L’ART DE GUERRE Revue militaire canadienne • Vol. 19, no. 3, été 2019 29 L’art

L’ART DE GUERRE Revue militaire canadienne • Vol. 19, no. 3, été 2019 29 L’art du commandement : une interprétation artistique Le colonel (à la retraite) Bernd Horn, OMM, MSM, CD, Ph.D., est un officier d’infanterie expérimenté qui est actuellement l’historien du Commandement des forces d’opérations spéciales du Canada. Il est aussi professeur auxiliaire d’histoire au Collège militaire royal du Canada et au Centre for Military and Strategic Studies de l’Université de Calgary. L ’art du commandement, au sens figuré, est un concept par lequel on tente de saisir la complexité à laquelle font face les chefs militaires qui sont nom- més à un poste de commandement et qui assument ainsi la responsabilité de diriger du personnel et de gérer des ressources pour accomplir les missions et les tâches leur étant confiées. Pourtant, l’expression « art du commandement » peut aussi avoir un sens littéral évoquant l’effort qu’un artiste fait pour illustrer le lourd fardeau dont sont chargés ceux et celles à qui un commandement est confié. L’art de guerre n’a rien de nouveau. Il existe depuis que le monde est monde. Après tout, il a aidé à faire comprendre les conflits. Avant la photographie, cet art était un moyen essentiel pour faire connaître les résultats; la façon dont les batailles étaient livrées; ce à quoi ressemblait le combat et qui était les commandants et les héros. Les artistes de guerre fournissaient des œuvres aux journaux qui publiaient ensuite leurs illustrations, lesquelles façonnaient la conception de la guerre chez les gens et influaient sur leurs points de vue à cet égard. Même après l’avènement de la photographie, les artistes sont allés là où les appareils photo ne pouvaient être emportés. Les mili- taires, hommes et femmes, pouvaient traduire avec leurs croquis ou peintures leurs expériences vécues dans diverses situations, par exemple au combat, dans les tranchées ou dans un camp de prisonniers de guerre. Les artistes de guerre sont devenus des intervenants clé faisant complément aux journalistes et aux historiens en illustrant et en décrivant la guerre dans toutes ses dimensions. Par exemple, des artistes de guerre contemporains tels que Don Troiani, Mort Künstler, Don Stivers et Keith Rocco ont créé des œuvres incroyablement détaillées faisant voir l’essence de la guerre civile américaine, qu’il s’agisse de l’équipement utilisé, des personnalités, des régiments ou même de batailles et d’événements particuliers. Indubitablement, l’art de guerre vise à produire un résultat particulier, que ce soit glorifier le conflit d’une certaine façon, faire œuvre de propagande, créer une compréhension visuelle des évé- nements ou dénoncer la guerre et son cortège de souffrances et d’horreurs. Incontestablement, les peintures de guerre traduisent les émotions à plusieurs niveaux, de la ferveur martiale patriotique jusqu’à la tristesse insondable éprouvée face à l’horreur abomi- par Bernd Horn La mort de Wolfe (1759), de Sir Benjamin West. Collection d’ar t militaire Beaverbrook, Musée canadien de la guerre, MCG 19910216-332 30 Revue militaire canadienne • Vol. 19, no. 3, été 2019 nable et à l’absurdité de la guerre. Par exemple, le célèbre tableau de Benjamin West intitulé La mort de Wolfe, ou celui d’Emanuel Leutze, appelé George Washington Crossing the Delaware (George Washington franchit le Delaware) suscitent les images de capitaines magnifiques et d’exploits remarquables sur le champ de bataille. En revanche, l’œuvre d’Adolph Northen intitulée Napoleon’s Retreat from Moscow (Retraite de Napoléon de Moscou), celle de John Singer Sargent, portant le titre de Gazés et faisant voir une file de soldats rendus aveugles pendant la Première Guerre mondiale, ou encore les tableaux de Tom Lea appelés The Two Thousand Yard Stare (Regard fixe perdu dans l’infini) ou Abandon Ship (Sauve qui peut) et créés pour la revue LIFE afin d’illustrer le traumatisme causé par la campagne du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale dépeignent tous le coût humain de la guerre. D’un point de vue canadien, les artistes de guerre ont joué un rôle tout aussi important. Les tableaux saisissants de H.J. Mowat intitulés Un raid de nuit ou Combat de tranchée, ou l’œuvre troublante de Maurice Cullen, appelée No Man’s Land, ont aidé les Canadiens à mieux comprendre la terreur qui imprégnaient les champs de bataille d’Europe. De même, les illustrations détaillées de Charles Comfort d’événements tels que le Raid de Dieppe ou la capture de La ligne Hitler et les peintures dramatiques d’Alex Colville telles que Paysage tragique et Infanterie, près de Nimègue ont créé des images qui répondaient à la demande de la population qui souhaitait mieux visualiser la guerre. L’auteure Heather Robertson a décrit la motivation des artistes de guerre et l’attrait qu’ils ressentaient dans ce contexte. Elle a donné l’explication suivante : La guerre a démoli les idées préconçues, les vieilles inhi- bitions; elle a offert aux artistes de guerre un thème – la mort, la mutilation, la destruction – qu’ils n’avaient jamais traité auparavant. Ils devaient rendre l’odieux tolérable, donner une beauté à la laideur et faire surgir la vie de la mort. Sous la tension due à cette danse macabre, cer- tains peintres ont créé des œuvres d’art extraordinaires et inoubliables1. [tco] L’importance et la contribution de l’art de guerre ne font aucun doute. Cependant, certains soutiendraient que cet art est une façon d’explorer les émotions suscitées par la guerre, mais pas nécessai- rement la psychologie des conflits. À cet égard, l’artiste de guerre contemporaine Gertrude Kearns adopte une approche différente. Son projet intitulé The Art of Command (L’art du commandement) qui représente plus d’une décennie de travail, tend ambitieusement à saisir l’essence, sinon l’âme, des conflits en s’intéressant aux commandants militaires et aux décideurs civils qui les poursuivent2. Paradoxalement, Kearns n’a pas d’abord choisi de faire carrière comme artiste. Elle a étudié le piano classique au Royal Conservatory of Music de Toronto au début de la vingtaine. Elle a obtenu un baccalauréat en musique (piano – interprétation) à l’Université de La ligne Hitler, de Charles Comfort. Collection d’ar t militaire Beaverbrook, Musée canadien de la guerre, MCG 19710261-2203 Revue militaire canadienne • Vol. 19, no. 3, été 2019 31 L’ART DE GUERRE Collection d’ar t militaire Beaverbrook, Musée canadien de la guerre, MCG 19710261-2079 Toronto et s’est alors intéressée sérieusement à la composition. Toutefois, le studio de son père, Frederic Steiger (1899-1990), un artiste à temps plein créant des œuvres et des portraits semi-abstraits, a exercé une forte influence sur elle. Au cours des années 1970, elle a commencé à faire des études d’anatomie (en termes de non-initié, des études de nus) et a vite compris qu’elle possédait un talent certain pour les arts graphiques. Au cours des deux décennies suivantes, Kearns, qui travaillait parfois sur commande, s’est concentrée sur la réalisation de peintures abstraites et de portraits grand format. Elle s’est fermement affirmée sur la scène torontoise de l’art contemporain. Cependant, en 1991, elle a eu une révélation. La guerre du Golfe a ravivé un intérêt résiduel latent qui a aiguisé son désir de devenir artiste de guerre. Cette année-là, Kearns a exposé sa série d’œuvres sur la crise du Golfe à Toronto; il s’agissait de grandes toiles semi-abstraites. Puis, en 1993, elle a exposé le portrait sombre mais troublant de trois aviateurs (un Allemand, un Italien et un Américain) capturés pendant la guerre du Golfe. En 1994, elle a gagné un concours sur l’aviation et le maintien de la paix organisé par le Musée national de l’aviation, et cela lui a valu l’attention du Musée canadien de la guerre (MCG) et du Musée national de l’aviation. En quelques années, Kearns a produit un certain nombre d’œuvres dramatiques telles que Somalia with Conscience (Kyle Brown et l’affaire somalienne), Fires over Kuwait, Avro Arrow: Black Friday et Avro Arrow: Short Glory. Son travail a cependant suscité la controverse. En 1996, le Musée canadien de la guerre a acquis les œuvres Somalia with Conscience et Somalia without Conscience qui illustraient explicitement la torture de l’adolescent somalien Shidane Arone. Cela a engendré une vague de protestations de la part des vétérans et d’autres personnes quand le MCG a ouvert ses portes dans son nouveau bâtiment et exposé la seconde peinture montrant Clayton Matchee et le prisonnier. Toutefois, Kearns soutient que l’œuvre n’avait aucune visée anti-militaire, mais qu’elle avait plutôt pour objet de rappeler sévèrement l’importance d’un solide leadership. En 2001, Kearns a amorcé son projet de deux ans sur le Rwanda, et cela allait aider à tracer sa voie éventuelle. Elle a exécuté quatre grandes toiles politiques sur le lieutenant-général Roméo Dallaire. Indéniablement, la complexité des situations auxquelles les soldats et surtout les chefs faisaient face dans les zones de conflit la fascinait. Cela l’a amenée à comprendre qu’elle allait devoir s’entretenir avec des membres des Forces armées canadiennes pour approfondir son approche sous ce nouvel angle. Par conséquent, elle a communiqué avec le Quartier général de la Défense nationale (QGDN), et on lui a permis de faire la connaissance d’un officier d’état-major qui avait travaillé avec le général Dallaire au Rwanda. Cet officier lui a donné un contexte et a fourni des détails sur le général et la mission en y ajoutant une uploads/s3/ cmj193fp29.pdf

  • 16
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager