Cyril Moulard LÕart du mensonge dans la contre-utopie chez E. Z amiatine, Nous

Cyril Moulard LÕart du mensonge dans la contre-utopie chez E. Z amiatine, Nous autres (1920)ÊÑÊA . Huxley, Le Meilleur des mondes (1932) G. Orwell, 1984 (1949)ÊÑÊI. Levin, Un bonheur insoutenable (1970) mŽmoire de ma”trise de Lettres modernes rŽalisŽ sous la direction de M. le Professeur Yann Jumelais Juin 1997 DŽpartement de Lettres modernes Ñ UniversitŽ de Nantes Ce mŽmoire sera bient™t disponible sur le serveur du Centre dÕƒdition de Textes ƒlectroniques : http://www.palissy.humana.univ-nantes.fr/cete/cete.html Cyril Moulard LÕart du mensonge dans la contre-utopie chez E. Z amiatine, Nous autres (1920)ÊÑÊA . Huxley, Le Meilleur des mondes (1932) G. Orwell, 1984 (1949)ÊÑÊI. Levin, Un bonheur insoutenable (1970) Juin 1997 3 Introduction 4 Une formulation telle que lÕart du mensonge poss•de le mŽrite de mettre en lumi•re les rapports complexes quÕentretiennent libertŽ et vŽritŽ dans la contre-utopie. Ainsi, cÕest tout dÕabord lÕŽtude des mŽcanismes du mensonge, de lÕhabiletŽ des rŽgimes ˆ tromper lÕindividu, de la complaisance ˆ duper la conscience collective, qui fera lÕobjet de notre analyse. En effet, la duplicitŽ constitue un des principaux piliers du pouvoir totalitaire mis en place dans nos Ïuvres. Cependant, il faut aussi comprendre par Òart du mensongeÓ, lÕune des tristes consŽquences dÕun syst•me politique qui Žtouffe la personnalitŽ de chaque individu, son originalitŽ et dÕune certaine fa•on sa crŽativitŽ. Il sera donc intŽressant de voir quelles sortes de manifestations artistiques peuvent na”tre de sociŽtŽs dans lesquelles tout est sacrifiŽ ˆ la stabilitŽ sociale, ˆ lÕuniformitŽ et parfois au bonheur factice. CÕest un art dŽnaturŽ qui subsiste car privŽ de ses racines, de ses enjeux, de ses engagements. Il semblait pertinent de choisir le cadre contre-utopique pour mener notre Žtude car il prŽsente souvent un Žventail de sociŽtŽs, gouvernŽes de mani•re quasi-totalitaire, o• le mensonge est dŽclinŽ sous plusieurs formes. Ainsi, ces sociŽtŽs offrent un thމtre plus propice, plus fourni pour notre travail que celui des utopies traditionnellesÊ: ÇÊlÕutopie est un sympt™me, alors que la contre-utopie est une caricatureÊÈ Žcrit J.ÊGabel1. Un tel sujet Žtait nŽanmoins tout ˆ fait envisageable ˆ propos de la longue tradition des Ïuvres de genre utopique. LÕhomme nÕŽtant pas soumis dans sa nature, il sera toujours nŽcessaire dÕuser de malice ou de feintes plus ou moins subtiles, pour le soumettre aux contours rigides dÕune sociŽtŽ parfaite. De plus, les arts ne sont jamais les bienvenus en Utopie car ils ne peuvent exister sans Žvoluer, sans marquer temporellement la civilisation qui les hŽberge. Gilles Lapouge2 souligne que m•me dans La CitŽ des lois de Platon, ÇÊles divertissements sont ternes. Dans les jeux, dans la musique, dans les danses, toute innovation interdite, Platon ayant peur que son plus grand ennemi, le temps, ne se faufile par la plus petite br•che.ÊÈ. Il nÕest pas innocent non plus de constater que lÕart utopien par excellence est lÕarchitectureÊ; art de lÕutilitaire, art du quotidien mais art de la limite. Des plans manuscrits, de la beautŽ et de lÕordonnancement des tracŽs 1 Dans la deuxi•me partie de lÕarticle ÇÊUtopieÊÈ dont il est lÕauteur dans lÕEncyclopŽdie Universalis, p.Ê268. 2 Dans Utopie et Civilisations, Albin Michel, Paris, 1990, p.Ê31. 5 gŽomŽtriques, lÕutopiste passe directement ˆ la construction, ˆ la reprŽsentation physique de son univers. Georges Jean, dans le tr•s beau et tr•s documentŽ Voyages en Utopie 3 rappelleÊ: ÇÊAux commencements de lÕutopie Žtait un architecte, Hippodamos de Milet. LÕarchitecture donne ˆ voir les fondements moraux, et lÕorganisation politique et sociale de la citŽ utopiqueÊ: tout se passe comme si, par lÕabondance des dŽtails qui la dŽcrivent, lÕutopiste pouvait habiter son mirage.ÊÈ. LÕarchitecture se passe du concept de durŽe, comme la musique de celui de mati•re. Lˆ se trouve peut-•tre lÕexplication de cette prŽdilection en faveur de lÕart du b‰timent. LÕart du mensonge est une constante utopique et nÕest en aucun cas lÕapanage exclusif des contre-utopies. ConsidŽrer le genre contre-utopique certes, mais par le biais de quels auteursÊ? Nous autres 4 de Zamiatine constituait un des textes fondateurs du genre, un prŽcurseur dont lÕimportance rivalisait avec lÕÏuvre de Swift quant aux potentialitŽs littŽraires mises ˆ jour. Il ne fallait pas oublier en consŽquence ses deux Žmules les plus prestigieuxÊ: Aldous Huxley avec Le Meilleur des Mondes 5 et George Orwell avec 19846. Enfin, pour avoir un point de vue plus contemporain, et peut- •tre un recul plus grand par rapport aux vŽritables rŽgimes totalitaires du vingti•me si•cle, qui pour certains sŽvissaient encore, et pour dÕautres sŽvissent toujours, le roman dÕIra Levin Un Bonheur insoutenable 7 semblait reprŽsenter un bon choix. On peut noter aussi que malgrŽ son caract•re contemporain, ce roman semble Žtablir un pont avec la tradition utopique. En effet, Levin ne dresse rien dÕautre que la vision dÕune sociŽtŽ idŽale, chef dÕÏuvre de modernitŽ, havre de paix et de bonheur, par un jeune homme dissident dont la conscience est lŽg•rement plus ŽlevŽe que la moyenne. Pour •tre absolument rigoureux, nous devons Žclairer un point sur lequel la critique demeure ambigu‘, simplement indŽcise ou peut- •tre partagŽeÊ: la terminologie. ÒUtopieÓ, dont le terme, inconnu du grec, a ŽtŽ inventŽ par Thomas More pour son texte Žponyme, signifie 3 Chez DŽcouvertes, Gallimard, 1994, p.Ê136. 4 Zamiatine, Eug•ne, Nous autres, 1920, Gallimard, ÇÊLÕImaginaireÊÈ, Paris, 1980, traduit par B.ÊCauvet-Duhamel. 5 Huxley, Aldous, BRAVE NEW WORLD, 1932, publiŽ en France sous le titre Le Meilleur des mondes, Pocket, Plon, Paris, 1977, traduit par Jules Castier. 6 Orwell, George, Nineteen Eighty-Four, 1949, publiŽ sous le titre 1984,Folio, Gallimard, Paris, 1950, traduit par AmŽlie Audiberti. 7 Levin, Ira, This perfect Day, 1970, publiŽ sous le titre Un bonheur insoutenable, ƒditions JÕai Lu, Paris, 1971, traduit par Franck Straschitz. 6 ÇÊnulle partÊÈ, un lieu qui nÕest dÕaucun lieu, une prŽsence absente, une rŽalitŽ irrŽelle, un ailleurs nostalgique, une altŽritŽ sans identification. Cette accumulation de paradoxes et dÕoxymores aura au moins le mŽrite de souligner le caract•re Žvanescent du genre, du fait m•me de son origine. Par extension, depuis la publication de T.ÊMore, lÕutopie est un projet imaginaire dÕune rŽalitŽ autre, la tentative de dŽcrire une sociŽtŽ parfaite, un monde idŽal dans lequel le bonheur, lÕŽgalitŽ, la prospŽritŽ seraient perpŽtuels, pour tous les hommes pour un temps indŽterminŽÊÐ disons lÕŽternitŽ humaineÊÐ. Cette discipline rŽclamant autant dÕimagination et dÕhabiletŽ littŽraire que de connaissances politiques, juridiques et scientifiques, nombreux furent les gŽom•tres de lÕesprit, les crŽateurs de chim•res, les inventeurs de contrŽes dorŽes qui aliment•rent la tradition littŽraire de ce genre. Ainsi, ce que nous appellerons la contre-utopie devait na”tre progressivement de lÕŽlaboration et parfois de la rŽalisation concr•te des utopiesÊ: ÇÊLe gožt des villes parfaites peut aboutir ˆ celui des dŽserts. Il arrive que ces sociŽtŽs transparentes engendrent des communautŽs de la nuit et du chagrinÊÈ Žcrit encore G.ÊLapouge8. En effet, la contre-utopie allait donc consister pour lÕauteur, au contraire de lÕutopie, ˆ projeter ce quÕil craint au lieu de ce quÕil souhaite. DÕautre part, la situation gŽographique et temporelle allait de ce fait devenir plus proche de la rŽalitŽ de lÕŽcrivain. Il faut prŽciser que G.ÊLapouge va opŽrer une distinction supplŽmentaire en nommant anti-utopie ce que nous venons de dŽcrire et en considŽrant la contre-utopie comme lÕopposŽ, selon dÕautres crit•res, de lÕutopie. Pour lui, le contre-utopiste est un libŽrateur de lÕhomme, un visionnaire qui veut supprimer les contraintes de la perfectionÊ: ÇÊCÕest un homme de passion. Sa spŽcialitŽ nÕest pas le rŽel, mais le dŽsirable.Ê[É] Son courage est celui de la dŽbandade. Il sÕenfuit ˆ toutes voiles et puisque toute la crŽation lui para”t ratŽe, sanglante ou infectŽe, cÕest en dehors de la crŽation quÕil ira planter son petit bivouacÊ: les villes des nuages sont si douces, m•me si leur inconvŽnient est de se dissiper comme se dŽfont les r•veries.ÊÈ (p.Ê22). Lapouge place, non sans un certain humour, son utopiste ˆ c™tŽ de son contre-utopisteÊ: ÇÊSur un volet du diptyque, le contre-utopisteÊ: un vagabond, un trimard, un hippy, un po•te, un amoureux. Il se moque de la sociŽtŽ et ne veut conna”tre que lÕindividu. Son domaine 8 Dans Utopie et Civilisations, Albin Michel, Paris, 1990, p.Ê24. 7 est la libertŽ, non lÕŽquitŽ. [É] Il dŽteste le groupe, lÕƒtat, la cellule, le bureau. Le mot organisation lui donne la nausŽe. Il aime la beautŽ des nuages, le vent dans les herbes du printemps, le bruit de soie du corps des femmes. Il se prot•ge de lÕhistoire en la niant, ou bien en r•vant ˆ lÕorigine, au temps dÕavant les temps. Il a choisi le vital contre lÕartifice, la nature contre lÕinstitution. SÕil voit une Žquerre, un fil ˆ plomb, un discours de la mŽthode, un organigramme ou une table de la loi, la col•re le suffoque. CÕest un nomade, un pasteur, un descendant dÕAbel, il mange les fruits du Bon Dieu, il ne conna”t pas les fronti•res, et toute la terre lui appartient.ÊÈ (p.Ê23). Bien quÕil existe certains points communs entre la vision dŽlibŽrŽment protestataire du contre-utopiste selon Lapouge et lÕhumeur sombre et pessimiste de notre contre- utopiste, nous nous bornerons donc ˆ considŽrer la contre-utopie comme la mise en Ïuvre dÕune sociŽtŽ aliŽnante qui, ˆ force de stabilitŽ, dÕunitŽ et de communautŽ devient totalitaire, voire concentrationnaire. Nous nous proposons uploads/s3/ art-du-mensonge.pdf

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