L’art peut-il se passer de règles ? N.B. Ce cours est très long parce qu’il com
L’art peut-il se passer de règles ? N.B. Ce cours est très long parce qu’il comporte beaucoup d’exemples. Vous n’avez pas à les apprendre tous. Introduction [Intérêt du sujet] Tout le monde, semble-t-il, s’intéresse à au moins une forme d’art. Ceux qui n’aiment pas la peinture, par exemple, apprécient souvent la musique ou la littérature, et vice- versa. La raison en est peut-être que les œuvres d’art semblent satisfaire l’un des désirs les plus profonds de l’humanité : le désir de liberté. Mais en quoi consiste cette liberté, précisément ? Serait- il possible que les artistes soient tellement libres qu’ils n’aient besoin d’aucune règle ? [1ère réponse, argumentée à l’aide d’une analyse des notions] Si l’on se réfère au sens premier du mot « art », il semble bien qu’on ne puisse pas répondre positivement à cette question. À l’origine, le mot « art » désigne toutes sortes de techniques, qu’elles soient artisanales (puis industrielles) ou artistiques. Encore aujourd’hui, l’ « École des Arts et Métiers » est le nom d’une école d’ingénieurs. De même, on dit en parlant d’un travail qui nécessite beaucoup de savoir-faire : « c’est tout un art. » Il semblerait donc qu’il y ait un point commun entre l’artiste, l’artisan, le technicien ou l’ingénieur : tous les quatre possèdent une technique, c’est-à-dire un savoir-faire acquis, transmissible par un enseignement, et par lequel on peut réaliser efficacement ses buts. De ce point de vue, il semble bien que l’art ne puisse pas se passer de règles, c’est-à-dire de manière de faire qui sont définies à l’avance et restent toujours les mêmes. Même l’artiste – en tant qu’il est un artisan – doit se plier à un certain nombre de règles techniques : ses gestes, pour être efficaces, doivent être réalisés d’une façon précise, définie à l’avance, indéfiniment répétables. Par ailleurs, il doit se plier à des conventions sociales et aux exigences de ses clients ou mécènes. [Objection et annonce d’une 2e réponse argumentée] Cette thèse, que nous exposerons plus en détail dans la première partie, est cependant bien discutable. Les artistes ne sont pas seulement des artisans. Le mot « art » a progressivement cessé d’être un synonyme de « technique ». Aujourd’hui, il désigne le savoir-faire ou l’activité des artistes. Or, ces derniers, contrairement aux artisans ou aux ingénieurs, affirment leur liberté créatrice. Leurs œuvres, même lorsqu’elles répondent à une commande, doivent exprimer l’originalité de leur auteur. Dès lors, on peut se demander si les artistes doivent nécessairement se plier à une quelconque règle, qu’elle soit technique ou sociale. Ne sont-ils pas plutôt des créateurs de règles ? N’organisent-ils pas leurs œuvres en fonction de leur liberté créatrice et de leur idéal personnel de beauté ? Ces questions feront l’objet du deuxième temps de notre réflexion. [Objection et annonce de la 3e partie] Enfin, nous nous demanderons si l’artiste ne peut pas aller encore plus loin dans la liberté créatrice, et s’affranchir de toute règle, y compris celle qu’il s’est données à lui-même. Comme on le verra, la réponse à cette question n’est pas évidente, car si une œuvre d’art est affranchie de toute règle, comment pourrait-elle être autre chose qu’un chaos sans intérêt, indiscernable d’un produit du hasard ? I. Un artiste doit se soumettre à des règles techniques et socio-culturelles 1. Les règles techniques Pendant longtemps, les artistes ont été plus ou moins assimilés aux artisans. Cette confusion n’a rien d’absurde. Pour arriver à exprimer au mieux sa pensée et ses sentiments, un artiste doit d’abord acquérir une technique. Pour ce faire, il se rend maître de son corps (il devient habile), des matériaux qu’il façonne (par exemple, le marbre sur lequel travaille le sculpteur ou les sons pour le musicien) et des outils qu’il utilise dans son travail (marteau, burin, pinceau, instrument de musique, corps même dans le cas du chant, de la danse ou du théâtre…). De fait, la plupart des artistes ont été formés auprès de maîtres qui leur transmettaient des techniques. 1 Même à la Renaissance, où les peintres italiens ont cherché à s’élever au-dessus du statut d’artisans, la technique a continué un jouer un rôle essentiel. Léonard de Vinci disait que « La pittura è cosa mentale » (« La peinture est chose mentale ») pour se distinguer des travailleurs manuels de son temps. Mais les artistes de la Renaissance, et Léonard au premier chef, n’en étaient pas moins des artisans, qui avaient appris (ou inventé) de remarquables techniques. La plus connue d’entre elles est l’art de donner une impression de profondeur à une œuvre en deux dimensions (peinture, mais aussi bas-relief) : la perspective linéaire. Cf. à ce sujet cette analyse d’une célèbre fresque de Léonard : La Cène. http://www.scaraba.net/creanum/index.php/rigoureuse/355-la-cene-de-leonard-de-vinci 2. Le poids des conventions et de la culture du temps L’exemple de la perspective linéaire nous permet de comprendre le lien entre les techniques des artistes et la pensée qu’ils expriment dans leurs œuvres. En effet, il semble bien que l’invention de cette technique particulière soit liée à un changement d’époque et de mentalité. Les artistes du 14ème siècle avaient une grande maîtrise technique, mais ils n’utilisaient pas encore la perspective linéaire. Pourquoi ? Sans doute parce que cette manière de représenter l’espace ne correspondait pas à la mentalité de l’époque. Ce qui était souvent utilisée, avant la Renaissance, c’est une tout autre sorte de perspective : la perspective signifiante. Dans les tableaux, il arrivait qu’on représente des personnages plus petits que d’autres, non pas pour symboliser leur éloignement, mais pour montrer qu’ils étaient moins importants dans la hiérarchie religieuse ou sociale. Dans cet article de Wikipédia - http://fr.wikipedia.org/wiki/Perspective_signifiante - se trouve reproduit un tableau de Piero della Francesca, un grand peintre de la Renaissance qui connaissait très bien les règles de la perspective linéaire, mais qui vivait à une époque de transition, où la vieille mentalité médiévale coexistait avec le nouvel humanisme. Dans cette œuvre, on peut voir une Vierge gigantesque en comparaison des personnages qui la prient. La petitesse de ces derniers symbolise le fait qu’ils sont moins importants dans la hiérarchie religieuse que la Vierge Marie, la Reine des Cieux. Avec la Renaissance, de nouvelles techniques artistiques apparaissent parce que les temps ont changé. C’est l’époque de l’humanisme, courant de pensée qui valorise la vie terrestre est. On cherche à représenter les choses telles que les hommes les voient, parce qu’on accorde une grande valeur à l’homme et à son point de vue. Dans la période précédente, les regards sont davantage tournés vers le ciel, vers l’au-delà, le Royaume de Dieu. La vie terrestre est considérée comme une brève épreuve à traverser, plus que comme une chose qui a en soi de la valeur. Cette mentalité religieuse permet d’expliquer, au moins en partie, la naissance de l’art gothique. De la fin du XIIe siècle à la fin du XVe siècle, toute l’Europe catholique se couvre d’édifices religieux caractérisés par la hauteur de voûte et leur luminosité. Comme l’explique cet article de Wikipedia - http://fr.wikipedia.org/wiki/Architecture_gothique - un certain nombre de procédés techniques (voûte en croisée d’ogives, arc-boutants…) permettent de construire des murs plus hauts et d’y percer de grandes verrières, comme celles de la cathédrale de Metz : http://fr.wikipedia.org/wiki/Verrière_occidentale_de_la_cathédrale_de_Metz Dans les églises gothiques, tout est fait pour que le regard du fidèle soit attiré vers le ciel et la lumière, qui sont les symboles de l’esprit divin. À partir de la Renaissance, l’art européen est moins tourné vers le ciel. L’art religieux reste très important, mais les figures sacrées gagnent en humanité. Dans l’architecture, l’horizontalité va de plus en plus primer sur la verticalité. Un siècle environ après la fin de la Renaissance, le château et le parc de Versailles témoignent de ce changement de mentalité et de structures sociales. Au temps de Louis XIV, l’Église catholique a certes beaucoup de pouvoir encore, mais elle a dû céder du terrain face à un pouvoir politique de plus en plus centralisé et puissant. Le Roi Soleil pense sans doute à son salut dans l’au-delà, mais il a aussi de grandes ambitions profanes : étendre le territoire de son Royaume et la maîtrise de ce territoire. Son château, qui est beaucoup plus large que haut, symbolise cette ambition, tout comme le grand parc avec ses vastes perspectives et ses allées qui rayonnent depuis le château comme les rayons du soleil (emblème du roi). Les artistes qui ont travaillé pour Louis XIV – Mansart pour le château et Le Nôtre pour le parc – ont donc plié leur art aux exigences de leur commanditaire. Loin d’avoir une liberté totale, ils ont mis leur technique au service de la monarchie absolue. upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/04/Chateau_de_Versailles_1668_Pierre_Patel.jpg Jusqu’à présent, nous avons exclusivement parlé d’œuvres d’art faites pour être vues. Mais ce que nous avons dit pourrait valoir également pour celles qui sont destinées à être entendues, comme les 2 compositions musicales. Les musiciens doivent respecter des règles d’harmonie, et en particulier éviter les dissonances (au moins dans une certaine mesure, comme on le verra dans la partie suivante), c’est-à-dire les intervalles ou les uploads/s3/ lart-peut-il-se-passer-de-rgles.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 30, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1545MB