Cambodgiens exécutés entre 1975 et 1979 dans ce camp rebaptisé S 21 furent photographiés par un gamin, fils de paysan pauvre choisi par deux lieutenants de Pol Pot parce qu’il était fils « d’un vrai paysan ». ils l’envoyèrent à Shangai, où il se forma. À son retour, en mai 1976, à l’âge de 16 ans il devint photographe en chef de T uol Sleng et responsable de cinq apprentis. « En général, je prenais les photos à l’arrivée des prisonniers, après qu’on leur avait accroché un numéro avec une épingle, parfois à même la peau quand ils arrivaient torse nu » (p. 72). Ces photographies prises en quelques secondes (à partir de 1977, il arrive jusqu’à six cents personnes par jour) servent de preuve de l’exécution. Après l’entrée des Vietnamiens dans Phnom Pen, Nhem Ein rejoint, avec ses camarades, la jungle du nord. Ses images ont été exposées pour la première fois, en 1979, pour que les habitants de Phnom Pen viennent voir s’ils retrouveraient, parmi les sept mille visages, des membres de leur famille. Depuis T uol Sleng a été transformé en musée mémorial. Ces portraits ou plus exactement leur utilisation posent avec force le statut de la photographie. À l’origine annexes de procès verbaux d’exécutions, archives d’un génocide programmé puis témoignages de l’histoire d’un peuple et présentées comme telles à Phnom Pen elles ont acquis depuis un statut qu’on a peine à qualifier « d’artistique ». Elles sont néanmoins, pour plusieurs d’entre elles, entrées dans les collections des musées d’art moderne de New York, San Francisco, Los Angeles. Ne sommes-nous pas dans la confusion des genres ? Éthique-Esthétique-Politique a le mérite de restituer clairement le cadre historique et idéologique, de bannir le voyeurisme et la morbidité. Les photographies font écho à d’autres images dont le seul vis-à-vis épargne bien des discours et souligne le lien ténu qu’entretient la photographie avec l’exigence de mémoire qu’impose un siècle trop familier de la barbarie. Sur une double page figurent à gauche, les enfants juifs d’Izieu, été 1943, un groupe rieur dans l’insouciance des vacances, à droite une photographie de Stéphane Duroy prise dans le musée d’Auschwitz en 1992 où s’alignent, au-dessus de quelques vêtements témoins (brassières, petites chemises), les portraits anthropométriques d’enfants en costumes rayés, eux aussi affublés d’un numéro. Autre vis-à- vis où Histoire et actualité appellent au « devoir de mémoire » : à gauche, « Femme algérienne, 1960 » de Marc Garanger, à droite, « Algérie 1994- 1997 »Photos AFP de Hocine Zaoura. En 1960, Marc Garanger fait son service militaire en Alégrie. On lui demande de photographier les civils. Il a ainsi photographié deux mille personnes, en majorité des femmes de la campagne. « Elles étaient dans l’obligation de se dévoiler... J’ai reçu leur regard à bout protant, premier témoin de leur protestation muette. » (p. 56) Les photographies de l’AFP avec leur brève légende « Femmes pleurant et criant lors des funérailles de dix-huit civils massacrés mardi », « Hommes devant les corps, ensevelis dans le drapeau algérien, de dix- huit civils massacrés », laissent au lecteur la prise en charge du récit. Le chapitre « devoir de mémoire » rassemble dans une longue litanie les victimes de l’Histoire : cadavre dans une tranchée de la Meuse en 1916, rescapés de Nagasaki, portraits de déportés du goulag, « Le Silence Rwanda » une installation de Gilles Peress où s’alignent en rangs serrés les images d’un autre carnage, « Les martyrs de Cana » simples portraits d’amateur des victimes du massacre de Cana perpétré en 1996 qui, la veille du 18 avril trônaient encore sur le poste de radio ou dans des modestes albums familiaux. Autant d’images qui nous renvoient à la formule glacée de Pierre Dac, « L’avenir est devant nous et on l’a dans le dos chaque fois qu’on se retourne ». En ce qui concerne le choix des photographies deux observations s’imposent. Prompts à analyser, commenter le passé des autres, les Français ont la mémoire singulièrement « oublieuse » en ce qui concerne leur propre passé. N’y a-t-il aucune photographie des camps de Drancy où transitèrent vers les camps de la mort près de 90 000 Juifs, de Gars, Rivesaltes, mis en place pour « accueillir » les réfugiés de la guerre d’Espagne, n’y a-t-il aucun document (autre que ceux de Marc Garanger) sur nos guerres coloniales ? La guerre du Rif par exemple si déterminante en ce qui concerne l’engagement politique des surréalistes (Aragon- Breton), n’a-t-elle pas été couverte ? Seconde observation l’absence totale d’images qui ne soient pas « cicatrice de l’inoubliable » mais au contraire preuve des capacités humaines à résister, affirmer sa dignité, conquérir sa liberté. Les reportages ne manquent pourtant pas sur la guerre des pierres des enfants palestiniens, sur la fin de l’Apartheid dans Sowetho. La deuxième partie, consacrée aux formes de l’engagement, question récurrente dans l’histoire de l’art du XXe siècle, aborde le sujet de plusieurs manières. D’un point de vue historique quand art et politique se rejoignent et lient propagande et avant-garde. Rodtchenko, Klutsis, Lissitzki imposent une nouvelle représentation formelle d’un monde à la mesure de leurs rêves. Leurs élans seront de courte durée et l’esthétique qu’ils ont forgée dans les tracts, magazines, affiches s’enlisera vite dans un réalisme socialiste conventionnel. Autre forme d’engagement : la prise de position par rapport à l’histoire de la photographie telle qu’elle s’est constituée pendant un siècle et demi. Des artistes comme Mathieu Pernot, Eva Leitoîf ou Klavdij Sluban élaborent des solutions plastiques qui par la médiation de l’image traitent de la situation du monde . T roisième type d’approche : la place de l’individuel dans le collectif. Des artistes aussi différents que Nan Golding, Sophie Calle, Annette Messager ou Christian Boltanski s’interrogent sur des faits de société à travers un vécu individuel. Aux deux extrêmes on retrouve un discours critique sur le monde, la ligne de partage se situant entre ceux qui privilégient un travail sur le médium et ceux qui choisissent de se situer par rapport au monde. Muntadas utilise le matériel des médias : micros, téléviseurs, une des journaux, etc., pour analyser et stigmatiser la construction médiatique de la réalité. Ses travaux s inscrivent dans la culture du quotidien, du spectacle en tant que valeur d’échange. « Word : the Press Conference Room » est une installation qui utilise les conventions visuelles du spectacle et établit les nouveaux codes de relations . La transformation de la conférence de presse en scénographie comme « lieu du crime » interroge à la fois le spectateur et le journaliste sur le contrôle des centres émetteurs de l’information. T out autre est la démarche d’Eugène Richards. On dit que les drogués du crack ont tous le même visage et c’est probablement vrai.., mais moi j’y trouve autre chose «(p. 102), le propos d’Eugène Richards résume l’ensemble de son travail sur les marginaux aux États-Unis. Ses images fragmentaires des laissés pour compte de l’American Way of Life vont au coeur de la déchéance humaine. Leur capacité de provocation et de violence déconcerte quand elle n’est pas récupérée. Ainsi les premières, de familles entières de drogués, d’adolescentes prostituées, de gamins arborant des armes automatiques parurent dans Life et furent reprises par la presse mondiale. Mais quand, il rassemble dans Cocaine True Cocaine Blue les portraits successifs d’une prostituée dont chacun d’eux, au fil des années, dresse le constat de sa déchéance, les militants des quartiers pauvres dénoncèrent avec force le travail d’Eugène Richards. Il en fut de même pour The Knife and Gun Club un livre financé par le Prix Fugène Smith. Eugène Richards photographia les urgences de l’hôpital central de Denver. Il montra l’acharnement des médecins et du personnel hospitalier, mais aussi leur cynisme, leur prostration et leur lassitude devant les victimes des guerres urbaines de Denver : « une avalanche de seringues, de fibrillateurs, de torses inanimés sillonnés de points de suture, d’ambulanciers speedés et d’infirmières effrondrées d’épuisement « (p. 105). T out en poursuivant son travail sur l’hôpital, Richards sillonna l’Amérique des laissés pour uploads/s3/ ethique-esthetique-politique.pdf
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