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Critique d’art Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain 41 | Printemps/Eté 2013 : CRITIQUE D'ART 41 Articles Des Magiciens de la terre, à la globalisation du monde de l’art : retour sur une exposition historique MAUREEN MURPHY Traduction(s) : From Magiciens de la Terre to the Globalization of the Art World: Going Back to a Historic Exhibition Jean-Hubert Martin, L’Art au large Paris : Flammarion, 2012, 477p. ill. en noir et en coul. 24 x 16cm, (Ecrire l’art) ISBN : 9782081288508. _ 29,00 € Making Art Global (Part 2): « Magiciens de la Terre » 1989 Londres : Afterall Books en association avec The Academy of Fine Art Vienna, The Center for Curatorial Studies, Bard College and Van Abbemuseum, 2013, 304p. ill. en noir et en coul. 22 x 16cm, (Exhibitions Histories), eng Bibliogr. Index ISBN : 9783863352585. 9781846381188. _ 16,80 € Sous la dir. de Lucy Steeds. Essais de Pablo Lafuente, Jean-Marc Poinsot. Textes de Rasheed Araeen, Benjamin Buchloh, Jean Fisher, Francisco Godoy Vega, Thomas McEvilley, Jean-Hubert Martin, Gayatri Chakravorty Spivak Texte intégral En 1989, Magiciens de la terre était présentée comme « la première exposition véritablement internationale, rassemblant des artistes du monde entier1 ». En 2013, le musée national d’art moderne à Paris (MNAM) révèlera au public ses collections permanentes envisagées pour la première fois sous l’angle des « modernités plurielles » et faisant la part belle aux scènes artistiques développées hors d’Occident. Comme par un jeu d’échos ou de résonnances, l’institution renoue avec ses premières expérimentations pour mieux les adapter à un paysage artistique international radicalement modifié. A l’opposition binaire des blocs Est-Ouest caractéristique de la Guerre froide, qui plaçait dans l’ombre de leur rivalité un monde « Tiers » non aligné, a succédé une pluralité de scènes émergentes dynamiques, soutenue par un marché de l’art en pleine expansion. Depuis plus de vingt ans, les publications relatives aux Magiciens de la terre ainsi que les expositions dédiées à la création artistique contemporaine extra occidentale se sont multipliées dans le sillage des débats provoqués par les théories postmodernes et postcoloniales. La majorité de ces initiatives a été menée dans les pays anglo-saxons. En France, ces débats semblent n’avoir pas véritablement porté leurs fruits, du moins au niveau institutionnel2. Revenir sur l’histoire de la conception des Magiciens de la terre, sur les débats que l’exposition a provoqués, ainsi que sur son impact sur le long terme est plus que jamais nécessaire pour comprendre les questions soulevées par l’actualité institutionnelle française à la lumière des débats internationaux. Deux ouvrages nous y invitent : l’un regroupant des textes publiés ou inédits de Jean-Hubert Martin, L’Art au large. L’autre constituant le second volume de l’édition consacrée à l’histoire des expositions, Making Art Global, est exclusivement dédié aux Magiciens de la terre. 1 Pour Lucy Steeds, auteure d’une excellente analyse de l’exposition nourrie de recherches en archives et d’entretiens inédits, Magiciens de la terre inaugure un style d’exposition international de grande envergure, qui prit son plein essor dans le contexte de la globalisation néolibérale du capitalisme. Avant 1989, une « exposition internationale voulait dire des artistes américains et une poignée d’Allemands3 ». Sans doute désireuse de reprendre le flambeau de l’art moderne « dérobé » par New York après la Seconde Guerre mondiale, Paris décide d’investir dans une exposition ambitieuse déployée sur deux sites : la Halle de la Villette et le Centre Pompidou. Lucy Steeds nous renseigne sur les financements de l’exposition dont l’un des plus importants mécènes fut la chaîne de télévision Canal Plus. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’implication de la chaîne ne se limita pas aux financements : elle contribua également à acquérir certaines des œuvres exposées, à l’issue de l’évènement. Car du côté des institutions nationales françaises, l’accueil fait aux œuvres fut réservé, voire nul. Non seulement, le MNAM n’acquit que peu d’œuvres, mais il les déposa de manière permanente au musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAO) lorsque Jean-Hubert Martin en prit la direction en 1994. Comme si la brèche ouverte par l’exposition n’avait pas lieu d’être au musée d’art moderne et que les œuvres devaient retourner à leurs origines coloniales, dans le palais construit à leur effet en 19314. Cet aspect de l’histoire des collections souligné par Lucy Steeds est peu connu, mais en dit long sur le rapport des institutions françaises et la création contemporaine extra occidentale. 2 Si l’évènement fut largement débattu à l’étranger, en France les questions qu’il soulève sont restées en suspens, à l’image de la frilosité qui accompagne la prise en compte des questions liées à l’héritage colonial. Car, qui dit ouverture sur le monde extra occidental dit forcément prise en compte de ce passé conflictuel et 3 douloureux.5 Au moment où se développent les théories postmodernes et postcoloniales visant à rompre avec la prééminence du regard « Blanc, masculin et occidental », la méthode adoptée par Jean-Hubert Martin pour choisir les artistes lui fut vivement reprochée. Si sa démarche peut paraître sous bien des aspects révélatrice du rapport entretenu par la France aux questions coloniales, elle n’en reste pas moins singulière et liée au parcours de l’homme : conservateur du patrimoine, Jean-Hubert Martin, précédemment directeur de la Kunsthalle de Bern (de 1982 à 1985), est nommé directeur du Musée national d’art moderne (MNAM) au Centre Pompidou en 1987. Tout au long de sa carrière, il n’aura de cesse de repousser les frontières du monde de l’art contemporain, d’en questionner les limites, les catégories, d’en infléchir le goût dominant en privilégiant l’émotion, le sensible, voire le merveilleux (Cf. par exemple Altäre : Kunst zum Niederknien, 2001). L’anthologie de textes L’Art au large témoigne de cet éclectisme, des différents jalons de son parcours ainsi que de la volonté de Jean-Hubert Martin de répondre aux critiques qui lui furent adressées à l’occasion des Magiciens de la terre : au reproche de ne pas avoir suffisamment donner la parole aux artistes, il répond par les Rencontres africaines de l’Institut du monde arabe (1994) ; concernant la décontextualisation des œuvres, il organise la Galerie des 5 continents aux MNAO (1995 et 2000), il réaffirme les partis pris des Magiciens avec la Biennale de Lyon, Partage d’exotismes (2000). Dans une veine post Mai 1968, son discours est souvent critique et revendicateur. Jean-Hubert Martin se montre aussi nostalgique de la démarche d’un André Breton ou de la poésie née des affinités tissées dans les cabinets de curiosités de la Renaissance. Magiciens de la terre s’apparenterait ainsi presque à L’Exposition surréaliste d’objets (1936) à deux détails près : « Par fétichisme de collectionneur attaché à la "charge" de l’objet et par crainte des difficultés de communication avec l’autre, Breton et son entourage n’ont jamais invité de "sauvage" à venir exposer à Paris. Un demi-siècle plus tard, ce pas pouvait être franchi, grâce au rétrécissement de la planète dû à l’intensification des communications et des transports6 ». Cette absence de distance critique ou historique par rapport au regard porté par l’artiste sur les « sauvages », rappelle celle adoptée en 1984 à New York à l’occasion de l’exposition Primitivism. Attaquée pour son formalisme, ainsi que pour la réappropriation moderniste qu’elle opéra sur les arts d’Afrique ou d’Océanie7, l’exposition fit l’objet de vives critiques outre-Atlantique, qui n’eurent qu’un faible impact en France et ne semblent pas avoir été pris en compte par Jean-Hubert Martin qui plaça Magiciens de la terre dans un rapport de complémentarité avec Primitivism sans en remettre fondamentalement en cause les principes. Aux œuvres d’art contemporain occidentales furent donc juxtaposés des objets religieux, ou de l’art populaire, comme pour mieux réactiver l’esprit des artistes modernes qui en leur temps s’intéressèrent aux masques ou aux figures de reliquaires issus de contrées éloignées. Mais en 1989 Jean-Hubert Martin choisit des artistes vivants, et les fit venir à Paris pour réaliser des œuvres in situ. Cette attention portée au présent de la création religieuse ou populaire hors d’Occident était à l’époque, et reste aujourd’hui marginale et souvent négligée dans les musées consacrés aux arts extra occidentaux qui ont tendance à privilégier une vision de ces cultures éteintes ou en voie de disparition. Si Jean-Hubert Martin s’en était tenu à cette dimension, l’exposition n’aurait pas posé de problème. Mais en juxtaposant ces œuvres à celles d’artistes occidentaux travaillant dans les milieux de l’art contemporain occidental, Jean-Hubert Martin établit un mode de comparaison implicite, problématique. L’une des finalités de l’exposition visait à contredire « l’idée communément admise qu’il n’y a de création en arts plastiques que dans le monde occidental ou fortement occidentalisé », croyance qui serait à mettre, selon Jean-Hubert Martin, « au compte des survivances de l’arrogance de notre culture8 ». Derrière la charge militante de cette affirmation, surgit une question : celle du choix des œuvres retenues ainsi du mode de sélection opéré. Car n’importe quel objet pourrait être qualifié d’artistique si les conditions de son devenir « œuvre d’art » 4 étaient réunies. L’urinoir de Marcel Duchamp en est un exemple parfait et n’a rien perdu de son mordant ironique. Loin de nous uploads/s3/ des-magiciens-de-la-terre-a-la-globalisation-du-monde-de-l-x27-art-retour-sur-une-exposition-historique.pdf
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- Publié le Dec 28, 2021
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