@ Édouard CHAVANNES DE L’EXPRESSION DES VŒUX DANS L’ART POPULAIRE CHINOIS De l’

@ Édouard CHAVANNES DE L’EXPRESSION DES VŒUX DANS L’ART POPULAIRE CHINOIS De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 2 à partir de : DE L’EXPRESSION DES VŒUX DANS L’ART POPULAIRE CHINOIS par Édouard CHAVANNES (1865-1918) Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. Editions Bossard, Paris, 1922, 44 pages + 14 planches hors-texte. Ouvrage numérisé par Pierre Palpant p.palpant@gmail.com grâce à l’obligeance des Archives et de la Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris http://www.mepasie.org/ De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 3 p.01 Le décor dans l’art populaire chinois est presque toujours symbolique ; il exprime des vœux. Pour constater la vérité de cette proposition, il suffit de jeter les yeux sur les objets qui sont à l’usage de tous, tels que les porcelaines, les broderies, le papier à lettres, les amulettes ; partout nous verrons se reproduire des motifs d’ornementation qui ont un sens ; ce sens peut être plus ou moins caché, mais il importe de le découvrir si l’on veut comprendre la raison d’être du décor lui-même. Pour rendre notre étude plus claire, nous commencerons par analyser l’un après l’autre les divers procédés par lesquels l’idée s’exprime ; nous chercherons ensuite à énumérer et à classer ces idées elles-mêmes. p.02 Un premier mode d’expression de l’idée consistera à écrire purement et simplement les mots qui la signifient. L’écriture chinoise, avec la grande élégance de ses caractères et la variété des formes qu’on peut leur donner, se prête d’ailleurs admirablement à servir d’ornement ; nous trouvons donc de nombreux objets dans lesquels l’écriture seule sert de décor ; tels sont ces vases sur lesquels on lit le caractère [] cheou ‘‘longévité’’, répété cent fois, sous des formes cent fois différentes. Un second mode d’expression est le symbole par association d’idées ; ainsi un lingot d’or représentera la richesse : un livre, le savoir ; une grenade, à cause de ses grains abondants, une nombreuse postérité. De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 4 A côte de ces associations d’idées, qui sont naturelles et qui s’expliquent d’elles-mêmes, il en est d’autres qui sont particulières à la race chinoise et dont les raisons sont souvent difficiles à bien démêler. Elles sont parfois fondées sur une réminiscence de ces textes classiques dont l’esprit chinois est comme imbu. Une ode du livre des vers 1 célèbre les fils, petits-fils et parents d’un prince, en les comparant respectivement aux pieds, au front et aux cornes de l’animal fantastique appelé lin ou k’i-lin. L’image du lin évoquera donc pour les Chinois l’idée d’une illustre postérité. Pl. I. — LES GRENADES Symboles d’une nombreuse postérité Musée Guimet Mais, dans d’autres cas, le symbolisme ne peut s’expliquer que par conjecture. Je n’en prendrai p.03 qu’un exemple. Le dragon est un des sujets favoris des décorateurs ; il est représenté avec une boule, et l’on dit communément que le dragon joue avec une perle. Il représente l’excellence. Quelle en est la raison ? Le dragon préside aux eaux et à la pluie ; en temps de sécheresse, on l’invoque pour que la pluie fécondante vienne sauver les moissons ; il est donc naturel que, chez un peuple agricole comme les Chinois, le dragon, dispensateur de la fertilité des champs, devienne le symbole de ce qu’il y a de plus puissant et de meilleur au monde. Qu’est-ce alors que le disque, si improprement appelé « perle » par le vulgaire ? On a prétendu que c’était le soleil que les nuages pluvieux s’efforçaient 1 Che king, section Kouo fong, livre I, odes 11. [cf. trad. Couvreur] De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 5 de cacher. Mais M. Hirth 1 a proposé une explication plus vraisemblable : il appelle notre attention sur la petite volute qui se trouve toujours à l’intérieur du disque ; cette volute est marquée aussi, dans certains dessins, sur les tambours que le dieu du tonnerre frappe à tour de bras ; elle est l’image du roulement du tonnerre ; de fait, le caractère de l’écriture qui désigne le tonnerre était formé primitivement d’une simple ligne enroulée sur elle- même. Le disque avec lequel joue le dragon est donc le tonnerre ; les lignes sinueuses qui l’entourent sont les nuages, et c’est un vieux mythe de l’orage qui se trouve ainsi figuré. Peut-on aller plus loin encore et montrer pourquoi le dragon préside p.04 à la pluie ? Le dragon a des pattes et des écailles ; il rappelle l’alligator qui existait autrefois dans les fleuves de Chine et dont il reste encore quelques rares spécimens dans le Yang-tse 2. Le crocodile, animal aquatique, est naturellement associé à l’idée des eaux ; il se cache en hiver, mais, au printemps et au commencement de l’été, au moment où tombent les grandes pluies, il apparaît pour se livrer à ses ébats ; les Chinois ont pris l’effet pour la cause et ils ont dit que les nuages accompagnent le dragon 3. Voilà comment l’alligator est devenu un être surnaturel, assembleur de nuages, comment l’imagination des artistes en a fait un animal fantastique, comment le souvenir du rôle qu’on lui attribuait dans les orages est marqué dans le disque du tonnerre et dans les nuages au milieu desquels il se joue, comment enfin l’idée de la fertilité provoquée par les pluies a transformé le dragon en symbole de l’excellence. 1 Hirth, Über den Mäander und das Triquetrum in der Chinesischen und Japanischen Ornamentik (Chinesische Studien, vol. I, p. 231-242) 2 Cf. A. Fauvel, Alligators in China (Journal of the China Branch of the R. A. S., nouv. série, t. XIII, p. 1-36). 3 Cf. J. J. M. DE GROOT, Les fêtes annuelles à Émoui, trad. française, p. 361-371. De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 6 Mais on voit en même temps quelle longue série d’inductions il faut faire pour reconstituer la suite de ces associations d’idées, et quelle part d’hypothèse il y a encore dans l’explication de ce symbole qui est cependant un de ceux qui se laissent le mieux pénétrer. Nous ne poursuivrons pas plus loin ce genre de recherches, quelque intérêt qu’il puisse avoir ; notre but est en effet d’indiquer le sens actuel p.05 et certain des symboles et non d’en établir plus ou moins hypothétiquement la genèse, puisque aussi bien les Chinois eux-mêmes n’en connaissent plus la lointaine origine. Un troisième mode d’expression consiste à figurer des mots au moyen d’images qui suggèrent la prononciation de ces mots ; c’est le procédé le plus usuel du rébus. Une amulette du Cabinet des médailles (n° 29) présente (fig. 1) sur une de ses faces une hallebarde, une pierre sonore et un de ces sceptres d’honneur qui portent le nom de jou-i ; Pl. II. — LE SCEPTRE D’HONNEUR (‘‘JOU-I’’). Fig. 1 Le sommet du jou-i a la forme d’un champignon qui se conserve longtemps sans s’altérer ; ce sceptre est donc aussi un symbole de longévité (p.13). — Musée Guimet. l’expression jou-i signifie « Qu’il en soit comme vous le désirez », « A vos souhaits ». La solution du rébus nous est donnée sur le revers de la pièce où nous lisons les mots ki k’ing jou i, « Que votre bonne chance et votre bonne fortune soient telles que vous les désirez ». La « hallebarde » ki suggère l’idée du mot homophone ki « bonne chance » ; la « pierre sonore » k’ing est l’équivalent phonétique du mot k’ing « bonne fortune » ; enfin le sceptre a pour De l’expression des vœux dans l’art populaire chinois 7 nom jou i, c’est-à-dire « conforme à vos désirs ». Le même rébus se retrouve sur une illustration d’une édition populaire d’un recueil de contes appelé Leao tchai tche i ; on voit sur la table d’un lettré un vase en forme d’éléphant contenant une p.06 hallebarde, une pierre sonore et un sceptre (fig. 2). — Fig. 2 Fig. 3 Sur le pied d’un vase de la collection Grandidier, nous remarquons quatre décors (fig. 3) qui sont les suivants : un pinceau au milieu d’une roue, ce qui peut s’écrire pi tchong « le pinceau passe au milieu », mais ce qui, écrit d’une autre manière, signifiera « Certainement vous réussirez » ; le second décor est formé d’une « fleur de lotus » lien, et d’une « flûte » cheng ; lien cheng signifie « Puissiez-vous monter en grade d’une manière continue ». Puis c’est la « hallebarde » et la « pierre sonore ki k’ing que nous avions déjà trouvées sur l’amulette et qui ont le sens de « Bonne chance et bonne fortune ». Enfin un « lingot d’or » ting et un « sceptre » jou-i donneront la formule i ting jou i « Qu’il en soit certainement suivant vos désirs ». — Une « bouteille » p’ing, une « selle » ngan et un « sceptre » jou-i donneront la phrase [] « Ayez une tranquillité conforme à vos désirs ». p.07 Le calembour n’est pas inconnu dans les uploads/s3/ e-chavannes-de-l-x27-expression-des-voeux-dans-l-x27-art-populaire-chinois.pdf

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