L’Art et l’Industrie des bronzes dans l’antiquité et dans l’Europe moderne A. G
L’Art et l’Industrie des bronzes dans l’antiquité et dans l’Europe moderne A. Gruyer L’ART ET L’INDUSTRIE DES BRONZES DANS L’ANTIQUITÉ ET DANS L’EUROPE MODERNE Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 1, 1856 (p. 153-177). L’ART ET L’INDUSTRIE DES BRONZES L’art des bronzes, qu’on voit naître dès les premiers âges de l’humanité, après s’être développé sur des théâtres bien divers, est aujourd’hui presque exclusivement français. La dernière exposition universelle a pleinement constaté la supériorité du génie de notre pays appliqué soit aux progrès de l’art des bronzes proprement dit, soit au développement des procédés matériels sur lesquels il repose. Ces procédés, qu’on oublie si volontiers d’ordinaire devant une statue ou un tableau pour n’y chercher que l’expression de la beauté, appellent ici une attention particulière, et l’on s’exposerait à mal comprendre les monumens de bronze, si l’on n’était préparé à faire la part du fondeur aussi bien que celle de l’artiste. C’est ce caractère particulier de l’un des arts les plus anciens du monde qu’il y aurait utilité à indiquer. L’histoire des procédés est dans une telle étude la meilleure préparation à l’histoire des œuvres. Observé dans le double domaine de la matière et de l’invention, l’art des bronzes offre dans son passé même les bases d’un jugement équitable sur sa situation présente. I. On comprend généralement sous le nom de bronze ou d’airain un alliage de cuivre et d’étain. Cependant cette définition n’est guère exacte que pour le composé destiné aux bouches à feu, car le bronze, dans ses autres applications, notamment dans la fabrication des objets d’art, est un alliage quaternaire, contenant à la fois du cuivre, de l’étain, du zinc et du plomb. Le bronze est toujours plus dur et plus fusible que le cuivre. D’autant plus cassant qu’il contient plus d’étain, la trempe le rend alors plus parfaitement malléable . La densité du bronze est supérieure à la densité moyenne des métaux qui le composent. Il s’oxyde lentement, même à l’air humide. Néanmoins, fondu, au contact de l’air, il s’oxyde alors facilement, et l’oxydation de l’étain et du zinc marchant plus vite que celle du cuivre, l’alliage qui reste perd ses proportions primitives. [1] La dureté remarquable du bronze, la finesse de son grain, la résistance de cet alliage à l’action oxydante de l’air humide, la fusibilité et la fluidité qui le rendent capable de prendre l’empreinte des moules les plus délicats, le désignaient naturellement à la fabrication des objets d’art. Grâce à ces propriétés précieuses, on retrouve tous les jours encore des médailles enfouies depuis plusieurs siècles dans des terrains humides, et qui n’ont rien perdu de leur finesse première. Chez les anciens, le bronze servait à tous les usages pour lesquels nous employons maintenant avec plus d’avantage le fer, l’acier et la fonte. Aujourd’hui l’emploi du bronze se réduit à la fabrication des canons, des monnaies, des cloches, des tam-tams, des cymbales, des timbres d’horlogerie et des miroirs de télescope. Chacun de ces bronzes a une composition particulière ; c’est l’alliage destiné aux statues qui doit seul nous occuper ici. Les alliages de cuivre, renfermant de 7 à 11 pour 100 d’étain, ou même d’étain, de zinc et de plomb, sont les plus propres à la fabrication des bronzes d’art. Dans les temps antiques, les bronzes de Corinthe étaient les plus renommés ; il y entrait, dit-on, une petite quantité d’or et d’argent. Toutefois l’airain des anciens contenait de 12 à 14 pour 100 d’étain. Cette composition fut à peu près celle des bronzes de la renaissance. Au XVIIe siècle, les frères Keller qui attachaient à la composition de leurs bronzes une importance dont on a fait depuis trop bon marché, adoptèrent pour leurs statues de Versailles une formule moyenne dans laquelle il entrait de 8 à 9 parties d’étain, de zinc et de plomb, contre 92 à 91 de cuivre. Aujourd’hui, si la composition du bronze des statues est demeurée à peu près ce qu’elle était autrefois, l’industrie des bronzes d’art proprement dits se livre à des combinaisons où la fantaisie domine trop. C’est que le bronze était jadis un objet de luxe abordable seulement pour les grandes fortunes. Les grandes fortunes ont disparu, mais le luxe est passé dans les mœurs, et il est devenu pour tous une nécessité : de là pour l’industrie l’obligation de fabriquer du bronze à bas prix, c’est-à-dire du bronze de mauvaise qualité. La cherté du cuivre force alors trop souvent le fondeur à économiser ce métal et à exagérer la proportion du zinc. On ne peut produire ainsi que des fontes épaisses et sans délicatesse, mais peu importe au vulgaire : cela ressemble à du bronze, et cela lui suffit. On vend maintenant sous le nom de bronze des alliages qui n’en sont véritablement plus : il en est qui contiennent jusqu’à 20, 30, 40 pour 100 de zinc, et plus encore. On fait même beaucoup de statues en zinc pur, auquel on donne ensuite la couleur du bronze, et ce métal, si perfectionné dans ses applications, satisfait d’une manière suffisante aux exigences modestes de la consommation bourgeoise. On trouve encore sans doute des bronzes d’art véritables, mais dont le prix est nécessairement élevé. En général le bronze destiné à l’art statuaire doit être assez fluide lors de sa fonte pour pénétrer facilement dans les cavités les plus délicates du moule ; il doit présenter une couleur convenable et pouvoir prendre une belle patine par l’application d’un mordant ; il faut enfin qu’il soit docile au travail de la lime et du ciseau. Malheureusement on ne trouve pas sans peine un alliage remplissant toutes ces conditions. Le bronze exclusivement composé de cuivre et d’étain est dur et tenace, mais ne jouit pas à la fonte d’une très grande fluidité. Si l’on substitue le zinc à l’étain, on a un alliage très fluide, mais dont la ténacité n’est pas suffisante, et qui de plus est facilement oxydable. Le mieux sera donc de former un alliage intermédiaire contenant du cuivre, de l’étain et du zinc. En tout cas, on ne saurait apporter, trop de soins à la composition de ces alliages. Si la composition de l’alliage est d’une grande importance, la fonte est une opération également délicate. Pour donner de bons résultats, elle doit être rapide, afin d’éviter les pertes d’étain, de zinc et de plomb, car, ces métaux étant plus facilement oxydables que le cuivre, les proportions de l’alliage se trouvent souvent dérangées pendant cette opération. Ainsi, lorsqu’on coule le bronze, il arrive souvent qu’il n’a plus la fluidité suffisante et qu’il se refuse à sortir du fourneau : c’est qu’il ne contient plus la quantité d’étain et de zinc nécessaire, et qu’il est trop riche en cuivre. Il est ce que les Florentins, appelaient incantato. À propos de ces accidens, on peut citer un exemple célèbre. Lorsque Benvenuto coula son groupe de Persée et Méduse, il était à dîner. Tout à coup les ouvriers consternés viennent lui dire que la fonte est arrêtée. L’artiste saisit les assiettes et les plats d’étain qu’il avait sur sa table il court les jeter dans le bain métallique, et bientôt le bronze redevient assez fluide pour que la fonte puisse s’opérer dans de bonnes conditions. Pour prouver toute l’importance des opérations de la fonte des bronzes au point de vue de l’art, il suffit de citer la colonne de la place Vendôme : elle représente le type le plus détestable que l’art ait jamais produit, et montre dans quel triste état il était tombé au commencement de ce siècle. La colonne fut fondue avec les canons conquis à Austerlitz : ces pièces contenaient environ 10 parties d’étain sur 90 de cuivre. Eh bien ! des échantillons pris aux diverses hauteurs de ce monument, depuis la base jusqu’au chapiteau, ont donné à l’analyse chimique des proportions de cuivre d’autant plus fortes qu’on s’élevait davantage. Les parties inférieures, coulées les premières, ne contenaient déjà plus que 6 parties d’étain au lieu de 10, puis on en trouvait 2 seulement ; enfin le chapiteau contenait 99,79 de cuivre, c’est-à-dire qu’il n’y avait presque plus trace d’étain. Cela venait évidemment de l’inhabileté du fondeur, qui n’avait pas su prévenir l’oxydation de l’étain pendant la fusion du bronze. Or, à mesure que la proportion d’étain diminuait, l’alliage devenait moins fusible et le moulage de plus en plus défectueux. On plaça ces dernières pièces dans les parties les plus élevées de la colonne, afin d’en dissimuler les fautes. Les bas-reliefs de cet édifice étaient si mal venus, que les artistes chargés de les finir, ou plutôt de les exécuter complètement, purent en enlever 70,000 kilogrammes de bronze, qu’on leur abandonna comme gratification. Un autre phénomène, remarquablement lié aux propriétés les plus importantes du bronze, dépend du partage qui s’établit par le refroidissement dans la masse de cet alliage. En effet une portion du cuivre et de l’étain forme d’abord un alliage qui se solidifie, tandis qu’une autre portion de ces deux métaux constitue un second alliage, qui reste liquide encore pendant quelque temps. Dès que le uploads/s3/ l-x27-art-et-l-x27-industrie-des-bronzes-dans-l-x27-antiquite-et-dans-l-x27-europe-moderne-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
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