23/01/2021 L’image archivée. Sur quelques-unes des formes de l’art contemporain

23/01/2021 L’image archivée. Sur quelques-unes des formes de l’art contemporain https://journals.openedition.org/marges/1314 1/11 Marges Revue d’art contemporain 25 | 2017 Archives Thématique : Archives L’image archivée. Sur quelques- unes des formes de l’art contemporain The Archived Image: On Some Shapes Of Contemporary Art Pʃʗʎ Bʇʔʐʃʔʆ-Nʑʗʔʃʗʆ p. 35-46 https://doi.org/10.4000/marges.1314 Résumés Français English A la question de savoir dans quelle mesure les archives informent les œuvres d’art contemporain, on répondra qu’elles le font littéralement et profondément. On considère en effet le réemploi d’images d’archives dans ces œuvres comme un signal davantage que comme une fin. En d’autres termes, on porte moins ici attention à la façon dont les images utilisent des archives qu’aux voies par lesquelles les œuvres contemporaines sont marquées par leur matérialité au point que l’on entend par « image archivée » une image qui aurait emprunté ses formes à l’archive. Regarding the question of to what extent archives do inform the contemporary works of art, one answers that they do so literally and deeply. Indeed, this article considers that reusing archive images is more a signal than a goal. In other words, we pay less attention here to the way images use archives than to the ways through which contemporary works of art are marked by their materiality, to such an extent that by “archived image” we understand an image which would have taken its shapes from the archive. Texte intégral À la question de savoir dans quelle mesure les archives et en particulier les archives iconographiques informent les œuvres d’art contemporain, on répondra qu’elles le font 1 23/01/2021 L’image archivée. Sur quelques-unes des formes de l’art contemporain https://journals.openedition.org/marges/1314 2/11 littéralement et profondément, en ce que les œuvres s’emparent non seulement du contenu des archives, mais jusqu’à un certain point de leur qualité. Par « qualité », il convient d’entendre aussi bien leurs formes plastiques que leur matérialité. A priori, en effet, l’archive constitue un matériau étranger, allogène, à l’art. Cet apriori repose sur un certain « ordre des images », à la fois évident et incongru, comme l’a montré Gil Bartholeyns, et qui veut qu’« un kouros, les Très Riches Heures du duc de Berry (1468) ou Le Radeau de la Méduse (1819) ne seront jamais des images d’archives1 ». Si l’histoire de l’art est pleine d’emprunts, que l’art moderne se caractérise même par un goût certain pour le pastiche auquel se trouve parfois mêlé des reprises d’images, notamment photographiques, qui ne relèvent pas à strictement parler du domaine de l’art au moins pour l’artiste qui y a recourt (on pense en particulier à Édouard Manet auquel on vient), l’intégration d’une œuvre ancienne dans une œuvre nouvelle n’a pas pour conséquence d’amener à un « vieillissement » de l’œuvre ainsi créée ; elle ne produit pas cet archivage qui fait que l’œuvre se modèle jusqu’à un certain point sur l’archive. De même que « la notion d’image d’archives est endémique à l’histoire contemporaine2 », comme l’écrit encore Bartholeyns, de même on tient le phénomène d’archivage de l’art auquel s’intéresse cet article pour plus contemporain encore, en ce qu’il résulte précisément d’une dissémination de l’image d’archive dans toutes les productions visuelles et imprègne les imaginaires actuels. Cette diffusion est d’ailleurs si forte qu’on a peut-être parfois un peu hâtivement fait appel au concept d’archives à propos d’œuvres qui, aux yeux de Georges Didi-Huberman, recourent en réalité au modèle de l’atlas. Lequel opère un choix « à un moment là où l’archive refuse de choisir pendant longtemps/3 ». « Il n’y aurait bien sûr pas d’atlas sans l’archive qui le précède », reconnaît Didi-Huberman, mais, sans l’atlas, ajoute-t-il, l’archive ne produirait ni visibilité ni savoir/4. Si la distinction est effectivement opérante, elle laisse cependant entière la question de la qualité des images ainsi produites d’après une archive, que celle-ci soit ou non constituée en atlas. 2 C’est pourquoi on conserve ici la notion renvoyant à la source même de cette constitution et qu’on propose d’entendre par « image archivée » une image dans laquelle l’archive n’est pas nécessairement ou n’est plus un référent extérieur au domaine de l’art que celui-ci aurait assimilé ou qu’il se serait approprié, mais une image dont l’archive s’est emparée, de sorte qu’elle apparaît prématurément vieillie, patinée, pourrait-on dire, alors même qu’elle est nécessairement d’aujourd’hui/5. Le paradoxe de cet usage réside dans le fait qu’il tend à dissoudre la distinction sur laquelle se fonde l’appropriation de l’archive par l’œuvre d’art, au risque de rapporter la première à un matériau pour la seconde qui en serait la version élaborée – au risque aussi, par conséquent, de reconduire le préjugé classique qui veut que la photographie serve l’art, et n’en soit pas l’égale. On va voir qu’en fait il conviendra de parler d’une forme de « retournement » de l’archive-source sur l’œuvre d’art, au point que celle-là imprègne véritablement les formes de celle-ci. 3 Cependant, de prime abord, une telle thèse peut paraître quelque peu théorique ou abstraite aussi est-il sans doute préférable d’en livrer dès à présent quelques exemples. La plupart d’entre eux datent des années 1990-2000, même si l’on peut voir se dessiner une- tendance en ce sens dès 1972, à l’occasion de la cinquième édition de la Documenta de Cassel au cours de laquelle son directeur artistique, Harald Szeemann, désigne par l’expression « musée d’artistes/6 » toute une section de l’exposition. Ce qu’on a identifié comme le « tournant documentaire/7 » de l’art contemporain coïncide néanmoins avec la documenta 11 de 2002, coordonnée cette fois par Okwui Enwezor, commissaire ensuite en 2008 de la vaste exposition précisément intitulée Archive Fever : Uses of the Document in Contemporary Art au Centre international de la photographie de New York/8. On se contentera ici de signaler ces événements qui témoignent et participent d’une tendance lourde de l’art contemporain, afin de se concentrer sur les formes des œuvres récentes qui l’alimentent puisqu’il s’agit bien de penser d’abord cette prégnance de l’archive à l’échelle de l’œuvre. 4 23/01/2021 L’image archivée. Sur quelques-unes des formes de l’art contemporain https://journals.openedition.org/marges/1314 3/11 Deux sources de l’image archivée Avant d’en venir à celles-ci, on peut toutefois, en guise de préambule, placer cette recherche sous le double signe d’œuvres qui ne relèvent pas à strictement parler de l’art contemporain bien qu’elles soient éminemment modernes et qu’elles jettent sur l’examen des œuvres suivantes une lumière accrue. Il s’agit des œuvres respectives d’Édouard Manet et de Paul Klee. 5 À la suite de Michael Fried, Hal Foster a montré dans son article intitulé « Archives de l’art moderne » que la peinture de Manet poursuit en la troublant la pensée baudelairienne de l’art en exposant et en proposant une « “structure mémorielle” de la peinture européenne depuis la Renaissance » au point de produire, « peut-être pour la première fois l’effet d’un art transeuropéen, d’une quasi-totalité de cette peinture – un effet qui permettrait bientôt à la Peinture d’être envisagée avec un P majuscule, et nous conduirait plus tard à associer Manet à l’avènement du modernisme », dans la mesure, en effet, où l’auteur du Déjeuner sur l’herbe met en œuvre une « unité interne à la peinture qui favorise l’autonomie de la peinture/9 ». 6 Son Torero mort du milieu des années 1860, par exemple, qui est en réalité une composition plus vaste découpée par Manet lui-même et dont l’originalité absolue ou relative a provoqué entre Charles Baudelaire et William Thoré-Bürger une controverse célèbre/10, renvoie explicitement (presque sur le mode du pastiche), d’une part, à l’histoire de la peinture, en l’occurrence au Soldat mort alors attribué à Vélasquez que Manet n’a d’ailleurs peut-être connu qu’à travers une reproduction photographique et crée, d’autre part, dans sa propre œuvre un précédent, puisqu’en 1871 le peintre réemploie cette figure pour représenter cette fois un soldat communard tué près d’une barricade, événement dont on ne peut assurer avec certitude qu’il en fut le témoin oculaire. 7 Quoi qu’il en soit, le peintre articule bel et bien autour de son œuvre une forme d’intertextualité qui relève en première approximation d’une « manipulation des sources historiques », comme l’écrit Craig Owens à propos justement de ces deux œuvres de Manet, mais qui reste « inconcevable sans l’allégorie/11 », c’est-à-dire, toujours selon les termes d’Owens, sans un élément perturbateur. L’unité proprement picturale dont parle Foster est en effet fonction d’un processus interne à l’œuvre du peintre qui tend à l’allégorisation de sa propre œuvre et non à une immixtion en elle d’éléments qui lui seraient allogènes. Si l’on ne peut qualifier ce processus d’archivistique qu’en adoptant, comme le fait Foster, une position rétrospective (et donc anachronique), celle-ci n’en rend pas moins compte du rapport très particulier – et en un sens inédit – que Manet entretient avec la peinture antérieure et qui peut lui être pensé de cette façon. En « désaffectant » la peinture de son sujet, comme le suggère Georges Bataille/12, Manet pose sur la peinture en son entier un regard « photographique » qui tend à faire de toute œuvre antérieure une « archive » ; et peut-être est-ce sous ce uploads/s3/ l-x27-image-archivee-sur-quelques-unes-des-formes-de-l-x27-art-contemporain.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager