Cours sur l’Art Notions : l’Art ; la perception Pb : “Vivre l’Art” ? Introducti
Cours sur l’Art Notions : l’Art ; la perception Pb : “Vivre l’Art” ? Introduction : L’art est une part fondamentale de toute culture. [Travail conceptuel] Néanmoins définir l’art est difficile ; cette difficulté tient en partie dans l’histoire du mot, qui a désigné jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, au pluriel, les techniques. Parler d’art au singulier et sans épithète suppose alors un ensemble de jugements de valeur, qui contribuent à faire de l’art un vaste domaine incluant des objets (les œuvres d’art), des manières de faire (créer, récrire), des manières d’être (le génie) et des manières de percevoir (l’expérience esthétique). Ce domaine présuppose donc au moins 3 éléments : des œuvres, des artistes et des spectateurs. [Pb] Pour penser ce domaine, j’ai choisi d’interroger un slogan de Mai 68 : “Vivre l’art”. Ce slogan sonne comme un impératif, aux dimensions morales et politiques. Afin d’en établir les significations essentielles, on réfléchira en fonction de 3 points de vue ce que peut vouloir dire “vivre l’art” : [plan] d’abord, parce que c’est le point de vue ou l’expérience la plus universelle, pour le spectateur ; puis pour l’artiste ; enfin, pour et par les œuvres d’art elles-mêmes. I. Qu’est-ce que “vivre l’art” pour le spectateur ? A. Le Musée Commençons par aller au musée, comme lieu idéalement premier de rencontre avec les œuvres. Les musées ont pour fonction de conserver et d’exposer des œuvres d’art. Ils ont un rôle pédagogique et culturel éminent et respectable. Il faut aller au musée. Mais une fois qu’on a dit tout le bien qu’on en pense, la réflexion philosophique consiste à penser de manière critique et donc à discerner des problèmes même dans ce qu’on aime et estime. Voici quelques problèmes : 1. Problème de la sélection : tout musée conserve davantage d’œuvres qu’il n’en expose ; il y a donc une sélection. Qui l’effectue ? Au nom de quels critères ? Cela peut-il s’apparenter à une forme, discrète mais efficace, de censure par l’oubli ? 2. Problème du Temple : par analogie, le musée est à l’art ce qu’une église est à Dieu, à savoir un temple (cf. Distinction sacré/profane dans le cours sur la religion). Or sacraliser ainsi l’art en le confinant entre les murs du musée-temple a pour effet secondaire indésirable de neutraliser notre attitude esthétique en dehors de ses murs. 3. Problème de Chronos : le musée constitue la mémoire artistique et esthétique d’une culture, mais cette mémoire est ambigüe. Tel Chronos engloutissant ses rejetons pour ne pas voir son autorité contestée, le musée pourrait ainsi ne conserver les œuvres que pour en neutraliser les aspects subversifs et contestataires. 4. Problème de la spéculation : pour des raisons qui ont peu à voir avec l’art mais bien plus avec la spéculation économique, certaines œuvres ont un prix, parfois astronomique, qui ne dit rien de sa valeur proprement artistique. B. L’expérience esthétique “Vivre l’art”, pour le spectateur, consiste à multiplier les expériences esthétiques. L’esthétique se définit comme “l’étude de la sensibilité humaine lorsqu’elle éprouve du plaisir esthétique” (Kant, Critique de la faculté de juger). Une œuvre d’art est ainsi une occasion de faire l’expérience de la beauté. Or cette expérience, fondatrice d’une part considérable de notre humanité, reste assez paradoxale : en effet, c’est une expérience subjective, qui produit un jugement de goût (=dire d’une chose, œuvre ou personne qu’elle est belle) lui-même subjectif, mais qui prétend à l’universalité. Ainsi, ce que je trouve beau, je m’attends spontanément à ce que mes semblables le trouvent également beau. Mais il est impossible de convaincre autrui d’une beauté qu’il ne perçoit pas par lui- même ; en ce sens, le jugement de goût et la perception de la beauté sont analogues à ce qu’est Dieu pour le croyant : une certitude subjective, qu’il est impossible de démontrer à ceux qui ne la partagent pas déjà. C’est le sens de la formule de Kant : “Le Beau est ce qui plaît universellement sans concept.” La beauté déborde le cadre de l’art, il en existe bien des formes dans la nature. Une question très classique consiste à se demander si la beauté est dans la chose (l’œuvre d’art, le paysage, etc.) ou bien si elle est dans l’œil du spectateur. Une réponse dialectique possible consiste à affirmer qu’elle n’est jamais seulement ni dans la chose ni dans l’œil, mais qu’elle est le produit de leur relation, qu’elle est une propriété qui émerge par et dans l’expérience esthétique et ne se réduit à aucun de ses deux termes. Enfin, on peut, suivant Kant, distinguer deux niveaux de l’expérience esthétique : celle du beau, et celle du sublime (distinction qui recoupe celle, dans le domaine religieux, entre la foi et l’expérience mystique). C. Art et vérité 1. Dans un texte célèbre (La République, livre X) Platon exclut les artistes de la Cité idéale, parce qu’ils seraient vecteurs d’illusions et d’immoralité. Il s’ensuit que l’art serait incapable de vérité mais seulement d’apparences trompeuses. Historiquement, on peut considérer que toute la période allant de l’Antiquité grecque à la fin du Moyen-Age est gouvernée par la triple équivalence suivante : Beau=Vrai=Bien. Il n’y aurait donc d’art véritable que conforme à la fois à la morale et à la loi (le Bien) et à la vérité (religieuse). Ce qu’on appelle “art moderne”, à partir du XIXème siècle, consiste à refuser, contester et faire exploser cette équivalence : voyez “l’art pour l’art”, Baudelaire (“Une charogne”), et, plus tard, le surréalisme. 2. Quelle est, alors, la vérité à laquelle les œuvres d’art peuvent nous amener ? On peut partir de cette formule de Proust : “La vraie vie, c’est la littérature”. Ce qui revient à dire : la vérité, c’est la fiction (ce que précisément Platon refusait), ou plutôt : la fiction (la littérature, mais aussi aujourd’hui le cinéma) est la vérité de la vie. En effet la fiction (littéraire, cinématographique, sérielle) permet de comprendre ce qui arrive à des personnages qui ne sont pas nous-mêmes. Elle produit le décalage minimal pour que le sens de ce qui arrive puisse nous apparaitre clairement. Ainsi l’art, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, peut nous amener à saisir une partie au moins du sens de notre existence (le sens comme vérité subjective). II. Que signifie “vivre l’art” pour l’artiste ? A. Que veut dire “créer” ? “Vivre l’art” signifie pour tout artiste produire des œuvres qui rencontreront (ou non) un public, c’est-à-dire créer. Mais ce terme est ambigu, notamment à cause de ses connotations religieuses. 1. Dans l’Antiquité, l’artiste est vu comme un producteur (sens littéral de “poète”), et la langue grecque n’a pas d’équivalent pour la création. Ce terme vient de l’hébreu biblique et désigne Dieu comme unique créateur de toutes choses. D’où des confusions tenaces qu’il faut rectifier, sans quoi on tombe dans l’illusion. 2. Ainsi, créer pour l’artiste ne revient jamais à tout inventer, et nul ne crée ex nihilo, à partir de rien. Au contraire, en art, toute création est une recréation : voyez la musique, nul ne crée le solfège mais recrée des accords, des rythmes, des arrangements et agencements pour produire un morceau inédit. Et chaque interprète recrée une œuvre qu’il/elle n’a pas composé. La création artistique n’est donc jamais un acte divin. 3. De même, créer ne signifie jamais maitriser l’intégralité du processus : l’artiste ne” maitrise en effet pleinement ni le processus de production (voyez les brouillons des grands écrivains, l’importance du montage au cinéma, les esquisses des peintres, etc.) ni le devenir de l’œuvre une fois donnée au public, ni même le sens de son œuvre. En somme, les artistes sont des êtres humains, pas des dieux, et il est imprudent au moins de leur attribuer sous une forme ou une autre l’omniscience ou la toute-puissance. 4. Une fois revenu sur terre, donc, on peut suivre cette définition proposée par Deleuze (cf. Différence et répétition) : créer, c’est introduire une différence sur un fonds de répétition. Sur le modèle de la variation sur un thème en musique, on peut en effet retrouver pour chaque œuvre d’art ce par quoi elle diffère des œuvres qui la précèdent et établir sa singularité. B. Qu’est-ce que le “génie” artistique. Il n’est pas rare qu’on emploie le terme génie (du latin “genius”, aptitude distinctive) pour qualifier l’œuvre de Mozart ou de Van Gogh. Ce terme est lui aussi très fortement connoté : faire de l’artiste un génie revient souvent à le diviniser. Sa raison d’être première est de rendre compte d’un fait indéniable : nous ne sommes pas tous des artistes et ne sommes pas tous capables de le devenir. Mais cette notion produit plus de malentendus qu’elle n’en résout. En voici un bref historique : 1. Pendant toute l’Antiquité et jusqu’au XVIIIème siècle, l’artiste de génie est essentiellement celui qui reçoit l’inspiration des Muses (ou, plus tard, la grâce divine) dont il n’est que le vecteur ou le médium. 2. Au siècle des Lumières, Kant le définit comme un don inné, distinct du talent qui lui uploads/s3/ cours-sur-l-x27-art-db.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 14, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2546MB