Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art 7 | 2009 Paysages so

Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art 7 | 2009 Paysages sonores L’œil et l’oreille dans Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet. D’un faire-semblant sonore à une esthétique sonore Catherine Mao Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/434 DOI : 10.4000/imagesrevues.434 ISSN : 1778-3801 Éditeur : Centre d’Histoire et Théorie des Arts, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval, Laboratoire d’Anthropologie Sociale, UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques Référence électronique Catherine Mao, « L’œil et l’oreille dans Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet. D’un faire- semblant sonore à une esthétique sonore », Images Re-vues [En ligne], 7 | 2009, mis en ligne le 01 septembre 2009, consulté le 30 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/434 ; DOI : https://doi.org/10.4000/imagesrevues.434 Ce document a été généré automatiquement le 30 janvier 2021. Images Re-vues est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International. L’œil et l’oreille dans Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet. D’un faire-semblant sonore à une esthétique sonore Catherine Mao 1 Il nous faut partir d’un constat : il n’y a pas de son dans la bande dessinée. Art de papier, elle sollicite l’œil du lecteur et on ne saurait donc parler d’attention auditive. Pourtant, Thierry Groensteen rappelle que « dans une lettre devenue légendaire, un jeune lecteur faisait part à Hergé de la déception que lui avait causée la bande sonore d’un film dans lequel Haddock n’avait pas la même voix que dans les albums »1. Pas si anecdotique, cette lettre recouvre une déconvenue courante : l’adaptation de BD en film ou en dessin animé s’avèrerait assez souvent décevante, car l’acteur choisi ne restituerait pas bien la voix ou la gestuelle du personnage. Etonnant constat, qui ouvre une brèche : quelque chose se joue ici entre la lecture et la mise en son de la bande dessinée. 2 Dans l’album Faire semblant c’est mentir2, publié en 2008 chez la maison d’édition L’Association, Dominique Goblet raconte, dans un éparpillement temporel, quatre chapitres de sa vie. Cette œuvre forme une sorte de puzzle, d’errance autobiographique. Dans la préface, son éditeur Jean-Christophe Menu raconte les « douze ans de repentirs » de l’auteur, qui font du temps la « vraie matière première de ce livre »3. Et dans cet éclatement temporel, il nous semble que la dimension « sonore » de l’œuvre, parmi d’autres choses, se présente comme un fil conducteur, et notamment comme une composante majeure à la fois de sa structure narrative et de son esthétique. L’œil et l’oreille dans Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet. D’un... Images Re-vues, 7 | 2009 1 Remarquons d’emblée que les souvenirs de Dominique Goblet paraissent souvent essentiellement sonores. La mémoire du père, surtout, se caractérise par des souvenirs bruyants et tempétueux. Dans certains chapitres, le son bédéphilique prend une véritable consistance narrative, provoquant certaines actions majeures, voire venant se substituer au personnage‑source de l’émission sonore. En outre, l’auteur joue avec les ressources « sonores » mises à la disposition de la bande dessinée, en faisant par exemple subir à la bulle de parole ou à la forme de la lettre quelques distorsions. Dominique Goblet accentue la dimension plastique du son par l’emploi d’un lettrage fluctuant et très expressionniste. Au même titre que la figure, la lettre se présente en effet d’abord comme un élément visuel et plastique qui vient prendre place dans le système figuratif de la bande dessinée. Cette plasticité que Dominique Goblet met bien en valeur s’incarne dans une dimension spatiale : le son vient investir plastiquement l’espace de la case, celui de la planche, celui de l’album. De cette manière, il semblerait que le son, en tant qu’élément graphique courant sur la feuille, créant une continuité d’une case à l’autre, soit capable de transmettre une certaine expérience temporelle, et plus encore l’expression d’une durée. I. La bande dessinée : un art audiovisuel ? 3 « Dans le théâtre du futur, l’acteur subordonnera ses mouvements au rythme, créera par ses mouvements une musique originale. Quand les mouvements humains deviendront musicaux jusque dans leur forme, on percevra les mots comme une parure, et on ne voudra plus entendre alors que des mots magnifiques. »4 C’est en 1918 que Vsevolod Meyerhold, metteur en scène et réalisateur russe, « érige le rythme en principe cinématographique de stylisation, d’expression et de construction »5. Mais son rêve, que la forme devienne une danse évocatrice, que tout mot soit rendu superflu, est probablement l’ambition la mieux partagée par tous les arts. 4 Comme le cinéma, cet autre art du récit en images, la bande dessinée est née à la fin du XIXe siècle, et a conquis la parole dans les deux premières décennies du XXe siècle. Si on se rappelle assez bien l’avènement du cinéma parlant, au prix de la disparition du cinéma muet, on oublie en revanche que les bulles ont eu du mal à se faire accepter dans la BD. Longtemps persistèrent les textes sous les images, enlisant celles-ci dans une fonction apparemment illustrative. De même, l’intrusion du son dans le cinéma n’a pas été sans mal. Rappelons le procès que fait l’écrivain russe Leonid Andreev au kinétophone d’Edison en 1913 : « La parole paresseuse finira par détruire cet incomparable rythme d’action endiablée où réside le principal secret de cette fascination qu’exerce la frénésie du cinéma. […] Soumis au mot, le cinéma ne peut être qu’un serviteur, jamais un maître. »6 On suspectait alors le mot de corrompre la pureté du mouvement, l’expressivité du geste. 5 Certains théoriciens ont alors voulu rapprocher la bande dessinée du cinéma. Il faut sans doute attribuer cette tentation à une volonté de rupture : cesser de considérer la BD comme un médium hybride, qui serait l’enfant abâtardi de la littérature et de la peinture. Ils nous invitent plutôt à considérer la BD comme une scène qui s’anime, qui se meut, et qui éventuellement se sonorise. Par exemple, dans Case, planche, récit, Benoît Peeters estime que le modèle pour Hergé est issu non pas de la littérature mais de « cet autre art neuf qu’est le cinéma – un cinéma qui […] est en train de passer au parlant et donc de devenir synchrone »7. Il cite d’ailleurs Hergé : « Je considère mes histoires L’œil et l’oreille dans Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet. D’un... Images Re-vues, 7 | 2009 2 comme des films. Donc, pas de narration, pas de description. Toute l’importance, je la donne à l’image, mais il s’agit naturellement de films sonores et parlants 100 %, les paroles sortent graphiquement de la bouche des personnages. »8 La volonté des théoriciens est manifestement d’analyser le texte bédéphilique comme un problème d’oralité, une question sonore, et non comme un élément littéraire. De là à voir la bande dessinée comme un art audiovisuel, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. La BD ne crée ni mouvement ni son, et la décrire comme un « cinéma de papier » ou un « cinéma du pauvre » ne fait qu’induire en erreur, et notamment se méprendre sur ses caractéristiques sonores. Dans Principes des littératures dessinées, Harry Morgan9 rappelle que la BD ne restitue les sons ni dans leur durée, ni dans leur hauteur ou timbre. 6 Ainsi, ce serait une chimère de croire en une parenté de la bande dessinée et du cinéma, et surtout en une similitude de leur bande son10. Ironiquement, c’est la distinction entre cinéma muet et bande dessinée muette qui nous éclaire le plus nettement sur leur fonction sonore. Quand le cinéma était muet, chacun savait que les acteurs parlaient, ou au moins étaient capables de parole11. A l’inverse, les acteurs de BD ne sont que de papier : le personnage n’a pas la consistance d’un acteur en représentation. Il est fondamentalement « infirme, lui qui ne peut ni se mouvoir ni articuler une parole », que « pur simulacre »12, enveloppe vide auquel il manque la vie, et a fortiori une parole audible. Pour cette raison, il faut le doter de certains attributs, que Thierry Groensteen n’hésite pas à appeler « prothèses »13. Dans ce cadre, la bulle, l’onomatopée ou encore le cartouche se présente comme certains de ces attributs. Contrairement au cinéma, qui prélève un fragment spatio-temporel de l’espace réel, le dessin ne prélève rien du tout. C’est en cela que Benoît Peeters et Thierry Groensteen14 s’accordent à dire qu’il n’y a pas de hors champ dans la bande dessinée. Ces notions de « prothèse » et de « substitut » nous montrent bien que l’art de la bande dessinée repose dans une certaine mesure sur un jeu de faire‑semblant : le lecteur fait semblant qu’il y ait une continuité entre les cases, tout comme il fait semblant que les personnages soient doués de parole, et a fortiori il fait semblant de les entendre. C’est probablement dans ce jeu de faire-semblant que s’ouvre la brèche que nous avons décrite en introduction. Le son bédéphilique n’a donc plus rien à voir avec la bande sonore du cinéma. 7 Cependant, uploads/s3/ l-x27-oeil-et-l-x27-oreille-dans-faire-semblant-c-x27-est-mentir-de-dominique-goblet-d-x27-un-faire-semblant-sonore-a-une-esthetique-sonore-catherine-mao.pdf

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