Ouvrage apporté par CHANTAL DELSOL © Les Éditions du Cerf, 2016 www.editionsduc
Ouvrage apporté par CHANTAL DELSOL © Les Éditions du Cerf, 2016 www.editionsducerf.fr 24, rue des Tanneries 75013 Paris EAN : 978-2-204-10887-4 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Introduction L ’esthétique occidentale des images visuelles est dominée par le paradigme de la « mimesis », qui ordonne la beauté de la représentation, de la production par main d’hommes d’une œuvre visible, à la fidélité au modèle, à sa ressemblance parfaite ou approchée. L ’art aurait pour charge de dupliquer et démultiplier la représentation du beau en soi. Chaque œuvre serait un déploiement homologue ou analogue de son modèle pour le rendre accessible à une pluralité de regards de spectateurs. Cette pensée de l’imitation de la nature par l’art, au sens strict ou large, a conduit à une doxologie stéréotypée, souvent très académique, alors même que les pratiques effectives la démentaient en grande part. La recherche du trompe- l’œil par les peintres, depuis l’antiquité, sert en ce sens à la fois d’apogée du geste artistique ingénieux et de moment de son abolition puisque la ressemblance totale fait disparaître les marques mêmes d’une création nouvelle. En fait toute création est moins répétition que variation, différence, dissemblance. Nous sommes aujourd’hui habitués à nuancer et pluraliser l’idée et le terme de « mimesis » et d’imitation, en incorporant la dimension irréductible de la différence. L ’imitation artistique n’est plus pensée comme la soumission au Même mais comme différentes mises en représentation, mises en scène d’une altération 1. Mais peut-être faut- il aller plus loin encore, et déconstruire ce mythe artistique, en libérant l’image de la question de la ressemblance au modèle. Nombre de démarches contemporaines, dites de déconstruction, n’ont eu de cesse de vouloir promouvoir la fin de la transcendance des modèles, la primauté des copies et des simulacres, dans une sorte de renversement du platonisme 2. Et de fait, les artistes eux-mêmes n’ont peut-être jamais fait autre chose que déformer, transformer, métamorphoser par leur imagination l’image parfaite idéale, hantée par la ressemblance. Le désir de l’image artistique s’exprime en fait par un certain iconoclasme, entendu comme distanciation de l’image au modèle, à travers des démarches comme la stylisation, la typification, la symbolisation, mais aussi comme acceptation voire recherche dans l’œuvre d’un manque, d’une absence, d’un écart, d’une mort, non pour affaiblir l’image de l’œuvre d’art mais au contraire, pour conférer à cette altération assumée les possibilités de donner place, de donner vie, à une œuvre qui tienne lieu de réalité propre, de surréalité même. Car à quoi servirait de dupliquer le monde sans le renouveler ? Comment donner corps à un monde en images qui puisse coexister avec le monde tenu pour référent – voire le concurrencer ? Mais pour faire place à cette esthétique de la différence faut-il nécessairement, comme la philosophie de la déconstruction postmoderne, sacrifier l’essentialité du beau, la substantialité du référent invisible et faire comme si l’œuvre disposait d’une autarcie autosuffisante et surgissait comme pure immanence ? Ne peut-on pas trouver d’autres voies, nourries de phénoménologie et d’herméneutique, pour penser une ontologie de l’image poïétique, capable d’introduire une négativité dans l’ontologie de l’imitation qui ne soit pas émancipation ou abolition de toute transcendance invisible ? I À cet effet il s’agit de remonter d’abord aux deux racines des arts visuels en Occident : la platonicienne, qui ne peut être enfermée dans une orthodoxie simpliste du rapport modèle et copie, l’image étant bien assumée aussi comme un typos qui n’est équivalent ni de l’eikon ni de l’eidolon. La chrétienne ensuite, inséparable du néoplatonisme, qui fait place à une image vivante, introdéterminée (agalma), et fait de certaines images une incarnation de l’Idée plus qu’une reproduction, et de la manifestation de l’image une étape vers une disparition de l’image au profit d’une vision imaginale. L ’héritage culturel platonico-chrétien loin de correspondre donc à la version appauvrie de l’imitation livre déjà des ressources subtiles de différentes relations de l’image au visible et à l’invisible qui la pluralisent ontologiquement. Dans cet héritage, l’image créée par l’artiste n’opère un dévoilement esthétique du modèle, de sa beauté, qu’au prix de variations, déplacements, altérations, croisements, hybridations. D’abord l’image comme représentation spatiale, visuelle, par le biais des formes, matières et couleurs, est médiatisée, dialectisée, enrichie ou appauvrie, par sa rencontre avec le langage. Car l’image visuelle peut-elle se montrer sans une verbalisation, latente ou actuelle, révélant par là l’incomplétude même de ce qui se manifeste dans l’espace et le temps du monde ? L ’image peut-elle dévoiler tout ce qu’elle représente ou n’inscrit-elle pas dans son silence une part d’absence constitutive de sa présentation ? La verbalisation, en son abstraction même, celle de l’écriture, mais aussi celle du son, quasi immatériel, est omniprésente autour et dans l’image. Elle peut devancer l’image, chez le créateur ou le spectateur, elle accompagne la contemplation, en acte ou virtuellement (parole silencieuse), elle prolonge l’image en faisant entrer le contenu de l’image dans la narration langagière. Toutes ces opérations attestent des innombrables transformations inhérentes à l’intention initiale de la « mimesis ». Le passage de l’image au langage ne vise plus à assurer une simple équivalence mais à rendre sensible ce que le visible de l’image est incapable de restituer. Il importe alors de renouer ensemble l’esthétique des arts visuels et l’esthétique des poétiques du langage, pour en souligner chaque fois le traitement spécifique, mais aussi complémentaire des images. Mais cette poétique, commensurable et connaturelle à l’image plastique, ouvre elle-même sur une sorte d’illisibilité et d’indicibilité, propres à une langue non informative qui est l’indice même de cette surréalité inhérente à toute œuvre, qui lui donne sa profondeur ontophanique. II Ces transformations de l’image pour la faire entrer dans l’art et l’esthétique, qui concernent l’ensemble des arts plastiques et des arts de langage, n’incitent-elles pas à en chercher un paradigme plus radical, qui permettrait de mettre en évidence une métanoia, une révolution spirituelle dans l’activité de production et de contemplation esthétiques ? La plupart des traditions d’interprétation de l’expérience des images vraiment consistantes et marquantes par leur sillage émotionnel et symbolique, supposent une sorte de surpuissance et de surexistence de l’image qui ne se réduit pas à sa représentation. Du côté de la production comme de la réception, on peut associer l’image à des expériences d’initiation, de dévotion ou d’extase du sublime. Du côté du mode d’existence on peut associer l’image à une catégorie ontologique qui ne soit ni l’être ni le néant, le réel ou l’irréel, mais une existence de troisième type qu’on retrouve dans l’« imaginal » des traditions visionnaires et mystiques ou dans le « corps de résurrection » de la théologie monothéiste. Nous formulons, en effet, l’hypothèse que la création artistique des images, plastiques et poétiques, pourrait s’éclairer, dans leur expression la plus haute et intense, par un paradigme théologique chrétien, celui de la Pâques esthétique. Car dans la tradition chrétienne, le fils de Dieu, comme image vivante du Dieu invisible, après s’être incarné, a accepté de mourir à soi, de sortir du visible mais pour reparaître, après sa mort, transfiguré. Cette épiphanie, postérieure à l’incarnation, en un visible dématérialisé, ne serait-elle pas aussi l’idée cachée, régulatrice, du travail véritable de l’artiste qui par la création veut déplacer le regard du visible immanent vers un nouveau sur-visible, celui qui apparaît à la suite d’une transfiguration ? L ’essence de l’art des images ne se laisserait-elle pas penser mieux à l’aune de ce modèle théologique qui implique non une imitation du modèle, ni sa déconstruction mais une transfiguration de celui-ci dans un nouvel état ontologique dont la résurrection et la manifestation en gloire seraient le paradigme le plus éclairant ? Le mythos chrétien du corps de résurrection rejoindrait ainsi la tradition du monde imaginal chère au néoplatonisme occidental ou oriental ou même celui des traditions visionnaires propre aux cultures traditionnelles 3. Cette hypothèse qui arrache la mort du Dieu et sa résurrection au plan du sacré et du religieux pour en faire une source herméneutique et symbolique d’une œuvre d’art, fait l’objet de plusieurs approches, mises à l’épreuve dans la seconde partie de ce volume. Pour rendre crédible ce modèle il convient notamment de remettre en question l’assimilation conventionnelle de l’image artistique à une simple re- présentation. L ’image ne se mesure pas seulement à sa capacité à assurer une bonne ou mauvaise reproduction. Car en toute image, visuelle comme verbale, il demeure aussi un mode de présence, une vie immanente, qui sont difficiles à subsumer sous les catégories classiques de l’ontologie. Une image artistique n’a pas la réalité du perçu sans être réductible à l’irréalité du fictif. Toute image oscille paradoxalement entre une présence et une absence, entre l’être et le néant. Cette phénoménologie libre de l’image renforce ses attendus avec l’apparition de l’art non figuratif, qui permet de mieux saisir, en l’absence d’un monde reconnaissable, la nature de la consistance de l’image. Que ce soit dans le sens de la fabrication ou de la réception, on vérifie alors la force herméneutique du paradigme de la transfiguration, qui revient de manière récurrente pour donner sens à ce uploads/s3/ esthetique-de-la-transfiguration-by-jean-jacques-wunenburger-wunenburger-jean-jacques.pdf
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- Publié le Jul 31, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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