QUE SAIS-JE ? L'art italien MICHEL FEUILLET Professeur à l'Université de Lyon I

QUE SAIS-JE ? L'art italien MICHEL FEUILLET Professeur à l'Université de Lyon III - Jean moulin Introduction ’art et l’Italie sont étroitement liés : cela se vérifie autant dans la réalité que dans l’imaginaire collectif. À la présence effective d’un nombre étonnant d’œuvres d’art sur le territoire italien, s’ajoute l’image que les étrangers se font de l’Italie et que les Italiens ont aussi d’eux-mêmes – une image où l’art et la culture occupent le premier plan. Selon les comptages effectués par les organisations internationales, l’Italie, malgré la relative petitesse de son territoire, possède près de 60 % des plus importantes œuvres d’art du monde, entre les fouilles archéologiques, les cathédrales, les églises, les palais, les fontaines, les statues, les tableaux… Si l’on considère les seuls sites à caractère culturel classés par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité, l’Italie en possède quarante-deux ; et, là encore, le pays est en tête au niveau mondial – devant l’Espagne et la France. Sans compter qu’en dehors de l’Italie l’art italien est largement présent dans les plus grands musées : les œuvres de l’école italienne conservées notamment au Louvre à Paris ou à la National Gallery de Londres sont d’une richesse prodigieuse et constituent une part de choix dans l’ensemble des collections. Même si la beauté n’est pas quantifiable, il reste que la densité de la présence artistique en Italie est perceptible par les visiteurs qui remarquent ici, à l’angle d’une rue, un oratoire peint à fresque ; là, au milieu d’une place à arcades, une statue équestre ; ailleurs, dans une boutique résolument moderne, un bas-relief antique miraculeusement préservé… Les étrangers reconnaissent volontiers à l’Italie et aux Italiens cette primauté dans le domaine du beau. On parle du génie italien. Quant aux Italiens eux-mêmes, spontanément ils mettent en avant leur patrimoine culturel comme métaphore de leur propre identité. Un exemple unique nous est donné avec les huit pièces de monnaie éditées au moment du passage à l’euro. Si l’on joue à pile ou face avec ces pièces italo- européennes, on peut tomber, bien sûr, sur le revers qui est le même pour L tous les pays de l’Union, mais aussi sur l’avers qui est spécifique à l’Italie. Alors que la France s’en est tenue aux trois symboles républicains que sont l’Arbre de la Liberté, la Semeuse et la populaire Marianne, l’Italie propose huit images différentes qui sont autant de références culturelles : l’Italie, qui se reconnaît dans ses monuments, au sens large du terme, a opté pour un hommage multiple à ses richesses artistiques et littéraires. Même si la figuration numismatique est stylisée, voire sommaire, l’énumération des sujets représentés est un éblouissement. De la pièce de 2 € à celle de 1 centime, voici ce qu’un porte-monnaie italien peut contenir : l’effigie du poète Dante Alighieri telle que l’a peinte Raphaël dans sa fresque du Parnasse au Vatican ; L’homme aux divines proportions dessiné par Léonard de Vinci pour illustrer les théories sur le nombre d’or de l’architecte antique Vitruve ; la statue équestre de l’empereur Marc Aurèle se dressant au centre du pavage géométrique conçu par Michel-Ange pour la place du Capitole à Rome – lieu chargé d’histoire et de symboles – ; la sculpture Formes uniques dans la continuité de l’espace, emblème de l’avant-garde futuriste imaginé par Umberto Boccioni ; le charmant visage de Vénus dû au pinceau de Botticelli ; la masse du Colisée de Rome ; une autre masse, la Mole Antonelliana, cette tour qui, depuis le tout début du xxe siècle, domine Turin du haut de ses 167 m ; enfin, Castel del Monte, le puissant et mystérieux château octogonal de l’empereur Frédéric II de Souabe, édifié sur une éminence des Pouilles… Ce florilège numismatique englobe symboliquement tout le faisceau de la culture italienne dans le temps et dans l’espace, de l’Antiquité aux Temps modernes en passant par le Moyen Âge et la Renaissance, des rives du Pô jusqu’au Mezzogiorno, sans oublier Florence et la Ville Éternelle. Se trouvant constamment à la portée de tout un chacun, ce modeste résumé culturel est mis à l’honneur dans les menus échanges de la vie de tous les jours. Le présent « Que sais-je ? », que l’on peut également glisser dans sa poche, se propose de poursuivre ce florilège. Dans les limites de ses moyens, il entend raconter l’histoire de cet art selon son évolution. La contribution des principaux artistes sera mise en avant avec l’évocation de leurs chefs- d’œuvre. Mais il sera surtout question d’héritages, d’influences, de croisements. L’art italien s’est développé selon des jeux de transmissions, de stratifications, de concurrences, de ruptures, voire de contradictions. C’est à la découverte de cette dialectique que le lecteur est invité. À la fin de ce « Que sais-je ? », il sera proposé une brève bibliographie avec des ouvrages généraux, de référence ou d’initiation, tous de publication récente. Les références littéraires seront données en note au fil du texte. Chapitre I Le Moyen Âge XIe, XIIe et XIIIe siècles e renouveau historique et culturel que connut l’Italie au début du IIe millénaire – en même temps qu’une grande partie de l’Europe – offre un point de départ devenu traditionnel pour présenter l’histoire de l’art italien – même si d’autres débuts auraient pu être envisagés, englobant le haut Moyen Âge, voire l’Antiquité romaine, grecque et étrusque. On aurait même pu remonter jusqu’à la Préhistoire. Il reste que le renouveau des décennies qui ont suivi l’an mil apparaît comme la source de ce qui sera l’art italien avec ses spécificités et également ses dettes – notamment à la Rome antique et aussi aux civilisations dites « barbares ». Une célèbre citation tirée des Historiæ du moine bourguignon Raoul Graber (ou Glaber) (v. 980-1050) évoque ce réveil du début du IIe millénaire : « Comme approchait la troisième année qui suivit l’an mil, on vit dans presque toute la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les bâtiments des églises ; une émulation poussait chaque communauté chrétienne à en avoir une plus somptueuse que celles des autres. C’était comme si le monde lui-même se fût secoué et, dépouillant sa vétusté, eût revêtu de toutes parts une blanche robe d’églises. » [1] I. L’architecture Le blanc manteau qu’évoque Raoul Graber s’est étoffé au cours des siècles qui ont suivi la renaissance de l’an mil : du xie au xiiie siècle, de nombreux lieux de culte se sont édifiés dans les villes avec de puissantes cathédrales ou des églises plus modestes, à la campagne avec les solides monastères des L moines bénédictins ou de simples pievi (pieve signifie « église paroissiale de campagne »). Pour définir cette période, on a recours, depuis le début du xixe siècle, au mot « roman ». Le roman italien partage avec l’ensemble de l’architecture médiévale du monde latin un même langage soutenu par un même idéal : des structures toujours évidentes, appuyées sur une alternance de colonnes et de pilastres, rythment l’espace, avec une élévation vers des voûtes en berceau ou d’arête, le plus souvent en plein cintre. La nef – car il s’agit essentiellement d’églises – emmène vers l’abside en hémicycle. Une lanterne ou une coupole sur pendentifs domine éventuellement la croisée du transept. L’ensemble s’impose par sa puissance. Les lignes et les espaces sont signifiants selon la foi chrétienne. L’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers le soleil levant, symbole de l’avènement du Sauveur. Le plan dessine la croix du Christ, le chevet semi-circulaire étant le lieu où repose la tête du Crucifié auréolé. L’élévation, faisant passer du plan carré au plan circulaire, emmène de l’espace rectiligne et quadrangulaire, caractéristique du monde d’ici-bas, vers les sphères célestes. L’art roman italien n’est pas unitaire : il présente des caractères différents, riches d’influences multiples – même si des grandes lignes de force se dessinent. La plaine du Pô, délimitée par l’arc alpin et l’Apennin, conserve des édifices imposants : on parle de style roman lombard. Les architectes de cette Italie du Nord sont presque tous restés anonymes, mais ils nous sont connus sous le nom de maestri comacini (du nom de la ville de Côme) ou de maestri campionesi, tous originaires des Préalpes ou des lacs lombards. Près des montagnes, ils construisent avec de la pierre ; dans la plaine, avec des briques, parfois revêtues de marbre. À la charnière des xie et xiie siècles, le nom de l’architecte Lanfranco vient rompre cet anonymat : c’est à lui que l’on doit la cathédrale de Modène consacrée en 1106. Après la victoire à Legnano en 1176 de la Ligue lombarde sur l’empereur Frédéric Barberousse, l’esprit d’autonomie des villes s’en trouve exalté : le campanilisme qui en résulte s’exprime au premier degré avec l’érection de campaniles altiers (campana signifie « cloche »), accolés à la nef ou au transept, voire totalement détachés – ce qui est fréquent en Italie. Le plan circulaire typiquement ravennate (Sant’Apollinare in Classe) est généralement délaissé au profit du plan carré. Le campanile de la cathédrale de Suse et celui de l’église abbatiale de Pomposa (Vénétie) sont uploads/s3/ l-art-italien-michel-feuillet.pdf

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