Société Les médias accordent-ils la bonne place au rap ? Alors que, depuis plus
Société Les médias accordent-ils la bonne place au rap ? Alors que, depuis plus d’une décennie, le rap s’est affirmé comme l’un des genres les plus populaires en France, son image demeure sulfureuse. « D’un seul coup ma musique est devenue artistique quand les médias ne m’ont plus perçu comme un rappeur », c’est en substance ce que dit Oxmo Puccino dans un entretien accordé à l’abcdr du son en novembre 2015. L’artiste revient sur la raison pour laquelle son image a radicalement changé en 2006. A l’époque, il dévoile son quatrième projet solo, un album aux accents jazzy nommé « Lipopette Bar », lequel détonne au vu des productions qu’il propose depuis le début des années 1990, toutes estampillées « rap ». Le disque est d’ailleurs produit par Blue Note, prestigieux label de jazz avec qui Herbie Hancock, Claude Nougaro, Norah Jones notamment, ont travaillé. « Lipopette Bar » reçoit des critiques dithyrambiques de la part des journalistes spécialisés. Le public est aussi au rendez-vous. La réputation acquise par Oxmo Puccino après son virage artistique l’a érigé au rang de rappeur sympathique. « Des gens en costume m’applaudissent maintenant. Aux gens qui prétendent que je me suis embourgeoisé, je réponds oui » reconnait Oxmo Puccino. « Oxmo Puccino a du verbe, de l’esprit et du fond. En plus il n’a pas l’air méchant », s’amuse Sindanu Kassongo, journaliste du site internet de rap Booska-P . C’est méchant, un rappeur ? L’un d’eux, Disiz, dresse le tableau : interviewé en 2014 par Rapelite, site de rap, il estime que les médias généralistes ont tort d’avoir un a priori négatif sur les acteurs du hip-hop. « En France, on met une ligne de démarcation entre les rappeurs. Par exemple moi je suis gentil et Booba est méchant. Je ne suis pas si gentil que ça. Quand les rappeurs « méchants » s’insultent par médias interposés, les journalistes m’appellent pour avoir l’avis du rappeur gentil. Mais quand je sors mes albums, il n’y a plus personne ». Mais il va au-delà du simple fait de dire que deux camps sont créés artificiellement, il touche du doigt le problème plus profond du boycott de la musique rap par la majorité des médias. Mais seulement lorsqu’il n’y a pas de frasques. Parler de rap pour alimenter la polémique, d’accord. Mais en parler en évoquant la musique devient plus difficile. Booba, rappeur « méchant », assure que les médias "ont un problème avec (lui)". Il explique avoir été déçu par Antoine de Caunes, animateur de l’émission le Grand Journal sur Canal + de 2013 à 2015. L'artiste reproche à l’animateur de ne s'être intéressé qu'aux clichés qui entourent les rappeurs et non à la musique elle-même lors de son passage dans l’émission le 12 novembre 2013. "Quand on m'accueille au Grand Journal, qu'on me fait des wesh et du verlan et qu'on me sort mes pires paroles, je vois bien qu'on me considère comme une caricature, c'est 'voilà la banlieue qui arrive' : c'est pathétique" déplore Booba dans une entrevue avec les Inrockuptibles en janvier 2014. Lorsque l’on entend le mot rap, le terme « banlieue » n’est jamais très loin. Mais cela ne s’arrête pas là. Certes, on parle d’une musique apparue en 1974 sous l’impulsion de Dj Kool Herc dans le West Bronx, quartier sensible de New-York et qui se popularise dans les ghettos. C’est-à-dire dans les endroits où la population est la plus sous-employée, la plus pauvre, et donc la plus en colère. Public Enemy est l’un des premiers groupes de rap de l’Histoire, c’est un groupe politique. Ses membres, dont Chuck D et Flavor Flav, expriment avec détermination les frustrations et les problèmes rencontrés dans la communauté afro-américaine aux Etats- Unis. Ce sont des marginaux, ils ont fait de l’arrogance au service de la revendication leur art. Des paroles crues pour décrire une réalité qui l’est évidemment davantage. Leur premier grand succès commercial est « Fight the Power » (combattre le pouvoir). Et ils ont fait des émules en France. Des héritiers, aussi. Des groupes comme NTM originaire de Saint-Denis ou IAM originaire des quartiers nord de Marseille représentent la culture hip-hop dans l’Hexagone au début des années 1990. “Le Monde de Demain”, premier single de l'album Authentik de NTM sorti en 1991 acquiert le statut de titre incontournable du rap français à la fois à cause de son caractère prophétique (le morceau évoquait le malaise des banlieues avant les émeutes de 2005) et parce que pour la première fois le rap français devient un art crédible à caractère social. Aux yeux de certains du moins. Pour Mouloud Achour, journaliste et fondateur du site internet de culture populaire « Clique », affirmer que tout le monde ne prend pas la culture rap au sérieux est un euphémisme. Il vise en particulier les médias les plus importants, lors d’une interview accordée au site Rapelite en 2013 : « Des gens nous rabâchent depuis des années que le rap est une musique est un peu festive avec parfois des petites rébellions. Les rappeurs ont raison de ne pas aller dans les télés traditionnelles pour parler. Si tu vas face à un animateur qui, pour mille raisons, te déteste, ça ne passe pas. Le rap aura toujours la même image que les quartiers en France. Tant qu’être fils d’immigrés sera difficile, il y aura du rap agressif et c’est tant mieux ». Quand le rap ne devient synonyme que de violence, misère, discrimination, insécurité et émeutes, cela est injuste. Les discours sont souvent préfabriqués et simplifiés. C’est la ghettoïsation des problèmes de société qui pose souci et qui irrite les rappeurs. « Le rap est une sous-culture d’analphabètes. Toutes les cultures ne se valent pas » avait dit Eric Zemmour sur le plateau de France Ô (« La chaine métisse » selon leur slogan) en 2008. Cela fait maintenant huit ans que cette déclaration d’une violence et d’un mépris inouïs ont été prononcés mais ils résonnent toujours aujourd’hui. Eric Zemmour n’est pas journaliste mais il vend beaucoup de livres. Force est de constater qu’il est un personnage médiatique de première zone et que sa voix porte. Aujourd’hui, c’est le statu quo. Le panorama n’a pas changé d’un millimètre et, pire, il y a bon nombre de personnages politiques qui, s’ils n’ont pas le mérite de l’exprimer de façon aussi claire qu’Eric Zemmour, semblent toutefois être en phase avec cette vision. Aussi douteuse et nauséabonde soit l’analyse qui y amène. L’atteste par exemple un article publié par Metronews en juillet 2015 qui montre que le Front National a voulu faire interdire des concerts d’artistes issus de la scène rap dont IAM à Orange en 2012 et Maitre Gims à Saint-Avold en 2015, sous peine d’engendrer « désordre civil et insécurité » d’après Jacques Bompard (ancien FN, désormais Ligue du sud), maire d’Orange. La stigmatisation, l’étiquetage de certains rappeurs engendre leur colère. Une colère parfois très violente mais peut-être à la mesure des procès d’intention dont ils sont souvent victimes. « La France est une garce et on s’est fait trahir, le système voilà ce qui nous pousse à les haïr » martèle le groupe Sniper dans son morceau « la France » sorti en 2001. « Messieurs comprenez le sens de notre discours, ceci n’est pas un appel au meurtre mais un appel au secours », chantait-il en 2006 sur le titre « la France 2, itinéraire d’une polémique ». Entre 2001 et 2006, de l’eau avait coulé sous les ponts. En 2004, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy porte plainte contre certains groupes de rap pour incitation à la haine raciale et antisémitisme. Sniper est visé et taxé de communautarisme, comme fréquemment lorsque qu’un rappeur s’exprime. Bien qu’ils soient tous les trois d’origine africaine, ne peut-on pas simplement dire que les membres du groupe Sniper parlent seulement en leur nom ? Maître Dominique T ricaud, avocat de Hamé, membre du groupe La Rumeur explique en 2013 dans l’émission Hondelatte Dimanche sur la chaîne numéro 23 que « les rappeurs racontent leur quotidien et veulent être considérés comme de véritables citoyens et [que] c’est pourquoi ils ont tous été relaxés depuis 10 ans » après avoir gagné le procès qui les opposait à Nicolas Sarkozy depuis 2002. La cause du conflit ? Un manifeste rédigé par Hamé quelques mois avant l’élection présidentielle de 2002 où il démontrait que les jeunes de banlieue, plutôt qu’acteurs de l’insécurité en sont surtout les victimes. Abd Al Malik, écrivain et rappeur, est dernièrement cinéaste avec son film autobiographique « Qu’Allah bénisse la France ». Il y raconte son enfance dans une banlieue de Strasbourg. Avec ce long métrage sorti en salles en 2014, il souhaite « éloigner les cités du fait divers, les ramener à l’humanité et à sa complexité » comme il le dit au site madmoizelle.com. Les banlieues se révèlent être un vivier culturel extrêmement riche. S’en sortir pour un enfant de banlieue n’est pas exceptionnel et le terme « rappeur intelligent » n’est pas un oxymore, uploads/s3/ le-rap-est-il-a-sa-place-dans-les-medias.pdf
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- Publié le Jul 16, 2022
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