1 1 Daniel DURNEY LES COMPOSITIONS SCENIQUES DE GEORGES APERGHIS Une écriture d

1 1 Daniel DURNEY LES COMPOSITIONS SCENIQUES DE GEORGES APERGHIS Une écriture dramatique de la musique. Thèse préparée en vue de l'habilitation à diriger les recherches. décembre 1996. 2 2 Nos remerciements chaleureux vont à : M. François-Bernard MÂCHE : Compositeur, Professeur des Universités M. Georges APERGHIS Melle. Marie-Gabrielle SORET : Conservateur de la Bibliothèque Musicale Gustav Mahler M. Gilbert LORENZON Mme. Gisèle DURNEY M. Phrommarinh BOUPHA M. Jean-Louis LEROY Melle Sophie : Secrétaire ATEM M. Igor GARDES : Musicologie-Dijon M. Cyril RAVEAU M. Thierry LEEST M. Jean-Baptiste MEDARD M. Suradej, miss On, miss Ou, là-bas, à Lam Lukka. 3 3 Introduction L'atelier de l'artiste est une pièce obscure, aux volets baissés, à l'étage d'une discrète maison de banlieue au fond d'un jardin. Sur la vaste table, éclairée tout le jour par une simple lampe, on voit, au milieu d'un amas de papiers et de livres, les grandes feuilles de papier à musique sur lesquelles déjà les notes ont surgi. Mais il y a, à côté, tracés sur des feuilles blanches, d'étranges diagrammes, faits de sigles géométriques, ou parfois de simples lettres assemblées en colonnes et en lignes, et agencés visiblement selon des règles précises. Par terre, non loin de là, se trouve le beau livre sur Georges Perec1, où sont reproduits les schémas et listes préparatoires pour La Vie mode d'emploi. Plus tard, dans l'après-midi, le compositeur rejoint ses musiciens. Ils ne sont pas seulement des interprètes, mais des compagnons fidèles, certains de longue date2, d'autres arrivés plus récemment1. Pendant toute la répétition, ils resteront longtemps et affectueusement à l'écoute des intentions de l'auteur. Ils n'auront pas seulement lu la partition et ne chercheront pas la performance technique. S'ils ont appris à cent fois remettre sur le métier, s'ils sont prêts à tout modifier à la dernière minute, c'est qu'ils savent qu'ils vont participer à la genèse de l'oeuvre. L'attitude de l'auteur, qui lui-même 1 Cahiers des charges de La Vie mode d'emploi de Georges Perec, édition présentée par Hans Hartje, Bernard Magné, Jacques Neefs, édition du CNRS, Zulma, Paris, 1993. 2 Martine Viard a créé tous les opéras du compositeur, ainsi que les Récitations (1978) ; Edith Scob, actrice dit le texte de Liebestod et joue dans Conversations (1985) ; Jean-Pierre Drouet est acteur et percussionniste dans L'Echarpe rouge et dans Conversations ; Michael Lonsdale est aussi un vieux compagnon. 4 4 apporte aux répétitions un matériel certes écrit, mais jamais définitivement agencé, les conforte dans cette attitude en permanence créatrice. L'auditeur, lui, reconnaîtra la musique du compositeur à ce partage et à cette fragilité qui la rend différente de toute autre.    Chacun le sait : Aperghis est l'un des compositeurs actuels dont la démarche est la plus intimement liée au théâtre. Il écrit certes régulièrement des pièces de concert, dont certaines sont maintenant très connues –Corps à corps, pour percussion, Fidélité, pour harpe solo, etc... Mais c'est tout de même sa production scénique, comprenant opéras, pièces de théâtre musical et musique de scène, qui forme la partie la plus marquante de sa production. C'est d'ailleurs à l'origine par lassitude d'une certaine forme de reconnaissance par le concert de musique savante qu'Aperghis s'est tourné vers la composition pour la scène. Il déclare : “Je suis mal à l'aise au concert. Bien sûr, j'écris pour le concert, parce que c'est là que la musique se joue..., mais j'ai l'impression très forte qu'il faut trouver autre chose, une forme différente2”. Cette méfiance se manifestait sous une forme encore plus polémique à l'époque où Georges Aperghis venait de fonder l'ATEM, l'Atelier de Théâtre et Musique, et semblait vouloir se consacrer essentiellement à cette activité : "Le concert me paraît totalement désuet. C'est un divertissement, mais ce n'est pas que les musiques ne sont pas divertissantes, elles essaient de raconter des choses3". 1 Françoise Rivalland, percussioniste joue dans Enumérations (1988) et dans Jojo (1990), de même que Richard Dubelsky. 2 Cité par Antoine Gindt, in Aperghis, Le Corps musical, ouvrage collectif, Paris, Actes Sud, p. 41 3 Propos de Georges Aperghis dans le numéro 1686 de France nouvelle (06 mars 1978) 5 5 L'intérêt particulier que porte Georges Aperghis à la composition de partitions destinées à la scène vient donc de sa fascination pour les possibilités expressives de la musique et de l'amusement qu'il prend toujours à "raconter des histoires". C'est à cette tâche d'exprimer par la musique plus fortement, mais moins précisément, ce qu'un texte dit clairement, mais sans laisser autant de place au rêve, que s'adonne avec passion et depuis trente ans le compositeur. La musique de Georges Aperghis pose donc à nouveau la question qui court à travers les siècles, notamment depuis les origines de l'opéra : celle du rapport entre le texte ou la dramaturgie, et la musique. Mais les termes de ce problème sont aujourd'hui considérablement renouvelés. Dans le langage musical contemporain, les modes de signification traditionnels n'opèrent plus. Depuis l'immédiat après-guerre, mais même auparavant, chez certains précurseurs géniaux de la modernité tels que Varèse, la certitude que la musique puisse se rendre capable de représenter un objet, un sentiment, une situation, par tel mouvement mélodique, telle structure rythmique, tel agrégat harmonique est mise à mal. Tout lien perceptible entre un signifiant musical et son signifié explicite (lorsqu'il existe un texte comme dans l'opéra) ou supposé (lorsqu'il est absent ou fortement perturbé, comme dans le théâtre musical) est donc depuis longtemps brisé. La tabula rasa opérée par la loi sérielle d'organisation des hauteurs, puis bientôt des rythmes, des intensités, des attaques a rompu définitivement l'attachement des compositeurs aux procédés d'écriture générateurs d'effets expressifs évidents. Elle a du même coup aboli l'usage de codes de signification jusqu'ici à peu près universellement respectés –dans le cadre d'une sphère culturelle donnée. 6 6 Les habitudes stylistiques étant perdues et les prérequis langagiers abandonnés, rares sont les compositeurs qui se sont attelés à la tâche –ou au rêve– de fonder de bout en bout les bases d'un langage renouvelé. Si cela était possible, on pourrait voir ce langage fonctionner comme un nouveau code de signification. Pierre Boulez y avait songé au moment de la composition des Structures pour deux pianos (1952). Il entendait le fonder sur le sérialisme : "Un fait est certain : depuis la morphologie du langage jusqu'à la conception de l'oeuvre, tout a été remis en question... Il se crée une organisation nouvelle du monde sonore... ; cette organisation exige une mise en oeuvre totalement réadaptée, aussi bien au point de vue de la conception formelle... que de la réalisation instrumentale... ; que cette conception de l'oeuvre –morphologie et rhétorique– soit liée à un bouleversement dans le domaine de la poétique, il n'y a rien là qui puisse surprendre, bien au contraire1." Mais la plupart des compositeurs contemporains ne se sont pas attelés à une tâche aussi ambitieuse. Ils ont mis en place des techniques personnelles innovantes, mais dont les conséquences sur le plan de la signification musicale restent encore à évaluer. L'objet de la présente recherche sera donc de mettre en lumière les traits particuliers d'une écriture très personnelle, afin surtout d'en montrer les vertus narratives et l'efficacité expressive. C'est pourquoi l'analyse prendra en compte en permanence le fait qu'il s'agit ici de musique dramatique. Le problème posé sera celui de la narrativité en musique, mais dans le cadre d'un langage qui se veut résolument moderne, et de plus dépourvu de tout signe d'appartenance à un des courants dominants de la musique des dernières décennies. La méthode suivie pour analyser les éléments de ce langage sera 1 Boulez : "Auprès et au loin" ; Relevés d'apprenti, Paris, 1966, pp. 183-184. 7 7 nécessairement matérielle, et non interprétative, puisqu'aucun code de signification préalable ne peut être postulé. Il sera procédé simplement à la description et au classement des procédés stylistiques les plus couramment utilisés dans les partitions lyriques du compositeur. Comme dans toute étude structurelle, c'est seulement de la somme de ces observations que pourront être tirées des conclusions quant à la signification des tournures ou procédés recensés. Bien entendu, ils seront mis en rapport à chaque fois avec la situation scénique dans laquelle ils se manifestent ; mais c'est seulement l'accumulation des exemples analysés et le rapprochement d'un nombre important de tournures similaires utilisées dans des oeuvres différentes qui permettra d'apporter des éléments d'interprétation. Notre point de vue, dans cette étude, sera donc avant tout analytique et technique, et fort peu historique. On ne cherchera pas à retracer une évolution créatrice, à percer à jour la genèse des oeuvres, à replacer la démarche dans son contexte ou à la comparer avec celle d'autres auteurs. Ce dont il s'agit ici est uniquement de mettre en lumière les traits pertinents d'une écriture musicale. Du reste, une recherche de caractère historique sur un compositeur vivant n'aurait pu prétendre à l'exhaustivité. En revanche, ce qu'on tentera de faire apparaître est une théâtralité virtuelle qui existe dans l'écriture même des parties vocales et instrumentales, et qui constitue probablement l'un des principaux apports de l'oeuvre d'Aperghis à l'évolution des langages uploads/s3/ daniel-durney-aperghis.pdf

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