Processus de création Slimane Raïs construit son œuvre à partir de ren- contres

Processus de création Slimane Raïs construit son œuvre à partir de ren- contres qu’il suscite au gré des processus artisti- ques qu’il génère. À l’occasion de l’exposition Le jar- din des délices, il expose quatre pièces. Les migrants invitent les habitants d’un quartier ré- puté sensible, par voie d’une petite annonce dans la presse locale, à s’auto-décrire par téléphone afi n de réaliser leur portrait. Slimane Raïs travaille à partir d’un logiciel de réalisation de portraits-robots utilisé par les services d’identité judiciaire de la police. Pour parler consiste en une cabine téléphonique accrochée au mur d’un centre d’art. En décrochant le combiné, le visiteur entre en communication di- recte avec le téléphone portable de l’artiste. Ressources humaines développe un processus qui s’apparente à celui de la recherche d’emploi. En s’appuyant sur une ANPE et une mission loca- le d’insertion, l’artiste propose à des personnes en recherche d’emploi de construire un entretien qui s’appuierait exclusivement sur les loisirs que le pos- tulant aura mentionnés au bas de son C. V. Pour Le jardin des délices l’artiste a passé une sé- rie d’annonces demandant aux participants de lais- ser sur son répondeur téléphonique le récit d’une faute. L’ensemble des messages est ensuite mur- muré par des haut-parleurs cachés dans des boules dorées suspendues à des tiges fl exibles. Qu’il s’agisse d’une rencontre de visu, d’une conver- sation téléphonique ou d’un message anonyme, ces processus de création se doivent de susciter assez de désir pour recueillir la collaboration des partici- pants. Ces situations rendent l’artiste dépendant du désir de participation de l’Autre, qui se trouve com- me dépossédé du pouvoir unique de réalisation. Les rencontres, qui l’impliquent autant que le parti- cipant, confèrent à son travail une dimension socia- le. Pour autant, il n’y a aucune volonté de sa part de créer du lien social, contrairement à des artistes at- tachés au mouvement de l’esthétique relationnelle. Raoul Marek LA SALLE A MANGER - LA SALLE DU MONDE En s’appuyant sur la relation à l’Autre, Raoul Marek aborde, à travers des créations protéi- formes, les notions de rituels, d’identité et de déplacement. Une des particularités que pré- sente sa démarche est la participation du spec- tateur. - s’ancrant ainsi dans l’esthétique rela- tionnelle. Mots clés Processus, collaboration, esthétique relatio- nelle. Esthétique relationnelle : «La pratique artis- tique se concentre désormais sur la sphère des relations interhumaines, comme en témoignent les pratiques artistiques en cours depuis le dé- but des années quatre-vingt-dix. L’artiste se fo- calise de plus en plus nettement sur les rapports que son travail créera parmi son public, ou sur l’intervention de modèles de socialité. Au-delà du caractère relationnel intrinsèque à l’oeuvre d’art, les fi gures de référence de la sphère des rapports humains sont désormais devenues des formes artistiques à part entière : ainsi, les meetings, les rendez-vous, les différents types de collaboration entre personnes, les jeux, les fêtes représentent aujourd’hui des objets es- thétiques susceptibles d’être étudiés en tant que tels.» Nicolas Bourriaud, in L’esthétique relationnelle, 1998. Aller plus loin... Altérité La démarche de Slimane Raïs s’appuie sur des té- moignages dont les thèmes universels peuvent re- grouper autant les fautes, les passions, les rêves, les peurs - ce qu’il appelle le « plus petit commun multiple ». La récolte de ces histoires participe de l’humanité de son travail basé sur l’écoute et le res- pect de l’Autre. La nécessité de mise en confiance de l’Autre peut engendrer une situation délicate pour l’artiste où en retour, il est parfois amené à partager une expérience. Avec sa dernière œuvre, Le jardin des délices, l’artiste opère un glissement : plutôt que de rencontrer physiquement des gens, il est dé- sormais le réceptacle d’une parole. « Pour moi, dit l’artiste, la plus grande des fautes serait d’en arriver à l’exploitation ou la manipula- tion des gens qui participent à mon travail. Je veille toujours à ce qui se passe entre nous, la rencontre, se transforme en un véritable échange et qu’eux autant que moi bénéficient de cet échange » in Ca- talogue de l’exposition Le jardin des délices, éd. Ru- rart, 2006. Pour que son travail reste juste et ne se perde ni dans les travers du sensationnel ni du voyeurisme, l’artiste rappelle que toutes ses œuvres procèdent avant tout d’une démarche esthétique. Le jardin des délices, une installation sonore et visuelle, en est un bon exemple. L’œuvre, s’appuyant sur la légende de la fée Mélusi- ne, revisite le triptyque éponyme de Jérôme Bosch, conçu comme un rappel à la morale et un avertisse- ment pour qui serait tenté de succomber aux plai- sirs du bas monde. Slimane Raïs interroge l’idée que tout un chacun peut se faire de la notion de faute. Plutôt que de mettre en scène un jugement collectif, il cherche à mettre en place un processus d’identi- fication et de compréhension de l’autre. Les miroirs renvoient le spectateur à son propre rapport à la faute et l’invitent à l’introspection. La sélection des histoires lui permet d’éviter le piège du caractère populiste qu’il peut exister dans cet- te œuvre, et si présent aujourd’hui dans les talk- shows. C’est sans doute cette position très claire, qu’il compare à une forme d’autocensure, qui per- met à l’œuvre de Slimane Raïs d’être empreinte de la plus grande sincérité. Jérôme Bosch LE JARDIN DES DELICES Jérôme Bosch (1453 – 1516), célèbre peintre néerlandais, puise son inspiration dans les my- thes religieux qu’il revisite sous l’angle du pé- ché. Le jardin des délices qu’il peint en 1503-04 est un triptyque qui dépeint le paradis, le pur- gatoire et l’enfer. Le jardin des délices, 2006 Des lettres de néon rouge où l’on peut lire «le jardin des délices» éclairent une pièce aux murs habillés de miroirs. Vingt-cinq hauts-parleurs, dissimulés dans des boules dorées, diffusent le récit de fautes jusque là inavouées... Mots clés Jardin, faute, confession, intimité, altérité. Altérité : Caractère de ce qui est autre, s’op- pose à identité. (Larousse) «Il y aurait d’abord les autres. Ces autres que l’artiste interpelle et auxquels il demande de participer à son travail. Ces autres auxquels il propose les termes d’un contrat qui se noue en toute simpliité pour faire une oeuvre sans esbroufe, sans ostentation, sans tentation mi- litante ou monumentale. [...] Il y aurait ces autres, invités à la parole ou au don de quelque chose d’eux-mêmes, dans le cadre d’un face à face auhentique, d’une relation juste sensible, d’égal à égal, qui ferait la substance de l’oeuvre. Et cette oeuvre serait subversive parce qu’elle déferait l’artiste des oripeaux du pouvoir que son statut aurait pu lui donner sur les autres.» Marielle Belleville, catalogue de l’exposition L e jardin des délices. Ressources humaines, 2001 Ressources humaines est une installation vidéo, elle prend la forme d’un écran souple sur lequel est projeté le portrait d’un candidat se prépa- rant à l’entretien. Afin de suivre l’interview des candidats, le visiteur doit traverser l’écran puis s’installer sur l’une des deux chaises face à un moniteur. C’est au total neuf personnes qui se succèderont pour raconter leurs passions, face à l’artiste, qui reste cependant absent de la vi- déo. Mots clés Portrait, installation vidéo, présentation de soi, hobbies, personnalité, individualité. Portrait : Au sens général, représentation de la personne. [...] Le genre du portrait, dans quelque art que ce soit, témoigne d’un intérêt pour l’individuel ; ce n’est pas seulement l’être humain en général que rend le portraitiste, c’est telle personne en tant qu’elle est elle-même. Etienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, PUF, 1990, p. 1161-1162. Aller plus loin... Robert Filliou TOILETTES L’œuvre composite de Filliou continue de mar- quer l’art contemporain. Il a ouvert la brèche du courant de l’esthétique relationnelle, développé l’idée d’œuvre partici- pative, de work in pro- gress, d’équivalence entre l’art et la vie et de désacralisation de l’art. Statut de l’artiste La spécificité du travail de Slimane Raïs, centrée sur la rencontre avec des inconnus, conduit à s’interro- ger sur la place de l’artiste dans notre société. Parmi les quatre œuvres présentées, Ressources humaines, est la seule où l’artiste fait face physi- quement au participant. Le dispositif met en scène esthétiquement la relation entre une présentation publique normative et le jardin secret des candidats. L’implication de l’artiste, qui incarne le recruteur, et la confrontation physique sont au cœur de ce dis- positif basé sur le principe d’un entretien d’embau- che. Comme pour tout échange, les deux personnes s’in- fluencent mutuellement et interagissent. Les candi- dats, en pleine représentation d’eux-mêmes, se re- prennent parfois ne sachant pas ce que l’on attend d’eux. Au fur et à mesure de l’avancée des inter- views, le candidat laisse la place à l’individu qui se livre parfois totalement. Ressources humaines, est une manière pour l’artiste de valoriser la singularité de chacun plutôt que l’acteur économique et social. Slimane Raïs s’appuie sur des contraintes sociales qui interrogent notre société sans pour autant am- bitionner de réorganiser à quelque échelle que ce soit le monde dans lequel il vit. Ses propositions artistiques interrogent l’organisation sociale plutôt qu’elles ne cherchent à la modifier. Si les uploads/s3/ le-jardin-des-delices-dossier-pedagogique.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager