Le Franco-Arabe-Maghrébin1, un sociolecte générationnel : étude de quelques par
Le Franco-Arabe-Maghrébin1, un sociolecte générationnel : étude de quelques particularités Le franco-arabe maghrébin utilisé par les jeunes de la troisième génération est le résultat à la fois d’une variation linguistique des deux langues sources, ainsi que d’une variation sociolinguistique et socioculturelle indéniables. En outre, il convient d’expliquer les articulations entre les attitudes des locuteurs et leurs représentations face aux langues en présence ainsi que leurs pratiques langagières. Ces pratiques se manifestent par la mise en place d’un répertoire langagier complexe et varié construit comme le reflet et le véhicule de valeurs identitaires. Ce parler est défini de la manière suivante : il est composé essentiellement de termes français (langue d’appui) auxquels les jeunes intègrent des termes arabes. L’arabe auquel nous faisons référence est un mélange des trois dialectes nord-africains (tunisien, algérien et marocain); on note toutefois une dominance du dialecte algérien. Par ailleurs, ces dialectes qui ont subi une variation linguistique sur le sol français, donne pour résultat, l’arabe maghrébin. Cet arabe maghrébin a subi à nouveau une évolution linguistique chez les sujets arabophones de la troisième génération (dérivation, affixation, troncation,…). Cette évolution est liée en partie aux phénomènes d’urbanisation qui ont conduit progressivement les locuteurs à se construire un parler ancré sur un territoire géographique. En d'autres termes, doit-on considérer que nous sommes en présence d’un parler à dominante française ou d’un français entièrement à part ? Tout comme leur parler, ces jeunes sont-ils des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? Nos sujets sont tous des adolescents âgés de 10 à 16 ans, nés sur le sol français, de toutes origines confondues (asiatique, portugaise, italienne, pied-noir, maghrébine,…) et dont les grands-parents sont les premiers acteurs migrants en France. Nous avons choisi de travailler sur des extraits de notre corpus enregistrés sur deux lieux différents : dans l’enceinte d’un collège de Besançon (salle d’étude, réfectoire, cour de récréation) et dans le quartier le plus peuplé de Besançon : Planoise (environ 20 000 habitants). De quoi est composé leur répertoire ? Il est composé d’un métissage linguistique qui consiste en la combinaison de divers phénomènes langagiers, tels que l’alternance 1 Kheira Sefiani, Université Marc Bloc (Strasbourg II) 1 codique qui donne naissance à un parler hybride, des créations lexicales morpho-lexico-sémantiques et le verlan. Toutefois, le franco-maghrébin relève d’une triple définition : ò une définition linguistique qui consiste à décrire ce parler en tant que mélange de deux codes langagiers distincts qui coexistent dans un même énoncé, voire une même phrase. Cette alternance codique va jusqu’à bouleverser la syntaxe (pourtant rigide) du français, langue d’appui. ò une définition communautaire (Melliani, 2000) qui lie le parler de ces jeunes à leur territoire, la banlieue. ò une définition fonctionnelle qui, considère la banlieue comme le lieu par excellence des conflits de langues, et lie étroitement l’émergence d’un parler à des formes d’urbanisation et notamment de territorialisation au sein des villes à forte concentration démographique. Nous partons de l’hypothèse suivante : Jusqu’à présent, dans l’analyse de notre corpus, nous considérions les mots arabes présents dans ce parler comme des emprunts au dialecte maghrébin. Des emprunts, dont certains ont subi des modifications. Or, nous nous sommes aperçus que ce parler s’enrichissait davantage lexicalement. L’alternance codique franco- maghrébine fournit aux locuteurs la possibilité de multiplier leurs productions langagières en accroissant considérablement leur répertoire verbal. Par conséquent, nous avons relevé de nombreuses créations lexicales dans notre corpus. L’apparition de ces créations lexicales étant due à trois facteurs : ò La position des locuteurs dans le discours conditionne la création lexicale (qu’ils soient en position d’infériorité, d’égalité ou de supériorité, certaines circonstances les poussent à produire ce qui n’existait pas). ò Les locuteurs ont différents degrés de maîtrise du dialecte maghrébin. Même pour ceux qui sont en contact permanent avec celui-ci, la compétence linguistique reste limitée. Donc, il faut combler les lacunes lexicales. ò D’autre part, l’un des aspects de la création lexicale est la sensation d’écart par rapport à l’usage courant. Se démarquer à la fois de l’arabe et du français courants traduit pour nos locuteurs la volonté de fabriquer un parler sur mesure, qui leur appartienne et qui leur ressemble. Ces trois critères peuvent expliquer la variabilité du franco-maghrébin et le maintien de son existence dans le discours de nos locuteurs. 2 1. Les néologismes et les créations lexicales Avant d’en arriver aux différentes définitions données, il convient d’expliquer l’étymologie de néologisme. Néologie et néologisme ont été fabriqués à partir de l’adjectif « neos » et « logos », deux termes grecs qui signifient « nouveau » et « mot ». C’est au XVIIIème siècle qu’apparaissent ces deux substantifs : Le Trésor de la Langue Française (TLF) fait état du néologisme en 1734, et de néologie en 1759. Qu’est ce-que le néologisme ? Dans l’article de L. Guilbert consacré à la néologie figurant dans le Grand Larousse de la Langue Française [GLLF, 1971-1978 : 3584], on trouve la définition suivante : « Dans la linguistique moderne, le mot néologie est utilisé pour désigner l’ensemble des processus de formation des mots nouveaux, et néologisme pour dénommer le mot nouveau. » Puis plus loin, il continue : « c’est dans la parole que se situe la création des mots avant qu’ils ne prennent place dans le lexique de la langue » [GLLF : 3586]. Néanmoins, cette définition ne met pas suffisamment l’accent sur l’acte créateur, son processus de formation et sur les acteurs de cette création. C’est pourquoi la définition de Rey nous parait plus abonder dans ce sens. Pour A. Rey (1974), « la néologie est l’apparition de quelque chose ‘d’inexistant’ dans un état ‘immédiatement’ antérieur de la langue ». C’est ce « quelque chose » qu’il faut évidemment analyser : à quel niveau d’analyse doit- on procéder : au niveau sémantique, syntaxique, morphologique ou phonétique ? Le néologisme est-il toujours un mot ? Quelle est la position du locuteur- émetteur et celle du locuteur récepteur-interprétant ? Enfin pour donner une définition plus exacte, J.F. Sablayrolles (2000 : 56) explique que « néologisme » a d’abord signifié « abus de mots nouveaux » et qu’avec cet attribut, il était plutôt connoté péjorativement : il désigne ainsi toutes les bizarreries lexicales employées dans la langue normée. Puis, avec l’évolution du temps et des modes de pensée (esthétique classique jusqu’au XVIIIème siècle), il a perdu sa valeur péjorative pour signifier « introduction d’un mot nouveau ou emploi d’un mot ancien dans un sens nouveau ». Par ailleurs, il a enrichi cette définition en introduisant la métonymie ; ainsi pour Sablayrolles, « néologisme » signifie « mot nouveau, tournure nouvelle ». 3 Nous partageons cette définition et englobons dans « tournure nouvelle » le « quelque chose » auquel A. Rey fait référence à savoir mot, expression, syntagme, onomatopée,… Pour récapituler ces définitions, nous nous référerons à quatre des principaux concepts liés au néologisme et dégagés dans l’étude de Sablayrolles à savoir : • « abus de l’emploi de mots nouveaux » • « emploi de mots nouveaux » • « mot nouveau » • « processus d’enrichissement du lexique, créativité lexicale ». Nous retrouvons bien évidemment ces quatre dimensions dans notre corpus. Par ailleurs, nous abordons la question des néologismes, en partant de la langue française, que les locuteurs enrichissent par des mots et expressions arabes et français. Toutefois, plus nous avançons dans l'étude de ces néologismes, plus la question de la transmission de ces mots et expressions est importante. Pour qu’il y ait néologisme, il ne suffit pas uniquement de créer un mot ou un sens nouveau, il faut, et c’est le processus le plus délicat dans ce phénomène linguistique, que la création lexicale en question soit reprise dans les échanges conversationnels assez souvent et régulièrement par différents locuteurs. Les nouvelles expressions doivent faire le tour du groupe de pairs ou de la communauté. Elles doivent être partagées et transmises à tous sans quoi elles n’auraient pas de valeurs linguistique et symbolique. Il faut par ailleurs rappeler sur quelle base ont été repérés les néologismes. Nous avons observé et compté ces créations dans tout le corpus, nous avons regardé si ces créations étaient utilisées par un seul et unique locuteur ou si elles étaient reprises par de nombreux locuteurs. Par ailleurs, nous avons enregistré des locuteurs planoisiens, mais pour la pertinence de l’étude, nous avons comparé ces enregistrements avec d’autres effectués dans d’autres quartiers de Besançon (Les Clairs-Soleils) Nous avons bien évidemment vérifié dans des dictionnaires français (pour les mots français) et arabes pour certifier l’existence des mots en présence, dans le cas échéant, nous les avons classés dans les créations lexico- sémantiques. Quant à certaines expressions arabes tirées directement des dialectes maghrébins, nous nous sommes référés à nos connaissances dans ces dialectes. 2. Les néologismes à fond français 4 Par néologisme à fond français, nous entendons tout mot, expression ou tournure nouvelle se pliant aux règles morpho-phonétiques, lexico-sémantiques et morpho- syntaxiques de la langue française. 2.1 La création lexicale absolue 2.1.1 La création ex nihilo La définition d’une création ex nihilo donnée par uploads/s3/ sefiani-kheira.pdf
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- Publié le Fev 22, 2022
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