ETUDES TRADITIONNELLES L’EMBLfiME DU SACRÉ-CŒUR DANS UNE SOCIÉTÉ SECRÈTE AMÉRIC

ETUDES TRADITIONNELLES L’EMBLfiME DU SACRÉ-CŒUR DANS UNE SOCIÉTÉ SECRÈTE AMÉRICAINE") N sait que l'Amérique du Nord est la terre de prédilec­ tion des sociétés’ secrètes et demi-secrètes, qui y pullulent tout autant que les sectes religieuses ou pseudo- religieuses de tout genre, lesquelles, d'ailleurs, y prennent elles-mêmes assez volontiers cette forme. Dans ce besoin de mystère, dont les manifestations sont souvent bien étranges, faut-il voir comme une sorte de contrepoids au développement excessif de l'esprit pratique, qui, d'autre part, est regardé généralement, et à juste titre, comme une des principales caractéristiques de la mentalité améri­ caine ? Nous le pensons pour notre part, et nous voyons effectivement dans ces deux extrêmes, si singulièrement associés, deux produits d’un seul et même déséquilibre, qui a atteint son plus haut point dans ce pays, mais qui, il faut bien le dire, menace actuellement de s’étendre à tout le monde occidental. Cette remarque générale étant faite, on doit reconnaître que, parmi les multiples sociétés secrètes américaines, il y aurait bien des distinctions à faire ; ce serait une grave erreur que de s'imaginer que toutes ont le même caractère I . I. Article paru dans R egnabit, mars 1827. Année Décembre *951 396 23 3 5 4 ÉTUDES TRADITIONNELLES #4= ] 1 *=!=* K 4 et tendent à un même but. Il en est quelques-unes qui se déclarent spécifiquement catholiques, comme les « Cheva­ liers de Colomb * ; il en est aussi de juives, mais surtout de.. protestantes ; et,,même dans celles qui sont neutres au point de vue religieux, l’influence du protestantisme est souvent prépondérante, C'est là une raison de se méfier : la propa­ gande protestante est fort insinuante' et prend toutes les formes pour s’adapter aux divers milieux où elle veut péné­ trer ; il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'elle s'exerce, d’une façon plus ou moins dissimulée, sous le couvert d'asso­ ciations comme celles dont il s’agit. Il convient de dire aussi que certaines de ces organisations ont un caractère peu sérieux, voire même assez puéril ; leurs prétendus secrets sont parfaitement inexistants, et'"1 n’ont d’autre raison d’être que d’exciter la curiosité et d’attirer des adhérents ; le seul danger que présentent celles-là, en somme, c’ est qu’elles exploitent et développent ce déséquilibre mental auquel nous faisions allusion tout à l’heure. C’est ainsi qu’on voit de simples sociétés de secours mutuels faire usage d’un rituel soi-disant symbolique plus ou moins imité des formes maçonniques, mais éminem­ ment fantaisiste, et trahissant l’ignorance complète où étaient ses auteurs des données les plus élémentaires du véri­ table symbolisme. À côté de ces associations simplement « fraternelles », comme disent les Américains, et qui semblent être les plus largement répandues, il en est d’autres qui ont des préten­ tions initiatiques ou ésotériques, mais qui, pour la plupart, ne méritent pas davantage d’être prises au sérieux tout en étant peut-être plus dangereuses en raison de ces préten­ tions mêmes, propres à tromper et à égarer les esprits naïfs ou mal informés. Le titre de « Rose-Croix », par exemple, paraît exercer une séduction toute particulière et a été pris par bon nombre d’organisations dont les chefs n’ont même pas la moindre notion de ce que furent autrefois les véri­ tables Rose-Croix ; et que dire des groupements à étiquettes orientales, ou de ceux qui prétendent se rattacher à d'an- ti'ques traditions, et où l’on ne trouve exposées, en réalité , que les idées les plus occidentales et les plus modernes ? Parmi d'anciennes notes concernant quelques-unes de ces organisations, nous en avons retrouvé une qui a retenu notre attention, et qui, à cause d'une des phrases quelle contient, nous a paru mériter d’être reproduite ici, bien que les termes en soient fort peu clairs et laissent subsister un doute sur le sens précis qu'il convient d'attribut r à ce dont il s’agit. Voici, exactement reproduite, la note en question, qui se rapporte à une société intitulée Order of Chylena, sur laquelle nous n'avons d'ailleurs pas d'autres renseigne­ ments (ï ) : « Cet Ordre fut fondé par Albert Staley, à Phi­ ladelphie' (Pensylvanie), en 1879. Son manuel a pour titre The Standard United States Guide. L'Ordre a cinq Points de Compagnonnage, dérivés du vrai Point E Pluribus Unum {devise des Etats-Unis). Son étendard porte les mots Evangel et Evangeline, inscrits dans des étoiles à six pointes. La « Philosophie de la Vie Universelle » paraît être son étude fondamentale, et la parole perdue du Temple en est un élé­ ment. Eihiopia, Elle, est la Fiancée ; Chylena, Lui, est le Rédempteur, Le * Je Suis » semble être le (ici un signe formé de deux cercles cr ncentriques). « Vous voyez ce Sacré-C æur ; le contour vous montre ce Moi (ou plus exactement ce « Je » ) > ) (2), dit Chylena » . ' A première vue, il semble difficile de découvrir là-dedans rien de net ni même d’intelligible : on y trouve bien quelques expressions empruntées au langage maçonnique, comme les « cinq points de compagnonnage » et la « parole perdue du Temple » ; on y trouve aussi un symbole bien connu et d'usage très général, celui de l'étoile à six pointes ou « sceau de Salomon » , dont nous avons déjà eu l'occasion de parler 1. C’est la traduction d’une notice extraite d’une brochure intitulée A rcanc Associations, éditée par la Societas R osicruciana d’Amérique (Manchester, N. H., 1905). 2. Le texte anglais porte : « You eee thia Sacred Heart ; the outline shows you that I ». l ’e m b l è m e d u s a g r é -c x u ï ï 3 5 5 356 ÉTUDES TRADITIONNELLES ici (i) ; on y reconnaît encore l’intention de donner à l'orga­ nisation un caractère proprement américain ; mais que peut- bien signifier tout le reste ? Surtout, que signifie la der­ nière phrase, et faut-il y voir l’indice de quelque contre­ façon du Sacré-Cœur, à joindre à celles dont M. Charbon- neau-Lassay a entretenu précédemment les lecteurs de Pegnabil { 2) ? Nous devons avouer que nous n'avons pu découvrir ce ■que signifie le nom de ChèyUna, ni comment il peut être employé pour désigneriez Rédempteur » ni même en quel sens, religieux ou- non, ce dernier mot doit être entendu. Il semble pourtant qu’il y ait, dans la phrase où il est question de la « Fiancée » et du « Rédempteur » , une allusion biblique, probablement inspirée du Cantique des Cantiques ; et il est assez étrange que ce même « Rédemp­ teur » nous montre le Sacré-Cœur (est-ce son propre cœur ?}, comme s’il était véritablement le Christ lui-même ; mais, encore une fois, pourquoi ce nom de Chylena ? D'autre part, on peut se demander aussi ce que vient faire là le nom d'Evangeline, l’héroïne du célèbre poème de Longfellôw ; mais il paraît être pris comme une forme féminine de celui d ’Evangd en face duquel il est placé ; est-ce l'affirmation d'un esprit « évangélique », au sens quelque peu spécial où l'entendent les sectes protestantes qui se parent si volon­ tiers de cette dénomination ? Enfin, si le nom d’Ethiopia s'applique à la race noire, ce qui en est l'interprétation la plus naturelle (3), peut-être faudrait-il en conclure que la « rédemption » plus ou moins « évangélique » (c'est-à-dire protestante) de celle-ci est un des buts que se proposent les membres de l'association. S'il en était ainsi, la devise E Pluribus Unum pourrait logiquement s’interpréter dans le sens d’une tentative de rapprochement, sinon de fusion, 1. Cf. Le C hrism e et le Coeur dans Ses anciennes m arques corporatives, jan­ vier 1951. 2. Les représentations blasphém atoires du Cœur de Jésus, in Regnabit, août-septembre 1924. 3. Le nigra îiim, sed form osa du C antique des Cantiques justifierait peut- être le fait que cette appellation est appliquée à la * Fiancée ». L'EMBLÈME DU SACRÉ-CŒUR 3 5 7 entre les races diverses qui constituent la population des Etats-Unis, et que leur antagonisme naturel a toujours si profondément séparées ; ce îvst là qu’une hypothèse,'mais elle n'a du moins rien d'invraisemblable. S’il s’agit d ’une organisation d’inspiration protestante,, ce n’est pas une raison suffisante pour penser quej'emblème du Sacré-Cœur y soit nécessairement détourné de- sa véri­ table signification ; certains protestants, en effet, ont eu pour le Sacré-Cœur une dévotion réelle et sincère (i). Cependant,, dans le cas actuel, le mélange d’idées hétéroclites dont témoignent les quelques lignes que nous avons reproduites r;ou , incite à la méfiance ; nous nous demandons ce que- peut être cette « Philosophie de la Vie Universelle » qui semble avoir pour centre le principe du « Je Suis » ( I Am)-- Tout cela, assurément, pourrait s’entendre en un sens très- légitime, et même se rattacher d’une certaine façon à la conception du cœur comme centre de l'être ; mais, étant données les tendances dé l’esprit moderne, dont la menta­ lité américaine uploads/s3/ etudes-traditionnelles-v52-n296-dec-1951-unknown.pdf

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