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14/10/14 01:06 Canal Académie Page 1 of 9 http://www.canalacademie.com/spip.php?page=print&id_article=2742&var_mode=calcul Le musicologue Gilles Cantagrel Symbolique et rhétorique chez Jean-Sébastien Bach PAR GILLES CANTAGREL, UNE COMMUNICATION DU CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS C’est un Bach orateur, un Bach rhétoricien, un Bach maniant les symboliques -populaires et savantes-, que présente le musicologue Gilles Cantagrel, devant l’Académie des beaux-arts. La communication a été enregistrée à l’Institut le 16 janvier 2008. Adresse de cet article : http://www.canalacademie.com/ida2742-Symbolique-et-rhetorique-chez-Jean-Sebastien-Bach.html Date de mise en ligne : 17 février 2008 Gilles Cantagrel est musicologue, historien de la musique, enseignant à l’Université Paris-Sorbonne, ancien directeur de France Musique et correspondant à l’Académie des beaux-arts. Il est l’auteur de la Rencontre de Lübeck (livre auquel Canal Académie a consacré une émission : 1705 : Quand Bach rencontre Buxtehude). Autres ouvrages : une biographie de Dietrich Buxtehude (éd. Fayard, 2006), Bach en son temps (éd. Fayard, 1997), et de nombreux ouvrages sur la musique. TEXTE DE LA COMMUNICATION « Si je me suis permis de proposer à votre Compagnie ce thème de réflexion d’apparence bien sévère, Symbolique et rhétorique dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, c’est bien qu’il me paraît très largement dépasser le seul cas particulier d’un certain compositeur de musique, pour évoquer une question générale, qui n’a cessé d’agiter les esprits : la musique n’est-elle qu’un objet de délectation en soi, ou, en des contextes et des époques donnés, peut-elle aussi se parer du pouvoir de dire, ou de signifier. « Le débat ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, au XVIIIe siècle, devant l’éloquence persuasive d’une musique instrumentale qui défiait son entendement, Fontenelle pouvait l’apostropher : « Sonate, que me veux-tu ? ». Qu’est donc ce qui me paraît ainsi être un « langage » sonore, qu’aucun mot ne vient éclairer et qui pourtant me touche, semble me parler, éveille ma vie affective, met en mouvement mon âme ? Ce mouvement, cette é-motion, que régissent les lois de la rhétorique, depuis Cicéron et Quintilien. « À la fin du même siècle, l’esthéticien français Chabanon affirme l’universalité de la musique, en énonçant cette vérité à ses yeux essentielle : « Les sons ne sont pas l’expression de la chose, ils sont la chose-même ». « Voilà qui préfigure la célèbre formule d’Igor Stravinsky, ne voulant « chercher dans la musique que la musique », celle-ci étant, dit-il, « par essence impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un phénomène de la nature, etc. L’expression n’a jamais été la propriété immanente de la musique ». Il ne s’agit évidemment pas de supposer les moyens de la musique capables de représenter le réel ou de le suggérer, quelles qu’en aient été les tentatives, évocations de batailles, d’orages ou de chevauchées, pas même dans les pages écrites pour la scène ou le film, qui 14/10/14 01:06 Canal Académie Page 2 of 9 http://www.canalacademie.com/spip.php?page=print&id_article=2742&var_mode=calcul d’ailleurs ont pu susciter des chefs-d’œuvre. Mais en un mot, est-elle, hors tout langage verbal, susceptible, au travers d’un code donné, non pas d’exprimer, certes, mais de signifier quelque chose, et quoi ? « Loin de moi la prétention de vider la question. Je me bornerai ici à en souligner l’existence, et c’est bien pour cette raison que j’ai choisi de présenter un cas-limite et emblématique, celui d’un compositeur de génie, musicien universel, qui domine ce grand siècle de la rhétorique où chacun, de Monteverdi à Rameau, se considère comme un orateur. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le tout premier biographe de Bach, Forkel, directement informé par les fils du compositeur, parle de lui dès 1802 en le nommant « le plus grand orateur et le plus grand poète musical des temps passés et futurs ». Orateur, donc, mais en musique. Ce qui veut dire que, si belle, si « pure » soit-elle, si formellement accomplie, l’œuvre de Bach aurait par surcroît quelque chose à dire. Mais pourquoi s’en étonner ? Chacun sait qu’en de nombreuses époques de l’histoire, les œuvres d’art ont eu recours, à un degré ou à un autre, à des représentations symboliques dont la portée dépasse le simple objet proposé à la contemplation. Les plasticiens le savent mieux que quiconque. Que cette dame dont j’admire la représentation soit à la licorne, à l’hermine ou au chardonneret, et toute ma compréhension de ce qui m’est montré s’en trouve éclairée, et peut-être bouleversée. Ce ne sont pas là des accessoires d’atelier, mais bien des signes porteurs d’un sens précis, selon un code symbolique, signes qui nous mettent sur la voie du sens général de cette représentation, et peuvent nous suggérer des métaphores. « Et que dire de la nature morte des peintres hollandais du XVIIIe siècle – pour user de ce terme déplaisant auquel les Anglo-Saxons préfèrent celui autrement plus approprié de « vie silencieuse », still life ou Stillleben, la vie plutôt que la mort. Les espèces botaniques mêmes des fleurs, le genre des insectes qui s’y promènent, du poisson ou du fromage, la disposition du verre, de la carafe ou du couteau, la pelure du citron ou les plis de la nappe, tout porte un sens ; et tous ces signes interagissent pour adresser au spectateur un message, codé, certes, mais précis, même si nous ne savons plus aujourd’hui comprendre les interpellations qui nous sont lancées. « Je ne parle pas même ici des sculpteurs des chapiteaux romans, dont les scènes, si pittoresques puissent-elles paraître, avec leurs cortèges de monstres et d’objets bizarres, leur luxuriant décor végétal et leur cohorte de personnages les plus divers, parfois en d’étranges postures, affairés à un muet artisanat, tout cela a bien pour fonction de proposer à notre attention un enseignement, à notre réflexion une édification. Pourquoi donc refuser à la musique – avec les moyens qui lui sont propres – des pouvoirs que l’on reconnaît aux arts plastiques, qui pas plus qu’elle ne sont dotés du langage verbal ? Car enfin, le musicien, lui aussi, dispose d’un formidable arsenal d’ « outils » dont il peut user à des fins allégoriques : les tonalités, l’harmonie, avec ses tensions et ses détentes, les instruments et les voix, et toutes ces cellules rythmiques et mélodiques organisées en figures, telles qu’elles se sont développées en Italie dès le début du xviie siècle. Bien conscient qu’ici, aujourd’hui, je ne puis que me borner à évoquer l’existence de cette préoccupation symbolique et rhétorique qui a fait alors l’objet de très nombreux traités, et plutôt que de vouloir théoriser à mon tour, je voudrais illustrer mon propos d’exemples concrets. 14/10/14 01:06 Canal Académie Page 3 of 9 http://www.canalacademie.com/spip.php?page=print&id_article=2742&var_mode=calcul « Jean-Sébastien Bach. Il est profondément chrétien. On ne peut donc envisager l’analyse de ses œuvres qu’au moyen des références culturelles et spirituelles qui étaient les siennes en son temps, celles à la fois de l’Aufklärung et de la théologie luthérienne. Les fonctions de musicien d’église de cet admirable connaisseur des Écritures, en faisaient un serviteur de liturgies qui associent étroitement la parole et la musique, le verbe et le son. La cantate, en particulier, est alors considérée comme un double de la prédication orale qu’elle encadre, sur un thème commun. Écoutons donc les voix des chanteurs de ses cantates et de ses oratorios. À l’opéra, comme dans la vie, c’est la voix qui caractérise le plus précisément un être, un personnage, la candide ou la jalouse, le passionné ou le traître. De même dans la musique religieuse. Du reste, par bien des aspects, Bach n’a pas cessé de composer des actes d’opéra, et même des opéras entiers avec ses Passions. Traditionnellement, le soprano y incarne l’amour, la félicité et la confiance, et l’alto, la peine, l’âme endolorie, meurtrie. Le ténor, lui, chante l’espérance, mais il y apparaît aussi comme l’homme souffrant de ses fautes. Or, malgré les apparences, il n’y a pas contradiction entre ces deux « rôles ». Parce qu’il est chrétien, cet homme se sait pécheur et souffre de ses fautes ; mais toujours parce qu’il est chrétien, il lui est donné d’espérer dans le pardon. Une seule et même voix doit donc faire comprendre cette ambivalence. Quant à la basse, tout le monde le sait alors, c’est principalement vox Christi, la voix du Christ. Du Christ, et par extension de Dieu ou des prophètes. « Parmi les quelque deux cents cantates d’église connues de Bach, il en est une qui commente la parabole du repas de noces. Le fils du roi s’élance avec ferveur à la rencontre de la fiancée qui l’attend, dans un style poétique inspiré du Cantique des cantiques. Que la jeune fille heureuse soit chantée par un soprano, rien d’étonnant ; mais contre toute attente, dès les premières notes de son chant, le fiancé – le « jeune premier », dirait-on à l’opéra – se manifeste non par un ténor, mais par une voix de basse. Or tout auditeur en ce temps comprend ipso facto que ce fils du roi est le Christ, fils de Dieu, sans qu’il soit besoin de le nommer. Et le sens de la parabole s’en trouve annoncé d’entrée de jeu. « uploads/s3/ cantagrel-gilles-symbolique-et-rhetorique-chez-jean-sebastien-bach-reference-es324.pdf

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