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HAL Id: hal-02289559 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02289559 Submitted on 16 Sep 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. LA QUESTION IDENTITAIRE DANS LES “ PORTRAITS ” D’ALBERT MEMMI (Portrait du colonisateur et Portrait du colonisé ; Portrait du décolonisé) Franck Laurent To cite this version: Franck Laurent. LA QUESTION IDENTITAIRE DANS LES “ PORTRAITS ” D’ALBERT MEMMI (Portrait du colonisateur et Portrait du colonisé ; Portrait du décolonisé). Journées d’Études Nantes- Tunis ”Enjeux identitaires en mutation : Europe et Bassin méditerranéen”, CERES (Tunis) et la MSH Ange Guépin (Nantes), May 2010, Tunis, Tunisie. ￿hal-02289559￿ 1 LA QUESTION IDENTITAIRE DANS LES « PORTRAITS » D’ALBERT MEMMI (Portrait du colonisateur et Portrait du colonisé ; Portrait du décolonisé) Franck LAURENT Le Mans Université – Labo 3L.AM Je vais surtout faire part d’une perplexité. Quand j’ai commencé à réfléchir à cet article, j’avais d’abord l’intention d’étudier les éléments et les relations identitaires mis au jour par Albert Memmi dans trois textes, Portrait du colonisateur et Portrait du colonisé (écrits à Tunis et à Paris en 1955 et 1956, publiés ensemble en 19571), et Portrait du décolonisé, publié en 20042. Or, sans renoncer totalement à ce projet initial, je me suis bientôt aperçu que mon principal sujet d‘étonnement était un peu différent, et que je ne parvenais pas à me défaire d’une impression de lecture mitigée, malcommode, et dont il fallait décidément essayer de rendre compte. Cette impression, la voici : pourquoi, alors que le diptyque de 1957 continue, encore aujourd’hui et après des lectures multiples, de s’imposer comme une démonstration, presque une révélation, rigoureuse autant qu’implacable, de l’impasse coloniale, l’essai de 2004, lui, peine à s’extraire de la masse des discours d’opinion, plus ou moins pertinents, mais toujours marqué au coin de l’arbitraire, voire de la gratuité - de ces essais que tel lecteur brandira comme autorité, et que tel autre dédaignera comme bavardage ?... Mais, dira-t-on, qu’importe ? Il y a dans la carrière de tout écrivain, de tout intellectuel, des hauts et des bas, et point n’est besoin de s’en étonner outre mesure. On peut aussi alléguer la différence des temps, et l’évolution, notamment idéologique, de l’auteur – ici, de l’engagement anticolonialiste et tiers-mondiste à la déploration mélancolique du ratage des Indépendances. Soit. Mais ce qui m’importera principalement ici, c’est de tenter de comprendre comment un genre de pensée et d’écriture peut s’avérer dans un cas aussi efficace et convaincant, et, dans l’autre cas, au moins discutable, souvent agaçant, et parfois, pis encore, désespérément plat. Bref est-il possible, à travers ce double exemple, d’esquisser les « règles de fonctionnement », d’apercevoir les conditions d’efficacité et de légitimité, du portrait collectif, de la description théorico-pratique d’une identité de groupe ? Commençons par rappeler que si, avec le double portrait de 1957, Memmi marque durablement le genre, il ne l’invente pas, et n’est pas seul à s’y illustrer. Les ouvrages consacrés à la psychologie collective de tel ou tel peuple sont légion depuis beau temps, et l’émergence des nationalismes modernes en Europe au XIX° siècle a multiplié et naturalisé (à tous les sens du mot) les considérations plus ou moins pertinentes sur les identités nationales, les tempéraments propres à telle ou telle nation. Pour les espaces colonisés, l’anthropologie a longtemps fourni son contingent plus ou moins scientifique de « portraits » de tel ou tel groupe humain désormais soumis à la puissance étrangère. Pourtant, après 1945, et pour se limiter à l’espace francophone, 1 À Paris aux éditions Corréa (Buchet-Chastel), après une publication partielle dans Les Temps modernes et une autre dans Esprit. Notre édition de référence sera ici celle de Gallimard « folio », 1985. 2 Chez Gallimard. Notre édition de référence sera ici celle de « folio-actuel ». 2 plusieurs publications révèlent un changement d’approche. Aujourd’hui bien oublié, l’ouvrage d’Octave Manonni, Psychologie de la colonisation3, tentait d’appliquer les concepts de la psychanalyse à la psychologie du colonisé. Ce faisant, fait nouveau, il intégrait la situation coloniale au cœur de son investigation, dégageait un « complexe de dépendance », mais semblait conclure à une sorte de prédisposition psychologique de certaines sociétés à la « colonialité ». C’est contre ce livre que Frantz Fanon (explicitement4) et le jeune Albert Memmi (plus implicitement5) écrivirent les leurs. Plus directe encore fut l’influence de Sartre, ses Réflexions sur la question juive (1946), plus ou moins strictement fondé sur sa théorie de L’Imaginaire (dont l’essai éponyme avait paru dès 1940). Le grand apport de Sartre, vieux lecteur de Hegel, est d’imposer la dimension duelle à toute investigation sur l’identité, notamment collective, dualité inégalitaire qui produit de l’identité aliénée («le juif création de l’antisémite »). Si Fanon, comme le Memmi de 1957, renâclent quelque peu à cette sous-estimation des identités culturelles « épaisses », ils mettent tous deux à profit, dans leurs portraits identitaires, les ressources dénonciatrices de ce schéma de pensée, qui permet de placer en amont, logique autant que chronologique, la situation concrète de domination relativement à la psychologie collective. Frantz Fanon, dans Peaux noires, masques blancs, puis dans Les Damnés de la terre (que Sartre préface en 1961) le fait à sa manière : torturée, excessive, parfois confuse. Albert Memmi (préfacé par Sartre dès 1957), avec une limpidité toute classique, marmoréenne, et sidérante. La force des deux portraits de 1957 tient dans la rigueur de la proposition matricielle, et dans sa capacité à déterminer à elle seule l’ensemble des situations concrètes : la situation coloniale crée le colonisateur comme elle crée le colonisé. Tout au long de ces deux essais, Memmi montre qu’aucune psychologie de groupe ne tient hors de la relation fondamentale qui oppose et unit, dans le système colonial, l’exploiteur et l’exploité. Les opinions politiques, le passé religieux, la culture scolaire, tout passe au tamis de cette situation, tout est réorienté en fonction d’elle, et, en dernière instance, d’elle seule. Les risques de simplification, d’abstraction, voire de logomachie, qui pèsent sur une telle entreprise de pensée, sont presque tous conjurés par la force d’exposition d’une structure dans laquelle tout point résonne avec l’ensemble, et d’abord avec la faille centrale : colonisateur / colonisé - laquelle ordonne toute la variété des situations. Le trajet logique, et souvent chronologique, qui mène du colonial au colonialiste en passant par le colonisateur, se montre d’une rigueur glaçante. La description du colonisateur de gauche, dans ses différentes réalisations, son malaise, sa mauvaise foi souvent, son impuissance toujours, même si elle relève aussi de la condamnation idéologique, très bien portée en France, de tout groupe social qui, au moins pour partie, n’adhère pas en subjectivité à ses intérêts de classe, est imparable à l’épreuve des réalités historiques, mais surtout parce qu’elle pointe le caractère profondément inamendable de la situation coloniale. Celle-ci, comprise avant tout comme exploitation légale, officielle, et intériorisée par toutes les parties, d’une majorité par une minorité d’origine étrangère, condamne d’emblée les deux grands fantasmes symétriques du colonisateur : l’extermination et l’assimilation – Memmi montrant que l’un comme l’autre aboutirait à la destruction des conditions de possibilité de l’exploitation coloniale, en supprimant, physiquement ou légalement, la masse de 3 Paris, éditions du Seuil, 1950. 4 Voir surtout Peau noire, masques blancs, ch. 4 « Du prétendu complexe de dépendance du colonisé », Paris, éditions du Seuil, 1952. 5 Voir notamment Portrait du décolonisé, p. 107-108. 3 manœuvre des sur-exploités coloniaux. Ceci posé, il est possible d’affirmer la tendance lourde du colonisateur à assigner le colonisé à ses territoires d’identité épaisse (langue, religion, rapport entre les sexes), soit directement en soutenant les composantes les plus conservatrices de la population colonisée (les congrégations religieuses, les vieilles familles féodales…), soit indirectement en organisant le refus d’assimilation réelle de ceux qu’on nommait alors les « évolués ». La psychologie du colonisé, dans ses variantes et ses évolutions possibles, résulte alors intégralement de ces données structurelles : mépris de soi, aspiration à l’identification à l’autre, puis réaffirmation ambiguë et agressive d’une identité proclamée authentique. Alors que la guerre d’Algérie prend son essor, Memmi peut conclure sur la fatalité d’une destruction proprement révolutionnaire de la situation coloniale. Non sans affirmer que les voies subjectives de la révolution, et en particulier la réaffirmation mythique de l’identité authentique, sont elles- mêmes produites par la situation coloniale et en demeurent tributaires. Il faudra attendre la libération complète pour voir émerger un homme autre, qui sera aussi, et du même coup, un homme comme un autre, sorti définitivement de l’identité coloniale : « Toutes ses dimensions reconquises, l’ex-colonisé sera devenu un homme comme les autres. Avec tout l’heur et le malheur des hommes, bien sûr, mais enfin il sera un homme libre6.» Il faut dire quelques uploads/s3/ portraits-memmi.pdf

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