Souvenirs de l’époque parisienne On va présenter par la suite quelques souvenir

Souvenirs de l’époque parisienne On va présenter par la suite quelques souvenirs des personnalités qui ont connu Brậncuşi; souvenirs exposés d’une manière exceptionnelle par les écrivains Romulus Ruscan et Ana Blandiana dans le volume ’’Une discussion à la Table du silence et d’autres conversations subjectives’’ de la période parisienne. MILITA PETRASCU(ancienne élève de Brậncuşi) -Vous avez été parmi les premiers Roumains qui aient écrit sur Brậncuşi en Roumanie. Toutefois, même après des décennies où le monde s’est habitué à demander tout sur Brậncuşi, vous parlez de votre maître avec la même fraîcheur de l’observation. Elle est restée classique la description de l’atelier que vous avez faite. ’’11, Impasse Ronsin, à travers la rue Vaugirard. Quand l’on entre dans l’Impasse Ronsin, juste à droite un mur couleur orange, avec une seule fenêtre sous le toit : on avance un peu vers la rue, du côté droit et l’on arrive devant une porte en bois, vieillie, fixée avec des barres de fer ; une grande porte large avec une clef et un verrou. On y frappait et l’on entendait soit une voix dire « Entrez » soit des pas qui avançaient. Après qu’ils se sont arrêtés et la porte s’ouvrait, apparaissait Brậncuşi, en sabots et en chandail de bonne qualité, du genre « camel hair » autant en hiver qu’en été et en pantalons de coutil. Avant de se rendre compte de son allure, on était touché de sa manière de tendre la main. Ce qui pour certains était un simple geste stéréotype, pour lui c’était un vrai engagement à l’amitié, une confirmation que les gens peuvent et doivent être les uns avec les autres, des êtres vivants, communicatifs et radieux. Puis tu voyais devant toi un bel homme, une tête de Dace ancien au regard perçant et souriant, avec une bouche charnue et bien définie, presque toute cachée sous la moustache; le nez régulier et droit ; une barbe prématurément blanchie encadrait la figure et joignant les cheveux épais et un peux frisés. Deux plis profonds, du nez jusqu’à la bouche lui conférait parfois une expression d’enfant désenchanté, contrastant avec la scintillante énergie des yeux. Il t’invitait à y entrer. Une lumière forte se glissait du plafond par les fenêtres, au-dessus des blocs en granite, en marbre, en pierre, au-dessus du bois, tous répandus en désordre, des blocs en cours de transformation, en voie d’achèvement. Entre les blocs de rocs on passait vers un coin de la pièce d’où partait un escalier en bois, vers le haut, là où se trouvaient la chambre et la salle de bains. En haut se trouvait également une bibliothèque avec ses livres préférés : la Bible, Dante, Boccaccio et ses outils et les matériaux photographiques. La chambre avait une seul fenêtre et l’atelier aucune, la lumière pénétrant par le plafond énorme, constitué à moitié de vitres. Pas loin de l’escalier il y avait un âtre paysan, blanc, prévu d’un système de chauffage perfectionné par Brậncuşi lui-même. Le poêle se prolongeait le long du mur avec un banc paysan prévu d’une marche. Le banc paysan était couvert d’un petit matelas. A côté il y avait une table ronde qu’il avait reproduite d’ailleurs à Tg-Jiu aussi, dans le parc, l’appelant la Table du silence. Les chaises étaient taillées en bois, de mesure humaine et par-là, très confortables. Pourtant, il évitait les meubles trop confortables, disant que trop de confort dispose à la fainéantise et vole de l’énergie. Quand il était enrhumé ou fatigué, il se reposait sur le banc paysan, le dos appuyé contre le poêle. Il se réchauffait. Sur le même poêle, parfois sur de la braise brûlante, il préparait des rôtis délicieux. Il aimait entendre lui dire :’’On devient cuisinier, mais on naît 1 rôtisseur’’. Il considérait que tout ce que la terre produit, il faut traiter avec une attention particulière. ’’Nous ne saurons jamais lui être assez reconnaissants!’’ Et, vraiment, sa façon de préparer un plat de riz au lait ou un potage de haricots c’était unique en son genre. -Et quand même, après cette connaissance approfondie de la personnalité du maître et de ses outils, quelle serait, d’après vous, en quelques mots, la clef du mystère de sa vie prodigieuse? -Il vivait en essence. Chez Brậncuşi tout se réduisait aux dimensions de l’essentiel, à partir de la manière où il travaillait sur les formes jusqu’à une lecture des classiques aimés ou la préparation d’un plat à manger préféré. La patience avec laquelle il attaquait de temps en temps du ciseau quelque œuvre commencée, on ne savait pas quand, rappelait la patience de la nature. Demandé, il disait que, parfois il sentait qu’il avait besoin de quelque mille ans pour pouvoir percevoir les formes couvant dans un bloc de roc. Et Brậncuşi savait attendre, tout de même. De là, peut être sa perception si profonde dans les zones pures de l’esprit. -D’où, croyez-vous, qu’il ait hérité cette patience ? -Il se montrait toujours heureux de raconter sur son enfance. Et de là, possible, sa vision particulière sur le temps :’’ Je me suis fait une vraie réserve de bonheur pour toute ma vie et de cette manière j’ai réussi à survivre’’, il aimait dire. Et, ma vie n’a été qu’une série de merveilles’’. Il avait une étrange insouciance vis-à-vis de la gloire, de la « réclame » :’’ La gloire est la plus grande escroquerie que les gens aient inventée.’’ De là, son détachement total des fluctuations de la mode et l’obstination dans son propre art:’’ Il ne faut pas mentir, mais si tu as menti il faut que tu en souffres jusqu’à ce que ce mensonge devienne vérité.’’ -Comment l’avez-vous connu ? -Un jour de l’année 1919, le peintre Surnage m’avait dit :’’ Je pense qu’il serait bon que tu fasses la connaissance du sculpteur Brậncuşi. Je pourrais vous servir de médiateur pour cette rencontre.’’ Le lendemain, Surnage a fait venir Brậncuşi dans mon atelier de la rue Beloni. Le sculpteur a implacablement considéré mes travaux, en changeant patiemment les angles de vue. Plus tard, il a tiré ses conclusions : ’’Vous êtes encore plus fort que Rodin !’’ Ce aurait été une appréciation à mon adresse ou seulement un brin d’ironie adressé au contemporain dans l’atelier duquel il avait refusé de travailler ! Le lendemain je me trouvais dans son atelier, que j’ai décrit d’ailleurs. Peu après, j’ai changé mon nom de ’’Milita’’ en ’’Lelita’’.’’ Lelita, vous devriez travailler directement en matière.’’ C’est lui qui m’a posé pour la première fois le marteau à la main.’’ Laissez tomber le marteau tout seul sur l’arête du ciseau ! Ce n’est pas comme on battrait un clou ; la sculpture est tout autre chose, plus difficile, et cela est connu par peu de gens.’’ Chaque fois que je me rappelle ces jours d’apprentissage, je me souviens d’un autre dit de Brậncuşi : « Créer comme un dieu, disposer comme un roi et travailler comme un esclave» CELLA DELAVRANCEA(fille de l’écrivain Barbu Stefanescu Delavrancea J’ai vu Brậncuşi quelque deux fois- c’était en 1923 ou en 1924. Brậncuşi avait exposé au Salon des Indépendants, la Princesse X la sculpture qui lui avait causé tant de tapage et d’ennuis. Jean Hrisoveloni, un ami qui connaissait mon compatriote m’a demandé si je ne voulais pas l’accompagner dans une visite à l’atelier qui était déjà lieu de pèlerinage, pour la bohème et l’aristocratie de Paris. Au début, j’ai hésité moi aussi, intriguée par l’agitation provoquée par la Princesse X.’’Tu vas le voir, il est un homme très bizarre.’’ 2 Quand, le matin établi, il a vu Hrisoveloni accompagné d’une autre personne, le peintre a froncé ses petits yeux bleus d’une fixité déconcertante. Je me suis présentée et alors, j’ai vu dans les mêmes yeux une onde de bonté. -Vous êtes la fille de M.Delavrancea ? J’ai acquiescé et puis je n’ai entendu qu’un « voilà » suivi d’un silence assez long. J’ai ressenti l’obligation de m’expliquer. -Je suis venue avec mon ami parce que j’ai vu une sculpture que je n’avais pas comprise. Nous étions dans le célèbre atelier, entourés de grandes verticalités en laiton qui scintillaient merveilleusement qu soleil, comme si elles étaient entrées dans une fine vibration. Je lui ai demandé comment il avait réussi à les polir si parfaitement qu’elles donnaient la sensation matérielle d’être en plein mouvement. Alors, les traits plus déteints, il m’a répondu :’’je les polis à la main jusqu’à ce qu’elles s’animent.’’ -Mais, qu’est-ce que vous en croyez ? m’a-t-il demandé poliment au sujet des ’’Oiseaux’’. -Qui sait ? Peut-être sont-ils aussi des portraits… Il s’est tourné vers un autre coin de l’atelier où se trouvait une sculpture en zigzag. -Mais cela, c’est quoi, vous savez ? Si vous le devinez ,je vous invite prendre le déjeuner ensemble, chez moi… ’’Etre invité au déjeuner chez Brậncuşi, me disait Hrisoveloni, c’est un signe de sympathie de sa part, chose pour laquelle beaucoup d’admirateurs iraient contre vents et marées ’’ J’ai contemplé minutieusement « l’objet ciselé ». -Mais, c’est le ’’Coq-cocorico’’. -Comment cela ? uploads/s3/ brancasa.pdf

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