1 Simon Hantaï ci-contre : "Blancs", 1973 - Les Abattoirs, Toulouse - photo Jea

1 Simon Hantaï ci-contre : "Blancs", 1973 - Les Abattoirs, Toulouse - photo Jean-Luc Auriol I - Liminaire : «Emplie de plis» Comme on le sait, (...) Simon Hantaï s’est mis en retrait à partir de 1982. Sentant venir un temps où l’art serait l’objet d’une commercialisation spéculative outrancière, où les faits culturels deviendraient l’enjeu d’objectifs politiciens, alors que l’art moderne, longtemps resté dans les marges, prendrait désormais une place stratégique contraire aux objectifs initiaux des artistes, Hantaï aborde cette nouvelle phase par une position critique radicale, celle de l’absence. Prenant à contre-pied et très volontairement l’exaspération médiatique et mercantile de ces nouvelles années folles, Hantaï reste chez lui, ne produit plus, refuse l’exposition et la diffusion de ses œuvres puisque l’art est devenu objet de consommation courante. Il travaille autrement, intellectuellement. Bien sûr, d’aucuns, d’abord incrédules, croiront voir là le reflet d’un doute momentané (ce n’est pas la première fois qu’Hantaï interrompt temporairement sa production), ou encore le sentiment d’un échec, d’un aboutissement peut- être, qui pourra bientôt déboucher sur une phase nouvelle. Une impression qui ira, d’une certaine façon, dans le sens de l’artiste, lequel partage avec certains écrivains ou philosophes cette sorte de nécessité du doute, le choix d’une “écriture du désastre” (Blanchot) ; mais négligera une détermination que rien ne 2 viendra affaiblir. Alors arrivé, en ce début des années 80, à un moment d’assez profonde reconnaissance de ses recherches, Hantaï s’obstine malgré toutes sortes de sollicitations dans cette absence revendiquée, cette “grève” de la peinture qui laisse cependant une large place à la pensée en acte Car absence n’est pas silence, ou plus exactement mutisme. Dans cette phase de seize années, Simon Hantaï lit des textes philosophiques, revisite son travail antérieur sous différentes formes : découpes avec les Laissées ; distorsions photographiques (autres Laissées traitées cette fois en sérigraphie) ; pliages domestiques à partir des torchons de la maison ; lectures, écritures, classements, tris, destructions, enfouissements... La relation à la peinture, à sa peinture, reste une activité continue au cours de cette longue période où on ne le voit plus, où il n’expose plus. Celui qui parlait déjà de travailler “les bras coupés et les yeux fermés”, poursuit son chemin en dépit des mutilations volontaires qui en ont conditionné jusque-là la nature profonde. [...] Alfred Pacquement, Directeur du Centre Georges Pompidou Flux et reflux, fragments (pour Simon Hantaï), Westfälisches Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, Münster, 8.5-8.8.1999. Extrait du texte original paru dans le catalogue de l’exposition Simon Hantaï, reproduit ici avec l’aimable accord de son auteur sur une suggestion de Simon Hantaï. II - Propositions pédagogiques ci-contre : "Mariale I" - Les Abattoirs, Toulouse - photo Jean-Luc Auriol 3 Arts plastiques Si elle ne s’en trouvait pas quelque peu réduite, on serait tenté d’analyser l’ensemble de la pratique picturale de Hantaï comme recherche ininterrompue d’un approfondissement de la relation trop étroitement convenue entre la peinture et son support et consécutivement, comme la réouverture et le redéploiement de cette relation structurelle oubliée ou occultée. Pendant des siècles en effet, les peintres, après avoir longtemps privilégié comme support le bois, optèrent pour la toile - techniquement plus avantageuse, plus propre aussi à permettre l’imitation poursuivie. Généralement de lin, celle-ci était tendue sur châssis de bois - armature invisible - puis apprêtée au moyen d’enduits et de colles, de façon à obtenir une surface plane et lisse, chromatiquement neutre, idéalement libre et par là même prédisposée à tous les artifices de la représentation. Comme la toile, la peinture n’était elle-même qu’un simple moyen tout juste efficace pour obtenir cette ressemblance visée ; ce moyen se manifestait-il du moins au grand jour et quiconque se rapprochait assez d’un tableau pouvait voir apparaître, au fur et à mesure de la dissolution de l’image, autrement dit de la chose représentée, le flux, les jeux, les excroissances et les convulsions de cette curieuse matière colorée et suivant du regard sa vie concrète, sa vie intime, voir transparaître enfin sa subtile nature. Au service de l’imitation, de la représentation, de l’image - les termes se correspondent et se complètent - cette vie était certes voilée, mais au moins n’était-elle pas invisible comme celle du support. Toile et châssis pourtant indispensables, se trouvaient en effet relégués au rang paradoxal de moyens nécessaires mais accessoires, privés de la dignité conférée aux seuls aspects visibles ; non regardables et partant non estimables, littéralement privés d’existence puisqu’ aussi bien exister c’est se tenir au grand jour, toute leur vie se déroulait en coulisse, la peinture seule occupant le devant du tableau. Quelques-uns sans doute, tel Titien, savaient laisser voir la toile brute et jouer de son grain, d’autres encore, au premier rang desquels Klee - stimulé par l’éblouissement de son voyage tunisien (1914) avaient appris à diversifier apprêts et supports, mais ces pratiques aussi habiles que délicates restèrent isolées ou sporadiques et ne débouchèrent pas sur une complète reconnaissance du support comme élément constitutif de l’œuvre visible, comme élément constitutif à part entière. On doit principalement à Pollock d’avoir obtenu une telle reconnaissance en utilisant le support autrement que comme une machinerie souterraine et de l’avoir ramené à la surface : au visible. Reconnaissance qui induisait une prise de congés de certaines conventions picturales : exit châssis, chevalet, apprêts et pinceaux au profit de la toile brute, peinte à même le sol, libre de carcan. Congés qui ne sauraient être lus comme les signes d’une quelconque inaptitude à 4 l’apprentissage de méthodes consacrées, mais comme les séparations indispensables à une profonde tentative de réouverture. Tentative parfaitement réussie, si l’on en juge par l’influence considérable d’une œuvre qui réamorça la vie de la peinture. Aux côtés de celles de Cézanne et de Matisse, Hantaï reconnaît cette influence décisive de Pollock. Mais en continuant à interroger la nature du support et à en développer la fonction, il fait davantage que prolonger la pratique du peintre américain : il l’élargit. Par là déjà, il devait avoir une influence déterminante sur toute une génération d’artistes des années soixante notamment le groupe Support/Surface. Le titre fameux d’une exposition à la galerie Jean Fournier, Le pliage comme méthode (1971), résume bien l’apport majeur d’une pratique qui ne perd rien à être décrite. Progressivement mise au point, comme en témoignent les cinq premières des onze œuvres conservées par les Abattoirs, elle a certes évolué constamment mais se laisse cependant résumer, à partir de 1960 à trois opérations successives, donc à trois moments, ou encore à trois gestes : pliage, peinture, dépliage. De divers types et de degrés de complexité variables, le pliage de la toile - premier moment - revient toujours à en préserver ou à en exposer les différentes parties. Au deuxième moment, une telle prédisposition empêche la peinture de recouvrir uniformément la toile. Au dernier moment, celui du dépliage, apparaissent parties peintes et non-peintes - les réserves (1) - réparties selon une structure qui résulte du type de pliage choisi et que la peinture contribue à révéler. La configuration précise de l’œuvre étant imprévisible aux moments des opérations de pliage et de peinture, il s’ensuit que le résultat - échappant à une stricte intentionnalité - est partiellement aléatoire ou stochastique. «Les aînés avaient un pinceau, Hantaï a comme une canne blanche» écrit Dominique Fourcade (2), relevant ce caractère semi-aléatoire qui n’est pas plus un défaut que l’abandon d’autres procédés conventionnels ne l’étaient, mais tout au contraire ressourcement, comme en témoigne le si vivant et imprévisible frémissement de toiles qui ne s’ordonnent jamais à une structure systématique jusque dans le détail, mais s’enrichissent de mille et une variations selon une fausse répétitivité qui sollicite partout le regard. Évoquant une géographie physique ou le caractère géométriquement structuré du monde minéral ou encore, comme dirait Bergson, «la création continue d’imprévisibles nouveautés qui semblent se poursuivre dans l’univers» (3), étoilements (4), filets, résilles, clivages attestent de la fécondité de gestes simples, effectués avec toute l’attention requise. Celui du pliage devenu presque définitoire de la pratique de Simon Hantaï en est le moment le plus novateur, le plus radical. Lorsqu'Hantaï plie, il renverse le rapport traditionnel à la toile qu’il ne s’agit plus de neutraliser mais bel et bien d’activer. L’œuvre donnée à voir n’est donc plus une surface qui masque le support, mais le support marqué : tout 5 à la fois la marque d’une pratique et son souvenir ; souvenir toujours lui-même retravaillé par le dépli et la présentation. Si l’œuvre est une toile marquée qui présente et restitue autant son histoire qu’elle la reconstitue, qu’elle la réorganise - lorsque le dépliage redispose d’une manière neuve les traces, littéralement fait survenir les souvenirs - elle est alors mémoire concrète et linceul des gestes. Singulière temporalité qui offre l’occasion d’une introduction plastique à une réflexion générale sur le thème de la mémoire (5), plus précisément sous ses aspects de fixation et de rappel, dont la notion freudienne d’après-coup - nachträglichkeit – n’est pas sans évoquer la pratique d'Hantaï. Dans une lettre à W. Fliess du 6.12.1896, Freud écrit en effet : «je travaille sur l’hypothèse que uploads/s3/ michaux-metaphisique-de-hantai.pdf

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