DESSIN CONTEMPORAIN cqfd cqfd Le dessin dans la feuille Aussitôt que mon trait

DESSIN CONTEMPORAIN cqfd cqfd Le dessin dans la feuille Aussitôt que mon trait ému a modelé la lumière de ma feuille blanche, sans en enlever sa qualité de blancheur attendrissante, je ne puis plus rien lui ajouter, ni rien en reprendre. Henri Matisse, in Matisse, Écrits et propos sur l’art, Hermann, Paris 1972. En Occident, dans la tradition classique, le dessin est pratiqué très largement – comme instrument d’apprentissage, comme moyen d’étude, comme outil de préparation – mais n’est jamais une œuvre à part entière. Léonard de Vinci, études d’anatomie, Italie, XVIe siècle En Orient (Chine, Corée, Japon), la peinture est issue de la calligraphie chinoise et use des mêmes instruments. L’encre et les couleurs à l’eau sur du papier ou de la soie, très absorbants : une fois un trait tracé, il est impossible de le corriger. L’artiste n’imite pas la nature, il cherche à exprimer l’essence des choses en réduisant la forme aux lignes essentielles. Liang Kai, Hui-Heng coupant du bambou, Chine, XIIe siècle Au XIXe siècle, les artistes européens étouffent dans la tradition de l’Académisme, qui leur enjoint de répéter toujours les modèles de l’Antiquité et de la Renaissance. Leur découverte de pratiques différentes, notamment par l’estampe japonaise, leur permet de renouveler l’art occidental. Hokusai, Autoportrait en vieillard, Japon, XVIIIe-XIXe siècle Paul Cézanne, France, XIXe siècle Dessin contemporain 3 Sommaire Le dessin dans la feuille ............... p.3 Sans papier ...................................... p. 9 Zone d’échange graphique : entre l’écriture et le dessin ........... p. 13 Des livres de l’art ............................ p. 21 La collection fiction ....................... p. 29 cqfd Simplifier Le dessin va à l’essentiel. Combien de traits pour dessiner une figure ? La ligne prend son autonomie : elle évoque, mais elle ne fait pas illusion. Elle tend à l’abstraction. L’espace de la feuille Soit une surface donnée, comment l’occuper, l’animer (étymologiquement : lui donner une âme) ? [les figures] sont appelées par l’espace de la feuille devenue espace de Miró, avec lequel tout commence et dans lequel tout prend son sens, sa place et sa valeur. Jacques Dupin, Miró, Flammarion, Paris, 1993. L’espace de la feuille est totalement dramatisé, tous les sentiments peuvent y être mis en scène exagérément. Mais c’est aussi un lieu dédramatisé où les figures jouent sans complexe, ni retenue. De fait, il s’agit vraiment d’une sorte de théâtre ambulant ou d’atelier portatif. Hippolyte Hentgen, in Roven, revue critique sur le dessin contemporain, n°2, automne-hiver 2009. Remplir la page Organiser Donner à chaque signe sa juste place. Silvia Bächli, Dessin, 1993-1994 Claude Closky, Sans titre, 1500 frises, 1992 Simon Hantaï, Travaux de lecture, 1999 Joan Miró, Sans titre I, 1970 Kurt Schwitters, poème concret Daniel Dezeuze, Le salon noir, 2002 Henri Laurens, Femme assise, 1939 Olivier Debré, Signe personnage, 1950 Tracer La ligne seule. Jean Degottex, ETC (V), 1967 Il leur devient alors possible d’investir de la dignité d’œuvre d’art cette pratique modeste et spontanée qu’est le dessin. À la même époque, l’écriture est introduite dans la peinture (Futuristes, Cubistes). Pablo Picasso, France, XXe siècle 4 Dessin contemporain 5 cqfd Jouer avec la matière du papier Le support par excellence du dessin, c’est le papier, qui se prête à toutes sortes de manipulations. Jouer avec les bords Les bords de la feuille sont une limite, un cadre, une contrainte dont on peut se servir comme d’un tremplin. Et quoi d’autre encore ? Coller Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage. Max Ernst En art, coller, ce n’est pas seulement faire tenir avec de la colle : c’est aussi assembler des éléments de provenances diverses pour obtenir autre chose. Par exemple, une photo et un dessin. Eduardo Chillida, Gravitacion, 1989 Jean Degottex, Arr Blanc 6, 29-4-1972 Eduardo Chillida, Gudari Txiki, 1979. Silvia Bächli, Dessin, 1993-1994 Robert Mangold, Dessin, 1969 Emmett Williams, Sans titre, in Konkrete Poesie International, 1965 Dérober Interroger Contredire Effleurer Une trace seulement, celle d’un fil de coton trempé d’encre de Chine, répétée dans l’espace de la feuille. Tacher Gribouiller ? Robert Groborne, Dessin 234777 B, 1977 Francis Picabia, La Sainte Vierge II, 1920 Jean Dubuffet, ACTIVATION XLV, 1985 Filippo Tommaso Marinetti, Bombardamento, 1915 Raoul Hausmann, Oaoa, 1965 Pierre Buraglio, Dessin d’après… Cézanne-Les Saintes-Victoire de Z, variations, 1984 Les dessins sont comme des sculptures, ils se projettent à des distances variées dans l’espace dans lequel nous nous trouvons. Les murs blancs, l’espace même font partie du champ pictural. Sylvia Bächli Découper Déchirer Estamper 6 Dessin contemporain 7 cqfd SANS PAPIER Technique de la légèreté et de la mobilité par essence, tout ou presque peut servir de support au dessin. Il s’agit ici de nous intéresser plus particulièrement à deux de ces supports : le mur et la peau, qui tous deux se rejoignent dans les origines du dessin et sont aussi très présents dans les pratiques les plus contemporaines. Sur le mur Lascaux, L’Homme du puits Il est vertigineux de réaliser que les outils pour dessiner sont les mêmes depuis la Préhistoire. Crayons de charbon de bois, oxyde de couleur rouge, craies blanches sont utilisés par les hommes préhistoriques pour dessiner sur des parois rocheuses ou des pierres détachées. Georges Bataille écrit Lascaux en 1955. Il y décrit la naissance de l’art qui est naissance de l’homme : L’homme du puits L’homme du puits de la caverne de Lascaux est en même temps que l’une des premières figurations connues de l’être humain l’une des plus significatives. Assez exceptionnellement, elle est peinte (d’autres, du même temps, sont sculptées, en ronde-bosse ou en bas-relief, ou gravées, si elles ornent des parois). Elle est du moins tracée à gros traits de peinture noire. Elle est de lecture facile (nous pouvons l’interpréter sans discussion), mais sa facture raide, enfantine, est d’autant plus choquante que le bison peint avec elle est d’exécution réaliste (du moins est-il vivant dans tous les sens). […] Le bison, le rhinocéros, l’homme et l’oiseau sont faits du même trait s’empâtant d’une même peinture noire et brillante, ayant une apparence givrée. Nous sommes en présence d’une scène, dont nous pouvons, il est vrai, rien dire qui ne soit conjectural, sinon que le bison est blessé et que l’homme est inanimé : bien que simplement incliné, cet homme est étendu, ses bras sont écartés, les mains ouvertes. Au-dessous de l’homme est un oiseau dessiné d’un trait qui, n’étant pas moins puéril, est moins gauche : cet oiseau sans pattes est perché, comme un coq de clocher, à l’extrémité d’une sorte de tige. Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l’art, Éditions Albert Skira,1955. Au premier siècle après J.-C., dans la légende racontée par Pline, l’origine de la peinture se confond avec celle du dessin et consiste à tracer, sur un mur, grâce à des lignes, le contour d’une ombre humaine. […] En utilisant lui aussi la terre, le potier Butadès de Sicyone découvrit le premier l’art de modeler des portraits en argile ; cela se passait à Corinthe et il dut son invention à sa fille, qui était amoureuse d’un jeune homme ; celui-ci partant pour l’étranger, elle entoura d’une ligne l’ombre de son visage projetée sur le mur par la lumière d’une lanterne ; son père appliqua de l’argile sur l’esquisse, en fit un relief qu’il mit à durcir au feu avec le reste de ses poteries, après l’avoir fait sécher. Pline, Histoire naturelle, Livre XXXV, § 151 et 152. Si la fille du potier Butadès dessine pour combler l’absence de l’être aimé, plusieurs artistes contemporains semblent dessiner sur les murs, sur le sol des villes pour combler le manque de relation avec ce paysage urbain. Le dessin est alors un lien entre l’individu et la ville, une trace de leur passage, de leur interaction physique avec la rue. Dessiner pour sortir de l’anonymat, pour trouver une emprise sur la ville. Dans l’histoire de l’art, le dessin a beaucoup joué le rôle de projet précédant l’action (dessein) ou de trace faisant le récit a posteriori de performances. Les dessins de Robin Rhode se distinguent de ces deux fonctions puisqu’ils conduisent directement à la performance et à l’action. En dessinant sur les murs devant un public, l’artiste fait semblant d’utiliser les objets qu’il représente. Robin Rhode, Snake Eyes, 2004 (deux des dix photographies composant l’œuvre) Dessin contemporain 9 cqfd Francis Alÿs, The leak 1, 1995 De même, dans l’œuvre de Francis Alÿs, le dessin et le geste s’exécutent dans un même temps pour rendre compte de la « dérive » de l’artiste à travers la ville. C’est également la recherche du tracé instantané qui incite Bernard Moninot à quitter le papier pour le paysage. À partir des années 1980, Bernard Moninot choisit le dessin pour unique médium, il s’éloigne en même temps et progressivement du papier pour chercher d’autres moyens d’apparition. Il relie ce virage opéré dans son travail à l’intérêt porté à une seule sorte de ligne : Il s’agit de celle que les maçons et les charpentiers tracent en une fraction de seconde, avec un cordeau enduit de pigment bleu pour uploads/s3/ texto-dessin-contemporain-cqfd.pdf

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