DEFENSE DE BADIOU – ET DE MONIQUE STOBIENIA Cette fois-ci l'objet de l'attaque

DEFENSE DE BADIOU – ET DE MONIQUE STOBIENIA Cette fois-ci l'objet de l'attaque est très explicitement le travail effectué par Monique Stobienia en collaboration étroite avec Alain Badiou. Le schéma visé est celui que Badiou avait commandé à Monique Stobienia à partir d'un dessin exécuté de la main même du philosophe. François Chevallier a reproduit ce schéma au début de son brûlot contre l'art contemporain ainsi qu'une œuvre sculpturale signée par un autre artiste1. Il l'a fait avec notre accord, à Jean et à moi, demandé par Gallimard, après le décès de Monique. Mais nous pensions naïvement bénéficier d'un soutien que le critique d'art aurait apporté à l'œuvre de Monique et au geste de Badiou. Nous ne regrettons rien: l'entreprise du livre est pour le moins singulière tant elle apparaît en complète contradiction avec notre intention et surtout avec la réalité de notre position : on le croira si on veut mais Monique est passée aux yeux de notre auteur pour un artiste contemporain sévissant dans le genre des installations minimalistes, une plasticienne qui transpose l'esthétique du minimalisme dans des gris ambigus... Une figuration sans queue ni tête, les formes géométriques sans joie « d'un mathématicien dépressif ». C'est que l'inconscient de l'artiste est visé: il dénoterait quelque chose qui irait à l'encontre des intentions de Badiou. Ce défenseur du sens, de l'humanité contre l'abaissement de soi pratiqué par des artistes duchampiens qui favorisent ainsi l'exploitation libéral et le renoncement aux valeurs plus optimistes de l'Occident (c'est la thèse du livre), se permet de juger les inconscients des artistes incriminés comme ne le ferait aucun psychanalyste. Évidemment les « postmodernes », dadaïstes au sens large et les cinéastes de la Nouvelle Vague, également voués aux gémonies ici ne « jugent pas », ne se permettraient pas ces attaques ad hominem gratuites comme le font les moralistes contemporains. L'inconscient de Monique a le dernier mot sur celui de Badiou : « Si savante et de bonne foi que puisse être Monique Stobienia, déjà auteur d'une œuvre inspirée par Derrida (ce qui se justifiait sans doute davantage) [on appréciera la nuance] comment croire qu'elle puisse exprimer autre chose que ce qu'elle est, non pas en tant qu'être pensant mais en tant que totalité vivante gouvernée par des forces qui n'ont que peu à voir avec la raison. » Non seulement on ne voit pas comment François Chevallier peut évaluer avec un tel aplomb le travail de Monique inspirée par Derrida qu'il n'a sans doute pas vu comme beaucoup, jugement là encore très désobligeant pour Badiou, car Chevallier joue la séparation ou la zizanie entre les philosophes, mais aussi impute le relativisme postmoderne et méprisant à Derrida, puisque l'œuvre imaginée autour de Derrida (reprenant simplement les mots très allusifs de Badiou : qui peut d'ailleurs deviner qu'il s'agit de portraits ?) « se justifie sans doute davantage ». Échafaudage sur un monument nous dit-on artificiellement plaqué, prétentions rationalistes de ses indications qui sont le simple fruit de son imagination et les sécrétions involontaires et navrantes de l'être... « On serait même tenté de dire qu'elles [l'œuvre de Jesus Curia Perez utilisée par Le Monde Diplomatique, et l'œuvre de Monique] sont probablement à l'opposé de ce que les auteurs de ces apparentements terribles pensent eux- mêmes. » L'engagement et le parti pris artistique de Badiou est pourtant d'une autre nature que les illustrations du Monde Diplomatique, le nivellement effectué par Chevallier vise sans doute à abaisser et à nier la force du geste de notre philosophe qui a fait ici œuvre commune, et a placé toute sa pensée sous les signes plastiques de notre peintre. Et la différence aussi évidente entre un artiste exposé en galerie et Monique aurait dû empêcher une telle comparaison si imprudente entre la valeur marchande reconnue d'un artiste et le détenteur d'un capital symbolique Badiou-Derrida en art, la chance d'une amitié artistique, qui répond si parfaitement à nos yeux à ce reproche d'une prétendue incapacité à présenter la totalité de l'être dans une œuvre d'art. Badiou, Derrida et Monique Stobienia sont totalement incarnés ici, ainsi que votre serviteur, un peu oublié et pourtant indispensable à la compréhension de ce quatuor. L'ancien critique d'Art Vivant, il faut tout de même le préciser, a donc tourné casaque, à propos de l'art contemporain, en passant d'un soutien inconditionnel apporté à cet art du mépris, à une dénonciation en règle de ce même art quelques années après, comme d'anciens communistes, on retourne sa veste et on fait entendre sa voix de défroqué. Le rejet des paysages de Monique est d'autant plus regrettable que nous aurions été assez près de nous rallier à sa position, en voyant dans cette démarche critique un contrepoids et une 1 François Chevallier, La société du mépris de soi – De l'Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom, Gallimard 2010 correction de la thèse de Pierre Michel Menger sur le portrait de l'artiste en travailleur flexible, plus adapté que quiconque aux conditions nouvelles de l'emploi précaire imposé par le capitalisme dans l'organisation du travail, et préfigurant même dans une certaine mesure le nouveau management des formes d'exploitation économique des salariés. Thèses complémentaires d'une certaine façon sur les artistes contemporains ou intermittents, paradigmes du travail à l'époque néolibérale. Sauf que la morale pointant la déficience d'un art devenu incapable d'affronter vraiment la mort et le temps par une culture qui recourt à l'obscène, à la plainte et à l'art des bonnes causes rate sa cible. La référence à une tradition occidentale positive et affirmative qui aurait été abandonnée nous laisse songeur, étrange appel au redressement moral dans l'art. D'autant que l'art incriminé ne l'est toujours pas au nom d'une confusion des arts, de la loi du mélange des arts au détriment de la peinture. Ce n'est pas le manque d'investissement vital qui fait défaut chez nos artistes, on ne remettra pas en cause la sincérité des engagements existentiels de Beuys, Warhol, Duchamp, Buren, aussi marchands soient-ils. C'est la confusion poético-plastique, la littérature et le théâtre ou le cinéma comme meilleur conducteur ou véhicule des relations marchandes monadiques, et non pas l'usage indu des théories qui sont « pour elle [Monique] ce prétexte à exprimer une fois de plus son propre discours postmoderniste [plus proche de Derrida] d'indétermination et d'impuissance à se " relier ".» Bonjour la communauté de la déliaison qui nous avait intéressé comme sens commun. Donc Chevallier souligne un mariage contre-nature, une mésalliance et veut proclamer le divorce. « Elle a donc fait un essaim de bulles [pas de chance c'est le dessin de Badiou. Ces imprécateurs qui parlent sans savoir...] à la dérive sur un fond de lignes et de plans sans début ni fin, ce qui est sa vérité à elle [...] ». La société du mépris de l'autre en art: "De même on peut s'étonner que le philosophe Alain Badiou, très peu suspect de nihilisme relativiste, laisse matérialiser sa pensée d'obédience platonicienne dans un espace mort qu'un entrecroisement illogique de droites aiguës et d'a-plats indéterminés achève de rendre inhabitable." Ce type de critique moraliste insistant sur l'humanisme et les valeurs sprituelles se conjuguent ici avec un anti-capitalisme issu de la sociologie du management artiste qui l'apparente donc avec les travaux déjà cités de Menger ou ceux du frère de Boltanski.Mais François Chevallier aura fait l'impasse sur l'origine de la collaboration entre Badiou et Monique qui est le premier schéma plus représentatif aussi de la manière du peintre. Car ce schéma et le choix de la couverture montre un travail sur l'espace qui n'a quère de point commun avec le minimalisme, il en est plutôt l'exact opposé. "Ce que vous voyez est ce que vous voyez" encore faut-il éviter de passer sous silence le point de départ de la collaboration, et les autres œuvres qui figurent dans le livre, pour s'apercevoir que le propos plastique de Monique Stobienia n'est rien moins en effet que minimaliste puisqu'il repose sur un géométrisme radicalement rétinien sans l'ombre d'une installation et autre art d'environnement dont notre critique d'art moraliste est d'ailleurs assez féru si on n'en juge d'après son propre petit panthéon d'artistes comme Neto marqué par des boules et des bulles justement, ou des peintres très littéraires comme Anselm Kiefer ou Julian Schnabel ridiculement mis sur le même plan eshétique que Rothko, Morandi et Tal Coat2.Aucune objectité ou "théâtralité" chez Monique, aucune peinture-objet, mais la présence constante de l'espace et de la composition par plans découpés au rythme des plus variés, démultipliant les rapports harmonisés au sein d'un espace horizontal. Le défenseur du rapport à l'Autre dont on ne sait trop bien s'il s'agit de l'Autre lacanien, mais l'on peut douter de la rigueur conceptuelle d'une quelconque référence à la psychanalyse lacanienne, à moins qu'il ne s'agisse du rapport plus cocasse dans ce contexte à l'autrui lévinassien, l'Autre, l'humanité et les facultés de la civilisation occidentale, les capacités à surmonter les obstacles contrairement à l'auto-dépréciation actuelle et à l'anorexie, qui met "au rencart la morale judéo-chrétienne et humaniste"(tiens?) sans la remplacer. Quant à l'impossibilité du sens qui caractériserait uploads/s3/ defense-de-badiou-et-de-stobienia.pdf

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