Cahiers de civilisation médiévale Peinture et mentalité à Byzance dans la secon
Cahiers de civilisation médiévale Peinture et mentalité à Byzance dans la seconde moitié du XIIe siècle Tania Velmans Citer ce document / Cite this document : Velmans Tania. Peinture et mentalité à Byzance dans la seconde moitié du XIIe siècle. In: Cahiers de civilisation médiévale, 22e année (n°87), Juillet-septembre 1979. pp. 217-233; doi : https://doi.org/10.3406/ccmed.1979.2111 https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1979_num_22_87_2111 Fichier pdf généré le 25/03/2019 Tania VELMANS Peinture et mentalité à Byzance dans la seconde moitié du XIIe siècle Si l'on voulait définir très brièvement ce qui constitue l'originalité de la peinture murale byzantine, dans la seconde moitié du xne s., on devrait dire qu'il s'agit d'un art qui — au premier coup d'œil — semble, malgré sa spécificité, totalement fidèle aux principes fondamentaux de l'esthétique byzantine1 ; mais aussi, et surtout, que cet art porte en germes les transformations considérables qui feront de la peinture byzantine des xme et xive s. un art animé par un esprit nouveau. Les deux affirmations semblent s'exclure mutuellement et ne font qu'augmenter ainsi l'intérêt de la production artistique de la période envisagée. Celle-ci permet, en effet, de suivre le passage d'une mentalité typiquement médiévale à une manière de concevoir et de sentir le monde plus « moderne » : ce qui commence à changer est la sensibilité, la forme de la piété et la place que l'on accorde à l'homme — qui n'est cependant pas encore l'individu — dans l'Univers. En peinture, les innovations apparaissent d'abord dans l'iconographie, tandis que le style reste plus ou moins traditionnel ; mais les innovations iconographiques du xne s. et la sensibilité qui les sous-tend seront en grande partie responsables de l'éclosion du style nouveau, au xme s., à Byzance. Bien entendu, cet article ne saurait traiter de l'ensemble des problèmes que soulève ce double aspect de la peinture byzantine du xne s. On se limitera donc à étudier deux ou trois innovations capitales qui révèlent l'esprit de l'époque et à les situer par rapport aux constantes traditionnelles d'une pensée et d'un système de formes parvenus à une cohérence et à une logique intrinsèque sans faille. Les constantes traditionnelles Même si elles sont fort bien connues dans leur ensemble, un bref rappel des constantes traditionnelles de la peinture byzantine évitera des malentendus dans la suite de l'exposé. Quelles que soient les modifications survenues dans le style entre le vie et le xne s., la décoration des églises byzantines de ce temps cherche essentiellement à traduire en langage 1. Le style de l'époque des Comnène ne se laisse confondre avec aucun autre. Son graphisme souligné et parfois exacerbé, les proportions très allongées des personnages, plusieurs types de plis caractéristiques, dont celui en forme de tuyau retombant dans le dos au niveau de la taille, les visages aux traits émaciés, où le nez se présente comme une arête osseuse quasiment privée de chair, et les lèvres, minces et un peu pincées, comme deux traits, font du style du xne s. un langage plastique facilement identifiable. Toutes ces caractéristiques sont le résultat d'un prolongement direct, par voie d'évolution, de ce qui avait servi traditionnellement de base aux expressions plastiques qui s'étaient succédées à Byzance et ne contredisent en rien les principes qui avaient défini jusque là l'image religieuse de l'Empire. 217 1 TANIA V KLM AN S plastique le fonds irrationnel de la doctrine chrétienne. Pendant toute cette période les formes sont donc restructurées par rapport au réel en vue de refléter, non pas l'apparence ou l'enveloppe matérielle des êtres et des choses, mais leurs essences, ce que l'on croit être leur noyau spirituel, leur vérité. « Vérité » et « réalité » s'opposent dans l'esthétique byzantine classique, chacune de ces deux valeurs correspondant à une optique particulière. La réalité est synonyme d'apparence, d'extériorité et de consistance matérielle ; la vérité est ce que la réalité est parfois capable de nous révéler lorsque nous la scrutons avec «les yeux de l'esprit » ; elle est intériorité, essence, authenticité, idée au sens platonicien du terme et finalement, connaissance. On emprunte à la réalité la forme humaine, mais c'est pour la soumettre à un système géométrique, rythmique et chromatique particulier. En partant de l'homme, on arrive ainsi à transcender l'humain et à créer ce qui paraît être à première vue un paradoxe : des images de l'invisible. Ces images ne décrivent pas le divin ; elles cherchent à le reconstituer magiquement, à le rendre présent. Il importait donc, entre autres, de prendre suffisamment de distance par rapport au monde matériel, afin que l'image ne suscite jamais un rapprochement avec les êtres et les objets qui entourent le spectateur. Les formes n'étaient pas représentées pour elles-mêmes, dans leur réalité matérielle, mais en vue de suggérer l'idée d'un monde supra- sensible. On s'efforça donc d'oublier le volume, la profondeur du champ, la vraisemblance, le détail anecdotique, individuel, humain. C'étaient là des apparences sans valeur qui ne faisaient que dissimuler la vérité des choses, leur essence. L'image devait être un moyen de créer des états de vie intérieure favorables à la méditation, voire à l'illumination qui menait à la « vérité ». D'où les grands fonds dorés, vides, uniformes et scintillants, véritables rideaux de lumière sur lesquels sont projetés des personnages impassibles et sereins (fig. 1, 8). Ces personnages sans particularité individuelle — représentés à l'aide de la ligne rythmique, de la symétrie, de l'étirement en longueur de la silhouette, de l'absence d'épaisseur, et de formules conventionnelles ordonnant le drapé — se trouvent dans un rapport irréel entre eux et avec les choses. Quant aux éléments qui constituent notre monde environnant, ils n'ont aucune place dans cette peinture. Ces éléments sont sans la moindre valeur dans le monde supra- sensible que l'on cherche à créer de toutes pièces; lorsqu'une image suppose un minimum d'accessoires pour être comprise, ceux-ci sont réduits à leur plus simple expression et y figurent bien davantage comme des signes que comme des reflets de la réalité. Ainsi, les édifices sont minuscules, les objets souvent méconnaissables. Les sujets iconographiques correspondent aux mêmes exigences que l'esthétique. Il s'agissait de représenter, dans le microcosme de l'Univers chrétien (l'édifice cultuel en est le symbole), les principales valeurs qui le constituaient. Plus mouvant à l'époque justinienne2, le programme des églises se stabilise à l'issue de la crise iconoclaste. A partir du xie s., il nous montre une image hiératique, solennelle et triomphale de la Toute-puissance divine — le Pantocrator dans la coupole ; la Vierge, instrument de l'Incarnation et du Salut, occupe la conque de l'abside ; elle est suivie par la Communion des apôtres (2e registre) et par les pères de l'Église, (3e registre). Les anges, les prophètes, les apôtres, répartis sur les voûtes et sur les murs, relient la sphère céleste (coupole, conque) à la sphère terrestre (saints en pied du premier registre). Enfin, l'histoire de l'Incarnation que renouvelle mystiquement chaque liturgie 2. Sur ces programmes, où l'on voit souvent le Christ en gloire ou une Vision prophétique plus élaborée dans la conque, voir A. Grabar, Martyrium, II, Paris, 1946, chap. IV-VII, et plus récemment, J. Lafontaine-Dosogne, Vévolulion du programme décoratif des églises, dans Art et archéologie, rapports et co-rapporls, XVe Congrès International des Études byzantines, Athènes, 1976, p. 131-134. 218 PEINTURE ET MENTALITE A BYZANCE (à travers les sacrements) est représentée par le cycle des Douze fêtes de l'Église et quelquefois par un petit nombre de scènes illustrant le cycle évangélique3. Cette tendance liturgique, qui correspond à un enrichissement et à une importance nouvelle de la liturgie elle-même, continuera et s'intensifiera aux siècles suivants. Son rôle dans l'évolution des programmes iconographiques sera déterminant. Par contre, elle n'aura pas d'influence sur l'évolution du style. Les témoignages d'une nouvelle sensibilité et son importance pour l'évolution FUTURE II en est tout autrement pour une série de changements qui commence à se manifester dans la deuxième moitié du xne s. En 1164, un sujet inattendu apparaît dans la petite église de Saint-Pantéléimon à Nérézi4 : le Thrène5 (fig. 2). Par son contenu — les lamentations de Marie sur le Christ mort — et par les valeurs affectives dont il est chargé, ce sujet marque une opposition très nette aux conceptions traditionnelles qui avaient permis l'élaboration à Byzance d'une image du monde divin. En peuplant celui-ci de figures à deux dimensions, impassibles et immobiles, et en les projetant sur un fond abstrait (fig. 1, 8), on soulignait que les personnages sacrés se trouvaient en état de perfection6, hors de la durée et de toutes contingences terrestres ; et voilà que, brusquement, cet univers de lumière et de sérénité chavire. Dans le Thrène de Nérézi, la Vierge pleure et presse sa joue contre celle de son fils, tandis que saint Jean embrasse la main du Christ. Le Thrène est avant tout un témoignage sur la douleur humaine. Il y a là également un épanchement de tendresse et un aveu de faiblesse. Le corps du Christ mort repose sur le giron de la Vierge qui le tient étroitement enlacé. Saint Jean se penche sur sa main, tandis que Joseph et Nicodème sont agenouillés à uploads/s3/ peinture-et-mentalite-a-byzance-dans-la-seconde-moitie-du-xiie-siecleccmed-0007-9731-1979-num-22-87-2111.pdf
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