DU MÊME AUTEUR : Le Journaliste et le Meurtrier, Buchet-Chastel, 2006. www.edit
DU MÊME AUTEUR : Le Journaliste et le Meurtrier, Buchet-Chastel, 2006. www.editions-jclattes.fr Titre de l’édition originale : THE STRANGER IN THE WOODS Publiée par A. Knopf, une division de Penguin Random House LLC, New York. Une partie de cette œuvre est une adaptation de « The Strange and Curious Tale of the Last Hermit », publié dans GQ magazine (4 août 2014). Maquette de couverture : Atelier Didier Thimonier Photo : © Plainpicture / Tanja Luther Cartes de Kristine Ellingsen ISBN : 978-2-7096-4955-1 Copyright © 2017 by Michael Finkel. Tous droits réservés. © 2017, éditions Jean-Claude Lattès pour la traduction française. Première édition septembre 2017. À la mémoire d’Eileen Myrna Baker Finkel Il existe tant de choses dont je ne veux pas. Socrate, vers 425 av. J.-C. 1. Là où vit l’ermite, les arbres sont presque tous squelettiques, mais ils s’enchevêtrent au-dessus de gigantesques rochers partout cernés d’un tapis de bois mort, de vraies baguettes de mikado. Il n’y a pas de sentiers. Pour tout le monde ou presque, s’y frayer un chemin devient vite une épreuve, il faut s’y engouffrer en bataillant contre les branches et, à la nuit tombée, les lieux paraissent impénétrables. C’est à ces heures-là que l’ermite opère. Il attend minuit, charge à l’épaule son sac et sa besace d’outils de cambrioleur, quitte le campement et se met en route. Il porte une lampe de poche attachée à une chaînette autour du cou, mais n’en a pas besoin pour l’instant. Il a mémorisé chaque pas. Il chemine dans la forêt avec grâce et précision, se faufile à longues foulées, brise à peine une brindille. La terre est encore ponctuée de monticules d’une neige sale, creusée par le soleil, et de traînées de boue – c’est le printemps, dans le centre de l’État du Maine –, mais il évite tous ces obstacles. Il bondit de rochers en racines en rochers sans laisser une empreinte. Une seule, redoute l’ermite, pourrait suffire à le trahir. Le secret est un état fragile : une unique fois rompu, éventé à jamais. Par conséquent, si vous tenez à être à la hauteur, aucune empreinte de chaussure n’est autorisée, jamais. Trop risqué. Il se glisse donc tel un fantôme entre les sapins-ciguës, les érables, les bouleaux blancs et les ormes jusqu’à ce qu’il débouche sur la rive rocailleuse d’un étang gelé. Cet étang a un nom, c’est Little Pond, le Petit Étang, souvent appelé Little North Pond, le Petit Étang du Nord, ce que l’ermite ignore pourtant. Il a réduit le monde à l’essentiel, et les noms propres n’ont rien d’essentiel. Il connaît cette saison, intimement, dans ses moindres gradations. Il connaît la lune, une demi-lune descendante à laquelle manque un mince croissant. D’ordinaire, il aurait attendu la nouvelle lune – plus il fait noir, mieux cela vaut – mais sa faim a atteint un stade critique. Il sait l’heure à la minute près. Il porte une vieille montre à remontoir, afin de s’assurer de prévoir suffisamment de temps pour être de retour avant l’aube. Il ne connaît ni l’année ni la décennie, du moins pas sans calculer. Il a l’intention de franchir l’eau gelée, mais renonce vite à ce plan. La journée a été relativement chaude, deux degrés au-dessus de zéro – les températures, il connaît –, et pendant qu’il restait blotti au campement, la météo a joué contre lui. Une glace ferme est une aubaine pour les sorties furtives et sans traces, mais ce regain de douceur gaufrera le moindre de ses pas. Il fera donc le grand tour, s’enfoncera de nouveau dans les arbres, au milieu des racines et des rochers. Il connaît tout ce jeu de marelle, sur des kilomètres ; contournera tout le Petit Étang du Nord, avant d’atteindre l’extrémité de l’Étang du Nord proprement dit. Il passe devant une dizaine de bungalows, de modestes habitations de vacances à pans de bois, sans même une couche de peinture, fermées à double tour pour la morte-saison. Il est déjà entré dans nombre d’entre elles, mais ce n’est pas le moment. Il continue près d’une heure, tentant toujours d’éviter les traces de pas ou les branches brisées. Il a si souvent posé le pied sur certaines racines qu’elles sont usées par ces passages répétés. Même sachant cela, aucun poursuivant ne pourrait jamais le repérer. Il s’arrête juste avant d’atteindre sa destination, le camp d’été de Pine Tree. Le camp n’est pas ouvert, mais la maintenance est passée, ils ont sans doute laissé un peu de nourriture dans la cuisine, et puis il y a sûrement des restes de la saison dernière. Dans la pénombre de la forêt, il observe le domaine de Pine Tree, balaie du regard les baraques des dortoirs, l’atelier, la salle de jeux, le réfectoire. Personne. Deux voitures sur le parking, comme d’habitude. Pourtant, il patiente. On n’est jamais trop prudent. Enfin, il est prêt. Des projecteurs et caméras à détecteur de mouvement sont disséminés dans l’enceinte du camp, installés principalement à cause de lui, mais ces appareils sont une mascarade. Ils ont un champ fixe et limité – il suffit de savoir où ils sont et de ne pas s’en approcher. L’ermite traverse le camp en zigzaguant et s’arrête à un rocher précis, le retourne, attrape la clef cachée dessous et l’empoche pour un usage ultérieur. Ensuite, il grimpe en haut d’un talus qui mène au parking et essaie toutes les portières des véhicules. Il ouvre un pick-up Ford. Allume sa lampe-stylo et inspecte l’intérieur. Des sucreries ! Toujours bon à prendre. Dix rouleaux de Smarties, calés dans les porte-gobelets. Il les fourre dans une autre poche. Il attrape aussi un poncho de pluie, encore dans son emballage, et une montre analogique Armitron couleur métal argenté. Ce n’est pas une montre chère – si l’objet semble avoir de la valeur, il ne le volera pas. Il respecte un code moral. Mais disposer de montres de rechange, c’est important : quand on vit dehors, avec la pluie et la neige, la casse est inévitable. Il contourne quelques caméras à détecteur de mouvement en direction d’une porte du réfectoire, située sur l’arrière. Là, il pose son sac de sport en toile rempli de son outillage de cambrioleur et fait coulisser la fermeture éclair. Il contient deux couteaux à mastic, un grattoir, un outil multifonctions Leatherman, plusieurs tournevis plats à longue lame et trois lampes torche de secours, entre autres ustensiles. Il connaît cette porte – elle a déjà quelques éraflures et entailles, qui sont toutes son œuvre – et il choisit un tournevis, en insère la pointe dans l’interstice entre la porte et l’encadrement, près de la poignée. Une torsion experte, elle s’ouvre d’un coup, et il se faufile. Lampe-stylo allumée, calée entre les dents. Il est dans la vaste cuisine du camp, le faisceau se reflète sur l’acier inoxydable, un rail suspendu où pendent des louches inertes. Virage à droite, cinq pas, et direction la réserve. Il se débarrasse de son sac à dos et passe les rayonnages métalliques en revue. Il attrape deux pots de café et les laisse tomber dans son sac. Et aussi des tortellinis, un paquet de marshmallows, une barre de céréales pour le petit déjeuner, un paquet de chips Humpty Dumpty. Ce qu’il convoite réellement se situe à l’autre bout de la cuisine, et c’est là qu’il se dirige maintenant, sort la clef qu’il a récupérée sous le rocher, et l’insère dans la poignée de la porte de la chambre froide. La clef est attachée à un porte-clefs en plastique en forme de trèfle à quatre feuilles, l’une d’elles écornée. Un trèfle à trois feuilles et demie, cela peut encore faire office de porte-bonheur. La poignée tourne et toute sa mission de la soirée, tous ces efforts méticuleux paraissent immédiatement récompensés. Il a extrêmement faim, une faim presque dangereuse. Sous sa tente, ses provisions se résument à deux crackers, un peu de café moulu et quelques paquets de sucrettes. C’est tout. S’il avait attendu plus longtemps, il aurait risqué de rester confiné sous la tente, de faiblesse. Il braque sa lampe sur les boîtes de steaks hachés, les blocs de fromage, les sachets de saucisse et les paquets de bacon. Son cœur fait un bond, son estomac grogne et il se jette sur les victuailles, en remplit son sac à dos. Un vrai smörgåsbord. 2. La femme de Terry Hughes le secoue doucement, il se réveille, entend les bips et saute de son lit tel un ressort qui se détend – c’est parti. Un rapide coup d’œil à l’afficheur, et il fonce au rez-de-chaussée, où tout est déjà en place : pistolet, lampe torche, téléphone portable, menottes, baskets. Ceinturon de service. Ceinturon de service ? Pas le temps, on oublie la ceinture, tu sautes dans ton pick-up et tu fonces. À droite vers Oak Ridge, ensuite à gauche sur huit cents mètres, il accélère dans la longue allée qui mène au camp de Pine Tree. Tous phares éteints, le pick-up reste quand même bruyant, alors il s’arrête, place le sélecteur en position uploads/s3/ michael-finkel-le-dernier-ermite.pdf
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- Publié le Dec 10, 2022
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