WATTEAU ET MARIVAUX : DEUX TÉMOINS D'UNE MUTATION DU SENTIMENT AMOUREUX AU XVII

WATTEAU ET MARIVAUX : DEUX TÉMOINS D'UNE MUTATION DU SENTIMENT AMOUREUX AU XVIIIE SIÈCLE Hélène Duccini Nouveau Monde éditions | « Le Temps des médias » 2012/2 n° 19 | pages 12 à 21 ISSN 1764-2507 ISBN 9782365833875 DOI 10.3917/tdm.019.0012 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2012-2-page-12.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Nouveau Monde éditions. © Nouveau Monde éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) Le XVIIIe siècle marque un vrai tour- nant dans l’expression du sentiment amoureux en France. On observe que les mœurs évoluent vers une plus grande liberté des individus. Cette li- berté trouve donc à s’exprimer dans le choix du conjoint. Alors que, aux yeux de l’Eglise, seule la procréation est re- connue comme le vrai et seul but du mariage, à partir du siècle des Lumières, une nouvelle sensibilité donne sa place aux sentiments des fiancés. Cette évo- lution se perçoit dans les comporte- ments. L’intérêt des familles, les consi- dérations sociales, les références gé- néalogiques et la sauvegarde des pa- trimoines ne sont plus les premières et souvent uniques considérations qui gui- dent le choix des familles, des pères sur- tout, pour leurs enfants. Au XVIIe siècle encore, les femmes n’ont de choix qu’entre un mariage avec le prétendant choisi par leur père ou le couvent. Pour les fils, on perçoit bien la distinction entre le sen- timent pour l’épouse et celui pour la maîtresse. Les relations extraconjugales, dans les milieux aristocratiques, sont fi- nalement admises, autorisées, sinon lé- galisées. Au XVIIIe siècle, progressivement, propriété et lignage passent après les sentiments des futurs époux dans le choix du conjoint. C’est donc bien là qu’apparaît le mariage d’amour, favo- risé par un long processus de séculari- sation du mariage. Cette familiarité, cette proximité même, transparaît dans les correspondances conjugales1. Le choix d’autrefois perd progressive- ment du terrain au profit du respect de l’inclination des prétendants. On est bien là en présence d’une révolution des sentiments et du sexe. Car la contrepartie réside dans une fidélité sexuelle plus exigeante. La cellule fa- miliale resserre les liens, le rôle d’édu- cateurs des parents s’affirme davantage. L’amour maternel est, lui aussi, en train d’émerger de façon plus évidente et plus universelle. Si, dans les milieux po- pulaires où les femmes travaillent, les bébés sont confiés à des nourrices, dans les milieux bourgeois, les mères gardent 12 Watteau et Marivaux: deux témoins d’une mutation du sentiment amoureux au XVIIIe siècle Hélène Duccini* N°19 – Automne 2012 Le Temps des Médias * Maître de conférences honoraire à l’Université Paris Ouest Nanterre. © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) plus volontiers leurs nourrissons. En somme, le mariage, désormais fondé sur le sentiment amoureux, mène au res- serrement des liens autour de la famille nucléaire: père, mère et enfants. Le re- cours aux précepteurs régresse, tandis que la fidélité conjugale s’impose et ex- clut toute autre forme de sentiment. Cependant, l’amour étant aveugle, sans être toujours éternel, force est d’envisager des procédures de sépara- tion en l’absence de dissolution ad- mise2. Montesquieu, Voltaire, Diderot plaident en faveur d’un divorce, fina- lement légalisé par l’Assemblée Consti- tuante en 1792. Il n’est donc pas étonnant que ce grand virage du sen- timent amoureux au sein du mariage trouve son expression dans les arts et les médias au XVIIIe siècle. Diffusion des œuvres Pour analyser l’émergence et l’af- firmation du sentiment amoureux dans la peinture et dans la gravure, je m’attacherai plus spécialement à l’œuvre d’Antoine Watteau et dans le théâtre à celle de Marivaux. Les pein- tures, du moins les plus importantes, et souvent les dessins, de Watteau ont été reproduits sous forme de gravures très tôt dans sa carrière. Il est donc impor- tant de mesurer le transfert de la pein- ture vers la gravure, car l’œuvre peinte ne peut être vue que par un nombre relativement limité d’observateurs, alors que la gravure produite en général à plusieurs centaines d’exemplaires, ti- rée et souvent retirée, est un moyen de diffusion qui touche évidemment un public beaucoup plus large. Ainsi, de 1717 à 1735, Jean de Ju- lienne, mécène et collectionneur, achète près de 40 toiles et environ 450 dessins de W atteau. Il recrute pour faire graver ces œuvres une équipe de 36 graveurs dont Charles-Nicolas Cochin, les Audran, père et fils, Tardieu, Ave- line, Carle Van Loo, François Boucher, alors âgé de 19 ans et bon nombre d’autres artistes. En 1728, Jean de Ju- lienne publie deux volumes de Figures des différents caractères de paysages et d’études dessinées d’après nature par An- toine Watteau, tirés des plus beaux cabinets de Paris. On y trouve 351 planches, une vraie somme sur l’œuvre de Watteau dont Julienne était l’ami. Pour présenter les gravures, Julienne rédige un Abrégé de la vie de Watteau. Enfin, en 1736, quinze ans après la mort de son ami, il publie deux autres volumes: Œuvres des estampes gravées d’après les tableaux et dessins de feu Antoine Watteau qui com- portent 271 planches. Cet effort de conservation et de mise en forme d’un catalogue de l’œuvre du peintre per- met aujourd’hui d’en mesurer l’am- pleur. Le nombre des peintures qui lui sont attribuées avec certitude est ac- tuellement très faible, mais le catalogue de Julienne est là pour en donner une idée beaucoup plus précise. Watteau Antoine Watteau est né à Valen- ciennes en 1684. Après un début de formation en Flandre, il arrive à Paris 13 Watteau et Marivaux: deux témoins d’une mutation du sentiment amoureux au XVIIIe siècle © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) © Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 5.14.110.67) en 1703. Il fait alors la connaissance des collectionneurs Pierre et Jean Mariette. Il trouve chez eux ses premières sources d’inspiration. Il entre ensuite dans l’atelier de Gillot où il passe près de cinq ans. Son maître est en relation avec les décorateurs et l’atelier de cos- tumes de l’opéra ce qui fournit à Wat- teau un premier contact avec le théâtre. Sa passion pour le théâtre se mani- feste dans un grand nombre d’études où il observe sur le vif les gens de théâtre. Manifestement, son intérêt se porte sur les artistes de la Foire et sur les Comédiens italiens. La Foire Saint- Germain se tenait sur l’emplacement actuel du marché Saint-Germain du 3 février au dimanche de la Passion. Les spectacles dramatiques avaient d’abord pris la forme du théâtre de marion- nettes, mais, avec le départ des Comé- diens italiens, Pierrot, Arlequin et Co- lombine étaient venus prendre place dans les spectacles de la Foire. Rue de l’Ancienne Comédie, au- trefois rue des Fossés Saint-Germain, se trouvait la Comédie française. C’est dans ce quartier que Watteau était des- cendu en arrivant à Paris, quartier qui attirait de façon privilégiée les Flamands qui s’y retrouvaient en grand nombre. En outre, en remontant la rue Dau- phine, on arrivait droit sur le Pont-Neuf où se tenaient des saltimbanques. En- fin, en traversant la Seine on pouvait joindre dans le Marais la Foire Saint- Laurent. Parmi les artistes de la Foire, tra- vaillaient des peintres qui passaient par- fois de l’autre côté de la rampe et par- ticipaient aux spectacles en acteurs, tel Antoine de La Place. En 1707, il ouvre avec Charles Dolet un théâtre. Il se considérait tout ensemble comédien et peintre. En 1713, La Place et Dolet pré- sentent une pièce dans le goût des fêtes galantes: Les Aventures comiques d’Arle- quin ou le triomphe de Bacchus et de Vénus. Watteau, incontestablement, s’intéresse alors à la comédie italienne et on peut penser qu’il fréquente des comédiens et le milieu du théâtre. Le Gilles, l’une de ses dernières œuvres, en reste le plus beau témoignage. En 1708, il passe chez Au- dran et travaille à la décoration du châ- teau de la Muette puis à celle de l’hô- tel de Nointel. Mais les œuvres de cette période n’ont pas été conservées. Sou- tenu par Audran, en 1709, W atteau par- ticipe au concours de l’Académie royale de peinture et obtient le second prix. Après un séjour en Flandre où il re- tourne pour quelques mois, il revient à Paris en espérant obtenir une pension pour étudier à Rome. En uploads/s3/ tdm-019-0012.pdf

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