Art, Architecture, Recherche Regards croisés sur les processus de création sous
Art, Architecture, Recherche Regards croisés sur les processus de création sous la direction de Lambert Dousson et Laurent Viala 4 Avant-propos Lambert Dousson et Laurent Viala p. 7 Vers un régionalisme critique : pour une architecture de résistance Kenneth Frampton p. 11 Travaux discrets Éric Watier p. 41 Juste l’idée : du rêve et de la mesure Michel Maraval p. 53 L’équilibre des forces ? David Hamerman p. 65 La petite mécanique du plaisir architectural Jean-Luc Lauriol p. 75 L’intuition de l’architecte est-elle soluble dans la méthode scientifique ? Laurent Viala p. 93 Le déséquilibre comme outil de création Patrice Barthès et Silvia Neri p. 117 Avant-propos 7 Avant-propos À l’origine de cette publication, le désir de provoquer une rencontre entre architectes, chercheurs et artistes, enseignants ou intervenants à l’école d’architecture de Montpellier, sur la question des processus de création à l’œuvre dans les arts et les sciences. Chacun était invité à parler de sa propre pratique à partir d’une articulation générale qui nous paraissait problématiser l’activité architecturale jusque dans ses fondements mêmes : celle de l’image et du concept, dont la relation complexe se décline selon une grande multiplicité de formes — la raison et l’intuition, l’objectif et le subjectif, le réel et l’imaginaire, le déterminé et le libre, le discipliné et l’indiscipliné, la règle et la transgression, l’ingénieur et l’artiste, etc. Ont répondu à l’appel David Hamerman, Michel Maraval et Jean-Luc Lauriol, tous trois architectes, Laurent Viala, géographe, théoricien et historien de la ville, Éric Watier, artiste, et Patrice Barthès, alors chorégraphe en résidence, avec Silvia Neri, galeriste. Au-delà de la grande diversité des approches (la liberté étant la règle), c’est un besoin identique de 7 Avant-propos 8 penser la pratique au plus près d’elle-même, dans sa spécificité, qui émerge de ces paroles croisées. Ceci exige de maintenir, précisément, une relation critique à l’égard de l’image comme du concept, de cerner les limites de leur opérativité — l’inflation actuelle du mot « concept » dans l’architecture, dont on ne sait plus s’il désigne l’idée génératrice du projet ou l’image d’une marchandise architecturale, nous rappelle la nécessité et l’urgence d’une telle réflexion. C’est ainsi un « équilibre des forces » qui, selon David Hamerman, définit le « jeu » de la pratique architecturale, laquelle s’incarne dans le paradoxe d’une « spiritualité décontractée », que Michel Maraval formule dans les termes d’un exercice de déprise : l’« effort » de « laisser émerger » toutes les images (les souvenirs d’enfance par exemple) qui irriguent le projet, et auxquelles le concept va donner une forme. La « pratique libre et jouissive » de l’architecture, Jean- Luc Lauriol la voit pour sa part se dégager d’une lutte : celle des petites « machines architecturales » qui travaillent le détail des atmosphères, contre la grande machinerie, dont l’air conditionné est le paradigme, intubation qui s’acharne à maintenir artificiellement en vie des organismes architecturaux inadaptés au monde dans lequel on les a transplantés. Pour Éric Watier et Patrice Barthès, la question se joue (selon des modalités bien sûr très différentes) à presque rien : dans la relation du langage à son autre — image, geste, action — sur le fil (du rasoir) qui à la fois relie et sépare, dans les « Travaux discrets » du premier, le mot et l’image, et, chez le second, le signe typographique et le geste chorégraphique du corps en déséquilibre. La réflexion que propose en dernier lieu Laurent Viala sur les transversements / reversements des méthodes artistiques et scientifiques permet de pointer les dangers d’une application non contrôlée, Avant-propos 9 acritique, d’un signifiant « recherche » fétichisé, à n’importe quelle activité (du moment qu’elle cherche quelque chose, c’est-à-dire n’importe quelle activité) — et en premier la perte de l’autonomie, et de la recherche, et des pratiques mêmes de l’art et de l’architecture. En contrepoint, l’article-manifeste de Kenneth Frampton, « Vers un régionalisme critique », résonne, à plus de trente ans de distance, avec l’« architecture de résistance » à laquelle les essais qui composent ce volume appellent. Rappelant combien régression populiste néo-traditionnelle et solutionnisme technologique constituent les deux faces d’un même processus de marchandisation des espaces architecturaux et urbains, l’auteur d’une histoire critique de l’architecture moderne1, devenue aujourd’hui un classique, montre comment la pratique architecturale trouve sa liberté dans la résistance aux impératifs d’efficience de la technique. En architecture, la perception sensible n’est en effet jamais innocente d’une politique. Car selon que l’on cède à la préséance exclusive de la vision et ses effets d’intimidation, ou qu’on cherche au contraire à renouer avec son expérience tactile, haptique, se pose la question de l’appropriation ou non d’un espace habitable par la multiplicité des expériences et des usages qu’il ouvre. Cet article n’avait jamais fait l’objet d’une traduction en français. Nous espérons le rendre ainsi plus accessible, et en premier lieu aux étudiants en architecture. Lambert Dousson et Laurent Viala 1 Kenneth Frampton, L’Architecture moderne, Une histoire critique, Londres, Thames & Hudson, 2010 (1re éd. 1980). Vers un régionalisme critique : pour une architecture de résistance Kenneth Frampton1 « En même temps qu’une promotion de l’humanité, le phénomène d’universalisation constitue une sorte de subtile destruction, non seulement des cultures traditionnelles, ce qui ne serait peut-être pas un mal irréparable, mais de ce que j’appellerai provisoirement, avant de m’en expliquer plus longuement, le noyau créateur des grandes civilisations, des grandes cultures, ce noyau à partir duquel nous interprétons la vie et que j’appelle par anticipation le noyau éthique et mythique de l’humanité. Le conflit naît de là ; nous sentons bien que 1 Kenneth Frampton, « Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of Resistance », 1st published in Hal Foster (ed.), The Anti- Aesthetic: Essays on Postmodern Culture, Port Townsen, Bay Press, 1983, reed. in Hal Foster (ed.), Postmodern Culture, London, Pluto Press, 1985. Tous nos remerciements vont à Kenneth Frampton, Hal Foster et aux éditions Pluto Press pour avoir aimablement autorisé cette traduction. Kenneth Frampton 11 cette unique civilisation mondiale exerce en même temps une sorte d’action d’usure ou d’érosion aux dépens du fonds culturel qui a fait les grandes civilisations du passé. Cette menace se traduit, entre autres effets inquiétants, par la diffusion sous nos yeux d’une civilisation de pacotille qui est la contrepartie dérisoire de ce que j’appelais tout à l’heure la culture élémentaire. C’est partout, à travers le monde, le même mauvais film, les mêmes machines à sous, les mêmes horreurs en plastique ou en aluminium, la même torsion du langage par la propagande, etc. ; tout se passe comme si l’humanité, en accédant en masse à une première culture de consommation était aussi arrêtée en masse à un niveau de sous- culture. Nous arrivons ainsi au problème crucial pour les peuples qui sortent du sous-développement. Pour entrer dans la voie de la modernisation, faut-il jeter par dessus bord le vieux passé culturel qui a été la raison d’être d’un peuple ? C’est souvent sous la forme d’un dilemme et même d’un cercle vicieux que le problème se pose ; en effet la lutte contre les puissances coloniales et les luttes de libération n’ont pu être menées qu’en revendiquant une personnalité propre ; car cette lutte n’était pas seulement motivée par l’exploitation économique mais plus profondément par la substitution de personnalité que l’ère coloniale avait provoquée. Il fallait donc d’abord retrouver cette personnalité profonde, la ré-enraciner dans un passé afin de nourrir de sève la revendication nationale. D’où le paradoxe : il faut d’une part se ré-enraciner dans son passé, se refaire une âme nationale et dresser cette revendication spirituelle et culturelle face à la personnalité du colonisateur. Mais il Kenneth Frampton 12 faut en même temps, pour entrer dans la civilisation moderne, entrer dans la rationalité scientifique, technique, politique qui exige bien souvent l’abandon pur et simple de tout un passé culturel. C’est un fait : toute culture ne peut supporter et absorber le choc de la civilisation mondiale. Voilà le paradoxe : comment se moderniser et retourner aux sources ? Comment réveiller une vieille culture endormie et entrer dans la civilisation universelle ?2 » Paul Ricœur, Histoire et vérité Culture et civilisation La construction moderne est à présent si universellement conditionnée par l’optimisation technologique que la possibilité de créer une forme urbaine significative est devenue extrêmement limitée. Les restrictions imposées conjointement par le réseau routier et le jeu volatile de la spéculation foncière conduisent à limiter la portée du projet urbain à un degré tel que toute intervention tend à se voir réduite, ou bien à la manipulation d’éléments prédéterminés par des impératifs de production, ou bien à l’espèce de vernis exigé par le développement moderne pour soutenir le marketing et maintenir le contrôle social. La pratique de l’architecture apparaît aujourd’hui de plus en plus polarisée par, d’un côté, une approche soi-disant « high-tech » exclusivement fondée sur la production et, de l’autre, la mise en place d’une « façade de compensation » visant à 2 Paul Ricœur, « Civilisation universelle et cultures nationales » [1961], Histoire et vérité, Paris, Seuil, 2e uploads/s3/ frampton-traduction-copie-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 27, 2021
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