Philippe Walter est Directeur de Recherche au CNRS et spé­ cialiste du domaine

Philippe Walter est Directeur de Recherche au CNRS et spé­ cialiste du domaine « la chimie et l’art ». Il a étudié les fards des pharaons, regardé comment faisaient les Romains pour se teindre les cheveux en noir grâce aux sels de plomb, montrant au passage qu’ils utilisaient des nanotechnologies. Philippe Walter dirige le laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris). Philippe Walter Dermo- cosmétique et beauté à travers les âges 1 Le regard des civilisations passées sur le vieillissement de la peau 1.1. De la chimie dans l’Égypte ancienne Un rêve éternel : « transformer un vieillard en jeune homme » ! Déjà un papyrus égyptien de l’école pharaonique, le papy­ rus Smith, donne quelques recettes (Encart : « Pour trans­ former un vieillard en jeune homme »). Lisons la conclu­ sion : « Si l’on se frotte la peau avec ce produit, elle devient parfaite de teint. La calvitie, toutes les taches de rousseur, toutes les marques fâcheuses de l’âge, et toutes les rougeurs qui gâtent l’épiderme sont gué­ ries par le même moyen ». Ces préoccupations sont toujours les nôtres… éternelles. En associant l’étude des textes et des images de l’époque des Pharaons avec l’analyse chimique des matières qui nous été transmises depuis l’Antiquité, il nous est possible de préciser le regard des civi­ lisations du passé sur ces pro­ blèmes de vieillissement de la peau et de nous éclairer sur la manière dont la science cos­ métique occidentale, inven­ tée dans l’Antiquité égyp­ tienne, puis développée dans l’Antiquité gréco-romaine, a guidé notre point de vue sur la beauté et le vieillissement ainsi que sur les manières d’y remédier. Ces considérations se sont construites progressi­ vement grâce, dans une large mesure, à la mise en œuvre de préparations chimiques et au développement d’une science sophistiquée de la formula­ tion. Si l’on revient au début de cette recette du papyrus Smith, on remarque que le rédacteur explique qu’il faut se procurer 18 Chimie, dermo-cosmétique et beauté des gousses fraîches d’une plante herbacée, le fenugrec, les concasser et les exposer au soleil afin de les sécher. Ce texte peut faire penser à une simple recette de cuisine mais c’est aussi le début d’un protocole physico-chimique. Il est précisé que la matière doit être sèche, avant d’être ­ séparée en différentes par­ ties. Puis de l’eau est ajoutée pour former une pâte fluide et non simplement pour réhydra­ ter les composants. Une pro­ priété physique du mélange est donc recherchée : il ne doit ni s’agir d’une masse solide, ni d’une poudre : la pâte est ensuite placée dans un récipient et chauffée. La recette indique alors com­ ment l’observation de l’évo­ lution du mélange permet de savoir si l’extraction des pro­ duits utiles se déroule bien : le chauffage est stoppé lorsque l’on constate la présence de petites nappes d’huile surna­ geant sur la masse. C’est cette huile qui est recherchée pour soigner la peau et lui redon­ ner les propriétés de jeunesse lorsqu’elle a vieilli. La Figure 1 est une scène de préparation d’un onguent1 parfumé : la peinture peut 1. Onguent : pommade à base de résine et de corps gras. POUR TRANSFORMER UN VIEILLARD EN JEUNE HOMME Recette d’un remède contre les marques du vieillissement, une préoccupation déjà à l’époque pharaonique « Se procurer environ deux hectolitres de gousses fraîches de fenugrec. Concasser ces gousses et les exposer au soleil. Quand elles sont sèches, [...] séparer les graines des gousses. [...] Mélanger les deux quantités de graines et de débris de gousses, y ajouter de l’eau et en faire une pâte assez fluide. [...] Faire chauffer. Cesser le chauffage lorsque l’on constatera la présence de petites nappes d’huile surnageant sur la masse. Puiser cette huile à l’aide d’une cuiller. [...] Si l’on s’en frotte la peau, elle devient parfaite de teint. La calvitie, toutes les taches de rousseur, toutes les marques fâcheuses de l’âge et toutes les rougeurs qui gâtent l’épiderme sont guéries par le même moyen. [...] Ce remède a été appliqué avec succès des millions de fois. » « Pour transformer un vieillard en jeune homme (Papyrus Smith XIX, 9-XX, 10) ». Dans Mélanges Maspero, t. I, MIFAO, t. 66/1. Le Caire, 1935-1938, p. 853-877. Figure 1 Scène de préparation d’un onguent parfumé suivant une recette très précise. Chapelle funéraire de la tombe anonyme TT 175, XVIIIe dyn., Gournah (d’après M. el-Shimy, in Molecular and Structural Archaeology: Cosmetic and Therapeutic Chemicals, Volume 117 of the series NATO ASI Series pp 29-50). Source : Mohamed El-Shimy. 19 Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges dans une tombe avait sans doute pour fonction d’insister sur la revitalisation du défunt permise par cet onguent. L’époque gréco-romaine nous a également transmis de nombreuses informations sur ce sujet par l’intermédiaire de traités médicaux souvent copiés durant la période médiévale. Ces recettes, éla­ borées par des médecins, ont produit un véritable savoir scientifique du soin médical et dermo-cosmétique. 1.2. Une notion de soin médical Sur un manuscrit (Figure 2) datant du vie siècle et conservé à la bibliothèque nationale d’Autriche à Vienne, on peut voir l’un de ces médecins, Dioscoride, en train d’écrire. En face de lui un peintre, avec être lue comme une recette qui représente une séquence de gestes assez semblable à celle du papyrus Smith. Un homme commence par écra­ ser ou concasser la matière ; un autre la filtre ; deux autres la mélangent alors qu’un der­ nier la remue dans un large vase posé sur un braséro. Les vases à col long représentés entre ces gestes semblent signifier que l’on peut lais­ ser le mélange reposer ou macérer pour en extraire un parfum dont la nature semble caractérisée avec les fleurs de lotus. L’Égypte ancienne a ainsi mis en place une série de recettes pour améliorer les conditions de vie et protéger la peau tout aussi bien de l’action du Soleil, de la sécheresse du désert que du vieillissement natu­ rel. Ici cette représentation Figure 2 Un peintre, la figure allégorique de l’Epinoia et le médecin Dioscoride, guidé par le pouvoir de la pensée. Dioscoride, De Materia Medica. Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Med. Gr. 1, début du vie siècle. 20 Chimie, dermo-cosmétique et beauté à une science médicale car le résultat produit visait à « falsifier » son apparence et permettait de tromper sur sa vraie nature et sa vraie beauté. Ces concepts seront repris par les penseurs de l’Église qui vont condamner ces traitements dès les pre­ miers siècles de notre ère. Il faudra attendre le xxe siècle pour que l’on considère diffé­ remment ces approches qui visent à arranger artificielle­ ment le visage. L’art de la toilette, la partie cosmétique de la médecine : une pra- tique noble et considérée comme très importante. Les soins de la peau per- mettaient de préserver la beauté naturelle à l’aide de crèmes, de pommades et d’onguents parfois sophistiqués. La commôtique, l’art de se donner une peau factice : une pratique controversée qui permet d’arranger le visage artificiellement en lui conférant un éclat qu’il n’a pas au naturel à partir de l’emploi d’un jeu limité de couleurs (noir, blanc et rose). 2 La science de la formulation au service de la beauté. Exemple des huiles 2.1. L ’interprétation de l’usage des huiles grâce aux textes anciens et à la chimie analytique La formulation est l’ensemble des opérations qui consistent ses godets de couleurs, repro­ duit une racine de mandragore. Au centre se trouve la figure allégorique du pouvoir de la pensée, qui guide le médecin lorsqu’il doit comprendre les médicaments et les savoirs qui sont décrits dans cet ouvrage « Sur la matière médicale » de Dioscoride. 1.3. Cosmétique et commôtique : art du naturel et art de l’artificiel Une lecture attentive des ouvrages de médecine gréco- romaine met en évidence l’existence de deux types de soins du corps, qui sont distin­ gués selon un schéma proche du nôtre aujourd’hui. Il s’agit d’une part de ce qui est appelé la cosmétique, c’est-à-dire l’art de la toilette, associé à la pratique médicale. Cette pra­ tique désignait tous les soins de la peau qui permettent de préserver la beauté naturelle à l’aide de crèmes, de pom­ mades ou d’onguents, parfois complexes, avec des recettes pouvant inclure jusqu’à une vingtaine d’ingrédients dif­ férents. La cosmétique était considérée comme une pra­ tique noble et très importante dans la vie quotidienne des personnes. À l’opposé, ce qui était appelé commôtique, notamment par le médecin Galien, correspondait à une activité qui conduisait à modi­ fier artificiellement son appa­ rence par l’ajout de produits qui permettaient de conférer à la peau un éclat répondant à un certain idéal de beauté, notamment par l’intermé­ diaire de contrastes de cou­ leurs. Cette démarche était jugée indigne d’être associée 21 Dermo-cosmétique et beauté à travers les âges physico-chimiques de ces matières ont révélé qu’elles étaient constituées de pro­ duits intermédiaires de dégra­ dation de substances hui­ leuses, vraisemblablement d’origines végétales, parfois mélangées à des résines. Ces flacons devaient à l’ori­ gine contenir uploads/s3/ beaute-p17.pdf

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