© koninklijke brill nv, leiden, 5 | doi 10.1163/15685284-12341289 Phronesis
© koninklijke brill nv, leiden, 5 | doi 10.1163/15685284-12341289 Phronesis 60 (2015) 351-379 brill.com/phro Le problème des équinoxes dans l’astronomie grecque Jean-François Corre La Ville Merel, 35380 Plélan-le-Grand, France jeffcorre@wanadoo.fr Abstract When were equinoxes first understood? If the notion were as simple as it might seem, it ought not to be difficult to determine; but the controversies around it show that the matter is not so simple. In fact, it is very difficult to establish the equinoxes, and that difficulty led to several revisions of the notion. But with them came a change to the object under discussion changed as well – more profound than one would think given the stability of the term. This article traces the story. Keywords Equinox – gnomon – Thales – Anaximander – early Greek astronomy 1 Avant le gnomon Avant de devenir autonome, l’astronomie a longtemps consisté en la simple observation du lever ou coucher annuels d’étoiles remarquables : ces repères, dits héliaques1, permettent de découper l’année en saisons de tâches agricoles, comme on le voit avec Hésiode dans Les travaux et les jours. L’astronomie avait 1 Le terme n’a pas les mêmes usages en français et en anglais le plus souvent. En français, il qualifie les levers et couchers visibles (que l’on parle du soir ou du matin) par différence avec les levers et couchers exacts (invisibles à cause du soleil), qualifiés de « cosmiques » (en direction du soleil) ou d’ « achroniques » (à l’opposé du soleil). En anglais, la distinction passe au sein des levers et couchers visibles : sont dits « héliaques » ceux qui accompagnent le soleil et « cosmique » et « acronyque » le lever et le coucher à l’opposé du soleil. 352 Corre Phronesis 60 (2015) 351-379 donc un rôle calendaire, utile à l’agriculture et à la navigation, qui s’est traduit par l’usage de parapegmata s’efforçant de matérialiser le cycle annuel de l’an- née stellaire2. C’est une astronomie « horizontale » en un premier sens, dans la mesure où ce sont les étoiles à l’horizon qui font repère, mais en un premier sens seulement puisque la prise en compte du paysage terrestre comme repère n’est pas encore requise. Cette astronomie est déjà en mesure de constater les solstices : l’attention aux levers et couchers héliaques est de fait attention à la situation du soleil par rapport à ces étoiles. Une observation suivie montre alors, par rapport aux étoiles “fixes” prises comme repères, que le lever et le coucher du soleil se déplacent dans une direction pendant une partie de l’année stellaire et en sens inverse pendant l’autre partie. Deux situations particulières apparaissent ainsi : les retournements (tropai) qui divisent l’année en deux parties. Ils ne sont pas abruptement marqués quant au temps, mais s’effectuent très lentement, et il est difficile de dire quel jour ils ont lieu. On a même pu croire, et pendant long- temps, à un arrêt pendant plusieurs jours, ce dont témoigne encore l’étymo- logie latine du terme (de sol « soleil » et sistere « s’arrêter »). Cette astronomie ayant des fins calendaires, l’intérêt pour les solstices a ainsi dû rester faible tant qu’il n’a existé aucune méthode permettant d’en préciser la date : les données héliaques faisaient aussi bien l’affaire. Qu’en est-il des équinoxes à ce stade ? La connaissance des retourne- ments solaires a dû être accompagnée de la conscience des milieux entre ces extrêmes, mais ils n’ont pas vraiment de fonction tant que les premiers ne sont pas davantage précisés. Aussi la notion élémentaire d’équinoxe a dû simple- ment désigner l’égale durée du jour et de la nuit qu’indique le terme latin dont nous héritons (aequinoctium), et on trouve mention chez Hésiode de cette période d’égalité à la fin de l’hiver3. Comme le remarque Kahn contre Dicks4, une telle idée ne demande aucune science avancée. Appelons par méthode 2 Daryn Lehoux, Astronomy, Weather, and Calendars in the Ancient World: Parapegmata and Related Texts in Classical and Near-Eastern Societies (Cambridge, 2007). 3 « Veille à cela jusqu’à ce que l’année se termine, que les nuits et les jours s’égalisent, que la Terre mère de tout porte ses fruits variés à nouveau » (Les travaux et les jours 561-3 : ταῦτα φυλασσόμενος τετελεσμένον εἰς ἐνιαυτὸν ἰσοῦσθαι νύκτας τε καὶ ἤματα, εἰς ὅ κεν αὖτις γῆ πάντων μήτηρ καρπὸν σύμμικτον ἐνείκῃ). Nous ne considérons ici que le monde grec. D’autres concep- tions des équinoxes (résultant de la quadripartition arithmétique de l’année par exemple) ont pu exister ailleurs et plus tôt. Cf. D. R. Dicks, Early Greek Astronomy to Aristotle (Ithaca / Londres, 1970), p. 166. 4 « the concept of equality of day and night in a thoroughly untechnical context » : Charles H. Kahn, «On Early Greek Astronomy », The Journal of Hellenic Studies 90 (1970), 99-116 à la p. 113. 353 Le Problème Des Équinoxes Dans L’astronomie Grecque Phronesis 60 (2015) 351-379 EN les équinoxes pensés comme les deux moments de l’année où l’égalité jour- nuit a lieu. L’astronomie stellaire a ainsi pu constituer un cycle annuel sans s’ap- puyer sur les relevés des points d’horizon terrestre où se produisent les levers héliaques. Les solstices et les équinoxes pouvaient être situés par rapport à ces étoiles, mais n’avaient pas l’avantage de la précision sur elles5. Un pas sera franchi lorsque l’astronomie saura tirer parti systématique du point d’horizon terrestre, et non plus seulement céleste, où apparaît le soleil. 2 Le pointeur 2.1 Installation du pointeur L’observation du soleil au lever peut gagner en précision lorsque l’on ne le situe pas seulement par rapport aux étoiles qui l’ont précédé le matin ou suivi le soir, mais aussi par rapport au point particulier de l’horizon terrestre où celui-ci apparaît. Tel arbre, tel talus, telle maison permettent d’accroître la minutie de l’appréciation en l’ancrant dans des repères fins. L’idée est toute simple, mais elle a dû vaincre un obstacle : alors que les étoiles ont des rapports immuables entre elles malgré la rotation du ciel (d’où leur « fixité »), leur situation par rap- port à l’horizon terrestre varie très vite selon le point d’observation : il suffit de faire quelques pas pour que le repérage change. On comprend alors la néces- sité d’arrêter un point à partir duquel effectuer l’observation si l’on veut béné- ficier de la précision possible de l’horizon terrestre. Le gain s’obtient ainsi en renonçant à l’indifférence du lieu d’observation qu’offrait la fixité des étoiles. L’astronome est encore « horizontale », mais d’une autre manière : l’horizon terrestre n’est plus indifférent. Cela mène facilement au pointeur : la précision donnée par la marque au sol à partir de laquelle l’observation est stabilisée est encore accrue par l’éléva- tion en ce point d’un viseur au niveau de l’œil, d’un pointeur. La marque au sol limitait les déplacements subreptices du corps entier, le repère au niveau de l’œil limite l’effet des mouvements de la tête. Le corps de l’observateur est ainsi entièrement neutralisé, débarrassé de ses hésitations, caprices, humeurs. Par cette stabilisation, la dépendance au point d’observation s’inverse en indépen- dance retrouvée autrement : le point de vue particulier de quelqu’un, à présent stabilisé en un point fixe, devient le point de vue de n’importe qui en ce point. 5 Les solstices ne définissent pas les saisons chez Hésiode, pour qui l’hiver s’achève soixante jours après le retournement hivernal (Les travaux et les jours 565), tandis que l’été se termine cinquante jours après le solstice (663). 354 Corre Phronesis 60 (2015) 351-379 Et puisque le soleil aveugle, il est plus commode de prendre comme objet d’attention l’ombre que le soleil dessine au lever par sa rencontre avec le pointeur. P L Figure 1 La direction de l’ombre au lever (L), un jour quelconque6 Par le pointeur des ombres précises se dessinent au sol, selon des moments caractéristiques, ainsi devenus objets et moyens de connaissance. C’est sans doute cette possibilité qui donne au dispositif du pointeur son nom de « gno- mon » : instrument de connaissance par la discrimination, la désambiguïsa- tion, le repérage. Appelons G1 cette manière élémentaire d’utiliser le gnomon7. 2.2 Orientation de l’observatoire Une telle ombre n’apporte pas grand-chose par elle-même, sinon la possibilité de la retenir, de la noter, pour la comparer à d’autres. On peut en particulier la mettre en rapport avec celle que donnent les derniers rayons du même jour. C P L Figure 2 L’ombre au coucher (C), un même jour Une telle comparaison est d’abord décevante : l’ombre du coucher forme avec celle du lever un angle quelconque en général, et il n’est même pas constant. Mais si l’on poursuit l’observation au fil des jours, on constate que cet angle 6 P désigne le pointeur, et L l’ombre au lever du soleil. Les ombres au lever (et au coucher) n’ont pas de longueur arrêtée et se prolongent à l’infini en principe, ou se perdent dans l’indéfini en fait, ce qu’il est impossible de figurer exactement bien entendu, mais importe pour la suite. 7 Et, rétrospectivement, désignons par G0 l’astronomie horizontale stellaire d’avant uploads/s3/ le-probleme-des-equinoxes-dans-l-x27-astronomie-grecque.pdf
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- Publié le Dec 22, 2022
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