Eugenio Barba, Expériences du théâtre-laboratoire 13 Rzędów, «faits et discussi
Eugenio Barba, Expériences du théâtre-laboratoire 13 Rzędów, «faits et discussions», first published in Théâtre-laboratoire 13 Rzędów, Opole, Pologne, 1962 Expériences du théâtre-laboratoire 13 Rzędów par Eugenio Barba boursier italien en Pologne Ce qu’on a appelé ‘l’aventure intellectuelle di XXe siècle’ n’a été qu’une prise de conscience des possibilités inexploitées des différents arts. Pas seulement une lucide forme d’ubris, un effort bien décidé à dépasser les limites assignées par la tradition et la rationnelle prudence, mais surtout la profonde conviction que l’art devait changer sa structure et même sa fonction. Dans tous les arts on a pu remarquer un processus de purification, une élimination des ingérences d’autres genres artistiques, refus de tout ce qui n’était pas nécessaire, vital pour la nouvelle métamorphose. Seul le théâtre semble dépourvu de pareilles possibilités. Il a bien essayé de se suicider plusieurs fois, de tuer les vieilles formes pour revivre un nouvel avatar: le période de la Grande Réforme avec ses Stanislavsky, Appia, Craig, Meyerchold, Vachtangov, Piscator a été la tentative las plus sérieuse qui n’a abouti à rien. Les théâtres restent des bâtiments surannés, exprimant des textes classiques et contemporains dans un alphabet routinier et conventionnel. Il n’y a pas de création sur la scène, simplement une stérile répétition des formules usagées et des styles hybrides, se voulant ‘modernes’ par l’exploitation des derniers résultats d’autres formes d’art: peinture, musique, art de l’étalage. Aucune purification, aucune recherche pour développer (ou pour retrouver?) ces éléments qui constituent l’essence même du théâtre, aucun renouvellement de ses moyens d’expression qui puissent s’adapter à notre siècle, aux «actuelles névroses collectives qui, comme les cataclysmes telluriens dans l’histoire de notre planète, marquent les différents époques de l’évolution humaine»1. Jeu des acteurs, récitation, contact entre acteur et public, architecture théâtrale, ce sont bien les vieilles formes qui satisfaisaient les ‘Gentiluomini de la Renaissance’ ou les ‘Honnêtes Gens’ du XVIIe siècle. 1 I. B. Cendrars: Moravagine. Plusieurs voix se sont levées dans cette impasse anachronique en invoquant des réformes, un retour à la spontanéité primitive ou aux formes populaires, la création de ‘laboratoires’ théâtraux. Mais, pour le moment, tout reste imprimé sur le papier: Witkacy et Artaud, ces grands visionnaires, n’appartiennent qu’à l’histoire de la littérature. Notre siècle se vante d’avoir anéanti les distances, facilité les contacts, enrichi chaque culture nationale avec des musées, des discothèques, des filmothèques ‘imaginaires’. Mais en observant mieux, on découvrira une involontaire discrimination culturelle envers les pays dont la langue n’est pas très connue. Je pense à la poésie suédoise, une des meilleurs en Europe ou à cette Pologne dont les films et les affiches ont répandu le mythe, mais qui, au fond, reste encore une inconnue. Dans une petite ville polonaise de province, Opole, il y a trois ans, en 1959, arriva un jeune metteur en scène, Jerzy Grotowski, accompagné du critique littéraire Ludwik Flaszen. Les autorités locales aidant, ils ouvrirent un petit théâtre qui, dès ses premiers jours, acquit une physionomie bien précise: un laboratoire où ils faisaient des expériences sur l’acteur et sur le public, avec pour but une systématique construction d’une nouvelle esthétique théâtrale et une purification de l’art scénique. Purification qu’on pourrait ainsi décrire: 1) Elimination du divorce acteur-spectateur. Le film et la télévision ayant pris la fonction sociale du théâtre, Grotowski a essayé de concrétiser les possibilités que ce dernier avait de se différencier de ses deux rivaux pour survivre et pour se créer une nouvelle fonction et structure. Il croit que cette possibilité consiste en un contact direct, physique entre acteur et public. En conséquence, en transformant l’entière salle en scène et en y disséminant les spectateurs, les acteurs peuvent exercer sur ces derniers plusieurs formes de contrainte pour les faire collaborer et les incorporer à l’action. 2) Renonciation à tout élément non théâtral: scénographie, musique, effets de lumière. 3) Suprématie de l’acteur comme instrument principal dans la création du spectacle. 4) Nouveaux moyens d’expression vocaux et physiques. 5) Radical ‘traitement’ du texte. Considérant le théâtre comme une collective expérience introvertie, les animateurs du laboratoire ont commencé à étudier quels phénomènes ils pouvaient exploiter afin de provoquer des réactions physiques collectives, plus exactement: rendre conscientes impulsions et représentations subconscientes. L’exemple le plus concret et le plus efficace d’un pareil théâtre étant les rituels primitifs, c’est à eux que Grotowski s’est adressé en les enrichissant des résultats de la psychologie et de la sociologie moderne dans le tentative de créer une forme contemporaine de rituel laïque. Les rituels primitifs, berceau du théâtre, manifestations qui engageaient la vie psychique des participants, étaient décharge d’accumulations introverties, volonté de répéter un acte attribué à un modèle archétypal, une espèce de confession collective cimentant la solidarité du clan et, souvent, la seule occasion pour briser un tabou2. Les shamans étaient les motores primi de ces cérémonies où tous les membres de la tribu avaient un rôle à jouer. Fascination, suggestion, surexcitation psychique, valeur, ‘magique’ des mots, le corps essayant de franchir les limites biologiques et naturelles: voilà quelques uns des caractères des rituels primitifs. Evidemment ces cérémonies spontanées, avec leur délivrant paroxysme, sont bien difficiles à être vécues dans notre siècle. On devait chercher des nouveaux éléments qui puissent, en un certain degré, activer le public et le pousser à une collaboration immédiate. Grotowski tout en conservant l’essence même du théâtre primitif, c’est-à-dire l’engagement de toutes les personnes présentes, a éliminé les caractères religieux pour y substituer des ‘stimuli’ laïques provoquant les spectateurs à une participation. Des psychologues, des anthropologues et des sociologues ont démontré l’existence de ‘représentations collectives’3, d’’archétypes’4 qui, tout en étant des créations mentales de l’homme, restent souvent à l’état subconscient, (on les retrouve souvent comme thèmes communs dans le folklore). C’est justement ces archétypes que Grotowski exploite pour déchaîner l’attaque contre le public dans le but de briser son mécanisme de défense psychique et le pousser à une réaction que l’on peut définir de participation. «Dégager du texte dramatique l’archétype5: c’est-à-dire symbole, mythe, image, motif enracinés dans les traditions d’une culture nationale, ayant valeur de métaphore, de modèle de la condition humaine, de la destinée de l’homme. Par ex., archétype de sacrifice, d’holocauste d’un individu pour la collectivité: Prométhée L’Agneau de Dieu Winkelried Archétype de l’homme-shaman qui s’est donné aux puissance démoniaques et qui, grâce à elles, a reçu le pouvoir sur las matière: Faust Twardowski6 Einstein (dans l’imagination populaire). Concrétiser un archétype à l’aide de la mise en scène, ce qui devrait être l’essentiel dans le spectacle, constitue ce que le poète polonais Broniewski, après avoir visité notre laboratoire, a caractérisé comme 2 Sigmund Freud, Totem et tabou. «Une fête est un excès permis, voir ordonné, une violation solennelle d’une prohibition». 3 E. Durkeim, Les formes élémentaires de la vie religieuse. «Il existe en dehors des sensations et des images individuelles tout un système de représentations collectives qui jouissent de propriétés merveilleuses. Des représentations collectives qui ajoutent à ce qui peut nous apprendre notre expérience personnelle tout ce que la collectivité a accumulé au cours du siècles». 4 Prokopiuk, K. G. Jung jako psycholog religii, Varsovie, Euhemer I., 1962. «Les éléments basiques du subconscient collectif ce sont les archétypes. Selon Jung, les archétypes sont des formes potentielles ou des modèles du comportement particulier de l’homme et de l’entier genus humanum. Sous un aspect psychologique ils sont des processus psychiques changeables en images: symboles et mythes». 5 Grotowski emploie le terme archétype sans un sens étroit et purement explicatif. Pour Joung l’archétype ne pouvait pas être aperçu consciemment par l’individu; le subconscient collectif était une espèce de psyché supra-individuelle. Ces affirmations ne sont pas partagées par le jeune metteur en scène polonais. 6 Personnage historique polonais que la tradition populaire a transformé en une espèce de Faust national. ‘expression par la voix et par le corps de l’essence même de le destinée de l’homme’. En manifestant l’archétype on heurte le subconscient collectif. Il en résulte une réaction spontanée. Nous rapprochons deux ensembles (les acteurs et le public) nous appuyant un peu sur le provocation, apparemment même sur la ‘magie’ afin de créer un ‘acte magique auquel tous participent comme dans la préhistoire du théâtre’.7 Si l’on considère ces archétypes comme des ‘vérités’ métaphoriques cristallisées par l’homme, leur démasquement ou profanation n’est qu’une contrainte à regarder bien en face ces ‘vérités’, essayer de juger rationnellement leur structure, ce qui ne veut pas dire une condamnation. Le critique polonais Kudlinski a justement appelé ce processus de profanation caractéristique au laboratoire ‘dialectique de raillerie et d’apothéose’. D’un côté on perce l’apparence de ces ‘vérités’, leur substance purement émotionnelle ou leurs rationalisations de certaines hantises de l’homme, dans une brutale analyse on attaque la valeur mythologique de l’archétype: d’un autre côté on accentue et on souligne son caractère cognitif et extrêmement humain. Quelques exemples expliqueront mieux l’entier processus. En considérant Les Aïeux de Mickiewicz comme un drame rituel, nous l’avons présenté ad litteram; nous avons placé les spectateurs dans la salle entière, ainsi que les acteurs. Ces derniers s’adressent aux personnes présentes, les traitent comme co-acteurs et même les provoquent à participer à l’action scénique. uploads/s3/ eugenio-barba-experience-teatr-laboratorium-french-pdf.pdf
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- Publié le Jan 21, 2021
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