UN OPÉRA NUMÉRIQUE ET VIRTUEL D’APRÈS LE JARDIN DES SUPPLICES 1 En préambule Si

UN OPÉRA NUMÉRIQUE ET VIRTUEL D’APRÈS LE JARDIN DES SUPPLICES 1 En préambule Si un opéra classique est conçu par un musicien et un librettiste, nous entreprenons ici un travail collaboratif, où les options de chacun sont infléchies par la position des autres. Les problématiques liées aux différents médiums sont autant de richesses cumulées et d’apports. L’écriture, la musique et l’image filmée s’accompagnent et se répondent. L’hybride est constitutif de notre adaptation, comme le furent la conception et le sujet même du livre. Le roman d’Octave Mirbeau a par le passé fait l’objet d’interprétations scéniques, graphiques ou cinématographiques. Les Cahiers Mirbeau en ont déjà fait l’écho. À notre connaissance, cette expérience constitue la première tentative opératique du Jardin des supplices. Les textes suivants peuvent être considérés comme des témoignages. Ils ont été rédigés indépendamment les uns des autres et reflètent bien, selon nous, les ambitions de ce projet. Kinda Mubaideen, librettiste 2 Petit historique Si l’idée de travailler ensemble sur Le Jardin des Supplices était déjà née il y a quatre ans, celle de lui donner sa forme actuelle d’opéra virtuel s’est imposée en 2008, au fil de nos rencontres, de nos échanges et de nos envies esthétiques. Notre première session de recherches et de discussions nous avait toutefois permis d’ébaucher, de manière diffuse mais non moins riche, une certaine esthétique composée de scènes, de sons, d’instruments, d’interprétations et d’ambiances ; autant d’éléments fondamentaux aux prémisses des mots. Ma réécriture du « Frontispice », manifeste idéologique et poétique du Jardin des Supplices, est d’ailleurs issue de ces premiers essais. À ces débuts s’ajoutait également notre intérêt commun pour l’œuvre de Victor Segalen qui, si elle diffère en tous points de celle d’Octave Mirbeau, ne nous ouvrait pas moins sur une couleur chinoise que nous avions le désir d’explorer. Avec Stèles, se déroulait en effet un univers philosophique et esthétique chinois riche en possibilités. Stéphane Mallarmé hantait également nos réunions de sa poétique de l’effet et de sa mise en espace des mots, contribuant à former peu à peu, et aussi étonnant que cela puisse paraître, vu l’éloignement des deux esthétiques, une vision de ce qu’allait être, pour une part, ma grille de relecture / réécriture du roman de Mirbeau. Notre idée d’opéra resta en suspens quelques temps pour renaître plus précise, plus neuve et plus stimulante que jamais, sous sa forme actuelle d’opéra virtuel. La composition de notre nouvel alliage allait nous laisser toutes les libertés que nous ne pouvions prendre auparavant, tout en nous ouvrant sur d’autres difficultés liées au caractère inédit de notre entreprise artistique. Genèse du texte En ce qui concerne la partie textuelle de notre œuvre commune, nous disposions déjà du « Frontispice » issu de notre première session de travail, que nous décidâmes de garder, malgré notre revirement formel. Il s’agissait dès lors de définir les scènes sur lesquelles nous allions travailler par la suite pour former le corps de notre opéra. C’est ainsi que nous 1 Sur ce projet d’opéra virtuel, voir les Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 357-358 (NDLR). 2 C’est Kinda Mubaideen qui a été le maître d’œuvre du projet d’ateliers d’écriture, à Strasbourg et Sarajevo, qui a abouti, en 2007, à Un aller simple pour l’Octavie (Société Octave Mirbeau, 10 €) (NDLR). 1 décidâmes de délimiter des espaces qui soient tout à la fois marquants sur le plan narratif et intéressants sur le plan esthétique, pour ensuite construire notre propos en trois actes avec frontispice et postlude, cinq parties en tout. Mon travail de librettiste consistait dès lors en la réécriture et l’adaptation des motifs que nous avions choisi d’exploiter. Pour chaque acte, nous échangions avant toute chose nos interprétations et nos impressions, en réunion, par mail ou via le blog (http://jdsoperavirtuel.blogspot.com/). Ce préalable nous permettait en effet d’évoquer un réseau de références plastiques, musicales et littéraires propre à instaurer un univers esthétique commun. Nous écoutions également des essais sonores de Détlef Kieffer et visionnions des images fixes ou mobiles d’Erik Viaddeff. La construction de cette culture commune a été largement portée par l’existence du blog, qui formait un lieu de rencontre virtuel permanent, plate-forme d’échange de nos derniers essais et créations, motivation de recherche, d’écriture et de réflexion sur notre propre travail de compositeurs de texte, de musique ou d’image. Forte de toute cette matière préparatoire, la deuxième phase était celle de l’écriture des textes qui allaient être mis en musique et en image, de ces mots destinés à être chantés, dits, écrits, ou simplement utilisés de façon implicite comme supports narratifs et visuels pour le compositeur et le vidéaste. Pour chaque extrait, mon travail d’écriture consistait à recueillir de la matière première textuelle – mots, phrases, expressions, tournures et idées fortes d’Octave Mirbeau – pour les refondre en un texte synthétique, aussi fidèle que réinterprété aux couleurs des univers artistiques que nous avions évoqués auparavant : synthèse fidèle, qui devait, en peu de mots, rendre compte des éléments narratifs indispensables à la compréhension de l’histoire – péripéties, cadre spatio-temporel, décors, personnages en présence –, tout en étant, par moments, suffisamment elliptique, puisque notre volonté commune avait été de répartir la violence de cette œuvre entre nos trois médiums que sont les mots, la musique et l’image, pour échapper aux redondances et aux lourdeurs qu’un texte trop explicite et fourni aurait entraînées ; synthèse réinterprétée qui devait faire de l’œuvre de Mirbeau une œuvre autre, réinventée, réécriture hybride teintée de toutes nos influences et inspirations artistiques personnelles. La difficulté était en somme de composer un texte qui soit suffisamment poétique – et en ce sens personnel – pour pouvoir être mis en musique et en images, tout en étant assez narratif et fidèle au récit mirbellien, pour que le fil de l’histoire puisse se dérouler clairement. Notre opéra, aussi virtuel soit-il, se devait en effet de raconter une histoire, celle qu’ont vécue ses deux personnages principaux, tout en restant un opéra, à savoir une œuvre chantée dans laquelle les mots sont travaillés de façon poétique, dans leurs sonorités, leur rythme et leur pouvoir suggestif et évocateur. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la mise en page de mes textes me paraissait fondamentale (même si elle n’allait pas être visible par le spectateur), ne serait-ce que pour en rehausser la valeur poétique aux yeux de mes collaborateurs, et servir leur interprétation. S’ajoutait à cela la démarche de dramatisation d’un roman, c’est-à-dire la mise en dialogue d’un texte essentiellement narratif, pris en charge de surcroît par le narrateur intradiégétique peu consistant qu’est le personnage masculin central. Il me fallait trouver le moyen de concentrer l’essentiel des paroles dans le personnage de Clara, centre flamboyant de notre œuvre. Au fil de mes essais et réflexions, mais aussi grâce aux retours que me faisaient mes deux collaborateurs, je parvins à trouver un équilibre entre les parties narratives, descriptives et dialoguées, attribuées tour à tour aux différents personnages que nous avions décidé de garder. Aussi, la part narrative et descriptive fut-elle attribuée tantôt au narrateur / récitant, qui narre et décrit par la voix de Détlef Kieffer, tantôt à Clara, chantée et jouée par Marie- Madeleine Koebelé et à qui je fais raconter des événements et décrire des tableaux, tantôt à 2 d’autres voix qui prennent le relais de la narration, jouées également par notre soprano ou encore par moi-même. En ce qui concerne justement cette part narrative portée par d’autres personnages que Clara, elle devait être réduite au maximum pour plusieurs raisons. La première est que nous avions décidé de donner essentiellement la parole à Clara, parce qu’elle est, sur tous les plans, la consistance et la justification même du roman, mais aussi parce qu’elle est interprétée dans notre opéra par la voix d’une seule chanteuse, que nous voulions mettre au centre de l’œuvre. La deuxième est que le personnage du narrateur étant totalement inconsistant dans l’œuvre, son existence n’étant finalement justifiée que par son statut même de narrateur, nous ne pouvions lui attribuer une place dramatique trop importante. La troisième est que ce narrateur, étant porté par la voix non chantée de Détlef Kieffer, ne devait prendre la parole qu’épisodiquement, la forme opératique ayant une relation délicate avec la narration. Quant aux parts dialoguées, elles furent, bien sûr, partagées entre nos deux personnages principaux, Clara, de par sa place centrale dans le roman et dans l’opéra, étant nécessairement privilégiée. D’autres figures marquantes du roman, que sont le capitaine de la balle dum-dum et le bourreau, participent également à ce dialogue. Toutes ces écritures et réécritures furent évidemment ponctuées de la découverte de ce qu’avaient crées mes collaborateurs. En plus d’être un fort soutien à la création, ces moments furent toujours extrêmement plaisants : quelle joie mêlée d’étonnement que d’entendre mes mots mis en musique ! Puis, quelle satisfaction de voir se poser sur les compositions, les vidéos qui donnaient corps au tout ! 3 Détlef Kieffer, compositeur 3 La naissance de cette aventure opératique Composer un opéra n’est pas une démarche innocente. Une première envie, il y a de nombreuses uploads/s3/ detlef-kieffer-kinda-mubaideen-et-erik-viaddeff-un-opera-numerique-et-virtuel-d-x27-apres-quot-le-jardin-des-supplices-quot.pdf

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