1 LE NOM DE LA FEMME EN LANGUE AMAZIGHE (1) Par Hammou DABOUZ « C’est cette sur

1 LE NOM DE LA FEMME EN LANGUE AMAZIGHE (1) Par Hammou DABOUZ « C’est cette sur-vie de petits parlers disséminés qui, tous ensemble, font la richesse dynamique et la force de la langue amazighe. » H.D. L’ensemble de communautés d’une même langue est toujours soumis aux différents et divers facteurs tels l’histoire, l’économie et la politique. Il est aussi influencé par l’étendue géographique. Les liens qui unissent la langue et la société sont très étroits à tel point qu’il est impossible de parler de la langue sans parler de la société. Et la langue reste toujours le résultat des situations sociales, culturelles, économiques… et politiques qui se suivent dans le temps et dans l’espace. La langue amazighe comme d’ailleurs toute langue, et avec ses stratifications inter dialectales, ne fournit pas particulièrement au plan lexical, un cas d’homogénéité. Elle connaît un ensemble de variantes dialectales aussi riche et aussi diversifié. Même si l’on reste dans un même champ sémantique, l’image sémantique d’un mot peut se différer plus au moins sensiblement d’un système dialectal à un autre. La superficie (aussi bien que la vaste étendue préhistorique et historique) que se partagent les variantes amazighes est tellement immense que cela n’est pas sans entraîner une hétérogénéité aux plans phonétique et lexical(-sémantique). La discontinuité territoriale et L’écart lexical sont dus aussi aux modifications des situations sociales et politiques en entraînant des répercussions sur la langue et des mutations dans le comportement linguistique. Les sons et leur(s) signification(s) sont indissociables de la vie la plus profonde de l’Amazighe, à distinguer la valeur lexicale d’un mot et la (les) situation(s) contextuelle(s) où le mot est employé, puisqu’un seul mot peut avoir plusieurs significations (polysémie), déjà pour un même dialecte. La concordance lexicale en Amazighe n’est en grande partie imparfaite que d’apparence, et ce, à cause de la parenté génétique qui comporte d’amusants glissements et évolutions de sens et de forme. Dans beaucoup de cas on n’arrive pas à avoir ce qu’on cherche dès le début. Mais dans la quasi totalité des situations de souche amazighe, on peut généralement finir par trouver un correspondant dont la racine est attestée dans les parlers en comparaison, en suivant les parallélismes reconnus dans l’état amazighe général. On peut commencer dans des questions à connaître les éléments qui constituent les sons les plus irréductibles, ensuite les sons proprement dits, puis les possibilités de combinaisons de sons, c’est-à-dire racine, mot et enfin combinaison et fusion de deux racines, voire plus. Cependant les frontières entres ces niveaux restent discutables. Ce n’est pas comme l’exactitude mathématique qui consiste à dire que la somme des angles d’un triangle soit toujours égale à la somme de deux angles droits. Au stade actuel de connaissances de la langue amazighe, les variantes sont dues aux différentes transformations lexicales, dont il peut être évoqué la métathèse, la dissimilation, la réduction et l’augmentation, l’assimilation, le changement phonétique, l’effacement et la disparition de la composition, le nivellement…et l’alternance. Bien que les phénomènes concernant la variation lexicale sont d’une énorme complexité, je me bornerai dans ce papier à aborder le terme Tameṭṭuḍt afin d’esquisser et d’exposer une idée sommaire illustrant la situation générale de ce substantif. Tameṭṭuḍt (2) « femme, épouse... », qui, au singulier, a su se conserver dans la quasi totalité des parlers sans qu’un autre nom usant d’une racine autre que celle de ce dernier n’a 2 pu le supplanter, est un substantif dont le rapport signifié/signifiant a depuis longtemps attiré les amazighisants, et dont le correctif mérite d’être apporté. Allant de l’évidence que, en raison de leur appartenance au même système(-héritage) linguistique, la parenté structurale et les correspondances dans l’ensemble des variantes amazighes ne sont pas fortuites, le terme Tameṭṭuṭ (ou avec une autre forme transcriptive : tameṭṭuḍt) est morphologiquement et sémantiquement identifié par rapport à la forme verbale ṭṭeḍ « téter le lait au sein », dont la racine est solidement distribuée dans les sociétés linguistiques amazighes. Ce verbe est connu sous différentes prononciations de la plupart, si non de tous les dialectes amazighes attestés (3), excepté celui des Touaregs (parler de l’Aheggar). La situation qui vient d’être mise à la lumière n’a pas été vue. Selon Werner VYCICHL, le nom tameṭṭut (variante acoustique attestée en Kabylie, en Algérie centrale, à Nefoussa, à Gourrara, chez les Beni Snous...) est à rapprocher au verbe mḍey « goûter, déguster... » dont il précise que cette interprétation était dégagée par BEN SEDIRA. D’un autre coté, A. BASSET avait incorrectement tenté de ramener ce nom au verbe mḍu « prendre femme... ». Ces deux tentatives d’interprétation ont le tort d’avoir recours à des données basées sur des unités qui ne sont pas en rapport ni de signifiant ni de signifié avec la variante tameṭṭut (4). Le sentiment linguistique peut être trompant, et il y a là une différence à faire entre ce qui peut être et ce qui est démontrable. F. DE SAUSSURE dit : « ce qui importe dans le mot, ce n’est pas le son lui-même, mais les différences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tous les autres, parce que ce sont elles qui portent la signification. » La variante tameṭṭut que l’on a voulu faire coïncider de manière superficielle avec les formes verbales mḍey et mḍu (le phénomène de ressemblances morphologiques et accidentelles est rencontré dans l’ensemble amazighe), afin d’arriver à lui coller leurs sens, ne permet pas d’après les matériaux que le système linguistique amazighe offre de se pencher sur ces interprétations. La perturbation sur laquelle on s’est basé est certes due au fait que par suite d’une évolution phonique, la forme tameṭṭut, qui, de façon apparente et déroutante, laisse songer à *m-Ḍ (l’astérisque désigne le caractère hypothétique de la forme), a partiellement rompu le lien avec Tameṭṭuṭ dont on n’avait pas vu le rapport morpho- sémantique avec le verbe primaire ṭṭeḍ. A partir même du verbe mḍey « goûter », la forme hypothétique tameṭṭuyt ne peut pas être admise. La forme plurielle kabyle ti-meṭṭu-yin avait probablement poussé à associer ce nom avec le verbe mḍey pour supposer le singulier ta-meṭṭuy-t. Mais au regard de l’examen de la situation pan-amazighe, cette étymologie ne peut avoir d’appui, ceci pour au moins 4 raisons : 1. Le pluriel kabyle timeṭṭuyin(5) ne représente déjà qu’une spécificité sur laquelle on ne peut pas être conduit à tirer une conclusion globale. 2. La forme tameṭṭu(y)t n’est nulle part attestée pour même être amené à avancer l’hypothèse : *tameṭṭu(y)t > tameṭṭut. 3. Le pluriel timeṭṭuyin, où la semi-voyelle /y/ ne fait partie que de l’indice du pluriel féminin ti----yin, ne doit faire songer à l’hypothèse tameṭṭu(y)t. Ceci est causé par l’assimilation de /ṭ/ en /t/ dans la variante tameṭṭut, ce qui, bien entendu, donne le pluriel kabyle ti-meṭṭu-yin (dont la formation isolée ne devrait pas être très ancienne), et non pas (plus ?) timeṭṭuṭin, timeṭṭaṭ… 4. Le plus important est que, en dehors du Kabyle, la morphologie tameṭṭuṭ est relevée. En étant bien maintenue, elle est en harmonie avec les données sémantico- lexicales générales. Il va de soi qu’il n’existe pas des faits dialectaux isolés, mais des systèmes langagiers complexes aussi bien que solidaires, localisables dans l’espace et, à un degré très moindre, dans le temps. En passage, on signale cependant que le terme tameṭṭuṭ, dans le « DICTIONNAIRE des Racines BERBERES Communes », de Mohand Akli HADDADOU, est classé, au même titre 3 que timiṭ (nombril…), dans la même famille lexicale à racine MḌ. Or, cette autre ressemblance accidentelle a dû se produire suite à l’évolution : Tameṭṭuṭ > Tameṭṭut. Là on a recouru à une similitude phonétique apparente sans aucun rapport avec le contenu. On est parti d’un jeu d’une ressemblance trompeuse et d’une approximation phonétique pour rapprocher les deux termes en question. Le terme timiṭ « petite bouche, petite ouverture, nombril, cordon ombilical… » qui est construit sur la racine bilitère MḌ véhiculant la notion de « ouverture, bouche, orifice… », devrait être rapprocher de imi « bouche ». On fait remarquer là que le terme timiṭ n’est que le diminutif de imi. La diachronie se présente dans ce cas comme suit : MḌ > M, disparition de la deuxième radicale dans le terme imi « bouche ». Ceci dit, et au champ de la comparaison, les analogies inter-dialectales permettent de montrer, à partir de données dialectologiques probantes, que le terme tameṭṭuṭ, en occupant sur le terrain lexical la case d’un titre spécifique, présente un déverbal (à préfixe m-) issu du verbe pan-amazighe ṭṭeḍ, à bilitère ḌḌ : tameṭṭuṭ = ta---t + m + ṭṭeṭ. Indice du fém. sing. Préfixe de dérivation passif Téter le lait au sein Dans le cas de la version tameṭṭut attestée en Kabyle (6), voire ailleurs, la position à la fin du terme est responsable du fait qu’à la place de / ṭ / (résultant de l’influence combinatoire et surtout de la présence de la dentale occlusive sonore emphatique / ḍ / au voisinage du suffixe féminin / t /) il y a le / t /. Ce qui ramène à dire uploads/s3/ le-nom-de-la-femme-en-langue-amazighe-16-10-2008.pdf

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