Paul-Louis Roubert Édition commentée du "Public Moderne et la photographie" de
Paul-Louis Roubert Édition commentée du "Public Moderne et la photographie" de Charles Baudelaire Études Photographiques n°6, mai 1999, pp.22-32. Notice “Le public moderne et la photographie” de Charles Baudelaire (1821-1867) constitue la deuxième partie de l’introduction du Salon de 1859, commandé par la Revue française. Cette introduction se décompose en deux temps : le premier (“L’artiste moderne”, “Le public moderne et la photographie”), relatif au phénomène des Salons, ses artistes et son public ; le second (“La reine des facultés”, “Le gouvernement de l’imagination”), où le poète expose les principes généraux de son esthétique. Ce Salon, qui est pour Baudelaire l’occasion de s’exprimer sur l’art contemporain comme il ne l’a pas fait depuis plus de treize ans, doit former la clef de voûte des Curiosités esthétiques, ouvrage reprenant ses différents articles sur l’art et qu’il projette d’éditer dès 1856. Le 14 mai 1859, Baudelaire écrit de Honfleur à son ami Nadar : “Je suis vraiment fort en peine ; avant de publier mes Curiosités, je fais encore quelques articles sur la peinture (les derniers !), et j’écris maintenant un Salon sans l’avoir vu. Mais j’ai un livret. Sauf la fatigue de deviner les tableaux, c’est une excellente méthode que je te recommande. On craint de trop louer et de trop blâmer ; on arrive ainsi à l’impartialité.” Deux jours plus tard, Baudelaire rectifie : “Quant au Salon, hélas ! je t’ai un peu menti, mais si peu ! J’ai fait une visite, une seule, consacrée à chercher les nouveautés, mais j’en ai trouvé bien peu ; et pour tous les vieux noms, ou les noms simplement connus, je me confie à ma vieille mémoire, excitée par le livret. Cette méthode, je le répète, n’est pas mauvaise, à la condition qu’on possède bien son personnel.” Le Salon de 1859, en effet, se présente moins comme un catalogue détaillé que comme une promenade philosophique, une exposition des conceptions esthétiques de Baudelaire qui s’appuie sur l’état de la peinture contemporaine, comme le lui a demandé le directeur de la Revue française. “Le public moderne…” ne déroge pas à la règle : aucun photographe n’est évoqué, aucune photographie en particulier n’a retenu l’attention de Baudelaire. Pourtant, cette année-là, se sont ouverts le même jour au palais des Champs-Élysées (mais avec des entrées séparées), le Salon proprement dit et la troisième exposition de la Société française de photographie (SFP). Pour la première fois, après une longue bataille dans laquelle Nadar s’est notablement impliqué, l’enregistrement argentique obtient le droit de côtoyer le grand art. Vingt ans après l’annonce de l’invention de Daguerre, l’événement est d’importance et suscite de nombreux commentaires (cf. Hélène Bocard, Les Critiques des expositions de photographie à Paris sous le Second Empire, DEA, université Sorbonne-Paris IV, 1995). Cependant, on le constate, sa portée ne dépasse guère les cercles photographiques : Baudelaire qui, en ce printemps 1859, entretient une correspondance soutenue avec Nadar, n’y fait jamais allusion à l’exposition de la SFP, pas plus qu’il ne la mentionne dans “Le public moderne…”. Le texte peut être schématiquement divisé en deux parties : la première consacrée aux différents artifices employés par les peintres pour “étonner le public” ; la seconde, la plus souvent reproduite, consacrée à la photographie. Le premier moment fournit les clés permettant de situer le contexte dans lequel prennent place les critiques contre la photographie. Le long paragraphe d’introduction dans lequel le poète se moque des titres-rébus lui permet de fustiger les procédés non artistiques, les artifices auxquels ont recours les mauvais peintres pour étonner le public : amour du détail, goût pour le vrai, titres alambiqués. François-Auguste Biard (v. 1799-1882) représente aux yeux de Baudelaire l’archétype de ces mauvais peintres. Absent du Salon de 1859, Biard illustre un courant qui, à la suite de Révoil et Richard et quelques autres peintres de l’atelier de David, tourne le dos à partir de 1815 aux sujets tirés de l’Antiquité gréco-romaine. Ces peintres, dits peintres “troubadours”, donnent dans le “genre anecdotique”, et mettent à la mode le Moyen Âge et l’histoire contemporaine, ce qui permet alors à un large public de s’intéresser au passé national. Le genre anecdotique fait de nombreux émules dont certains, élèves de Révoil et Richard, se regroupent sous le nom d’école de Lyon (dont fait partie Biard). Si pour certains critiques ce genre anecdotique dépend de la peinture d’histoire, pour nombre d’entre eux, il ne s’agit là que de scènes de genre, descriptions minutieuses et sentimentales de petit format, d’une peinture de mœurs qui exprime des passions vulgaires. Baudelaire l’appelle l’“école des finisseurs”. Au début des années 1820, influencés par la nouvelle histoire de Walter Scott (traduit en français à partir de 1816), dont les romans historiques popularisent une histoire narrative et pittoresque, se voulant à la fois “totale” et “exacte”, les adeptes du genre anecdotique s’emparent du format des tableaux d’histoire, ce qui donne naissance officiellement en 1833 au “genre historique” : "Comme les tenants du “genre anecdotique”, ceux qui pratiquaient le “genre historique” privilégiaient la description, la représentation d’éléments significatifs d’une époque, l’expression des émotions, mais avec un souci nouveau de la “couleur locale”, une “exactitude rigoureusement historique”, comme le notent certains" (Les Années romantiques. La peinture française de 1815 à 1850, cat. exp., Paris, Réunion des musées nationaux, 1996, p. 76). François-Auguste Biard, Paul Delaroche, Horace Vernet ou Eugène Devéria sont de la même génération (à part Vernet, ils exposent tous pour la première fois au Salon de 1822) et représentent pour Baudelaire l’opposition à l’art idéal et au génie de Delacroix. Aux yeux du poète, le goût exclusif du vrai s’est infiltré dans le monde de l’art par un double mouvement d’influence réciproque du public sur l’artiste et de l’artiste sur le public, et ce bien avant 1839. La photographie ne fait qu’augmenter le malentendu et la confusion auprès du public – entendons ici le public des Salons, à qui l’on a fait croire, à tort, qu’il était possible d’assimiler les produits de l’industrie photographique avec l’art. Confusion qui ne fait que croître depuis 1848 avec les idées propagées par le mouvement réaliste. Plus que la photographie elle-même, à laquelle il reconnaît toutes ses facultés documentaires, c’est la photographie comme modèle que Baudelaire vise dans sa diatribe. À cet égard, il ne fait bien souvent que reprendre les poncifs de la critique anti-photographique de l’époque, qui s’exprime des colonnes du Figaro à celles de la Revue des deux-mondes. Publiées dans la livraison du 20 juin 1859 de la Revue française (vol. XVII, p. 262- 266), sous le titre : “Lettre à M. le Directeur de la Revue française sur le Salon de 1859”, les réflexions du poète ne connaissent alors qu’une diffusion restreinte, car ce périodique est déjà à cette date dans une très mauvaise situation, et cesse de paraître avec le numéro du 20 juillet suivant – dans lequel se trouve la dernière partie du Salon. Celui-ci ne sera réédité qu’après la mort de Baudelaire, en 1868, avec quelques modifications mineures, lors de la publication des Curiosités esthétiques. Cette dernière version sera celle adoptée par les différentes éditions postérieures du texte. La présente édition du “Public moderne…” reproduit fidèlement la version originale publiée dans la Revue française, avec sa ponctuation et sa graphie (les sauts de page étant indiqués entre crochets), à l’exception de trois coquilles typographiques, corrigées ici (premier paragraphe : "caricatnre" pour "caricature" ; deuxième paragraphe : "je ne le crois pas" pour "Je ne le crois pas" ; septième paragraphe : "Quelle sauve de l’oubli" pour "Qu’elle sauve de l’oubli"). Paul-Louis RoubertCharles Baudelaire Le Public Moderne et la photographie Lettre à M. le Directeur de la Revue française sur le Salon de 1859, 20 juin 1859 (vol. XVII, p. 262-266)Mon cher Morel1, si j’avais le temps de vous égayer, j’y réussirais facilement en feuilletant le catalogue et en faisant un extrait de tous les titres ridicules et de tous les sujets cocasses qui ont l’ambition d’attirer les yeux. C’est là l’esprit français. Chercher à étonner par des moyens d’étonnement étrangers à l’art en question est la grande ressource des gens qui ne sont pas naturellement peintres. Quelquefois même, mais toujours en France, ce vice entre dans des hommes qui ne sont pas dénués de talent et qui le déshonorent ainsi par un mélange adultère. Je pourrais faire défiler sous vos yeux le titre comique à la manière des vaudevillistes, le titre sentimental auquel il ne manque que le point d’exclamation, le titre calembour, le titre profond et philosophique, le titre trompeur, ou titre à piège, dans le genre de Brutus, lâche César2 ! "Ô race incrédule et dépravée ! dit Notre Seigneur, jusques à quand serai-je avec vous ? jusques à quand souffrirai-je3 ?" Cette race, en effet, artiste et public, a tant de foi dans la peinture, qu’elle cherche sans cesse à la déguiser et à l’envelopper comme une médecine désagréable dans des capsules de sucre ; et quel sucre, grand Dieu ! Je vous signalerai seulement deux titres de tableaux que d’ailleurs je n’ai pas vus : Amour et gibelotte4 uploads/s3/ baudelaire-le-public-moderne-et-la-photographie.pdf
Documents similaires










-
29
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1352MB